Jaba Alexandre
Alexandre Jaba, Consul de Russie � Erz�rum, va en 1860 recueillir et
traduire ce texte en fran�ais. Il est maintenant publi� dans un ouvrage
collectif sur le Kurdistan, ouvrage compos� de textes litt�raires ou de
r�cits de voyage choisis et pr�sent�s par Chris Kutschera (journaliste
et �crivain sur la question kurde ) dans l��dition Favre, Lausanne,
1998.
Ce texte l�gendaire situ� an temps du shah Isma�l (XVIe si�cle) retrace
les relations belliqueuses existant entre les Kurdes et les Kizilbaches(nom
donn� � une population locale rebelle � l�islam sunnite) qui seront les
pr�curseurs de l�al�visme, religion ni sunnite, ni chiite. Le pays du
Dersim o� se trouvent les Kizilbaches, est une montagne refuge qui
restera traditionnellement rebelle et continuera � se distinguer du pays
appel� Kurdistan, par son syncr�tisme, sa langue (dialecte iranien
voisin du kurde appel� zaza, kirmandj, so-be ou zone ma) et la
composition de son peuplement.
Dans cette r�gion d�Anatolie maintenant devenue d�serte � la suite de
g�nocides et d�une politique de d�portation de la part de l�Etat turc,
ses populations sont identifi�es autant par les Turques que par les
Kurdes en tant que Kurdes al�vis malgr� les distinctions identitaires
manifest�es par les populations m�mes du Dersim.
Le Ch�teau de Dimdim
Texte de Alexandre Jaba publi� dans Le Kurdistan , Chris Kutschera,
1998, Favre.
La r�sistance �pique des Kurdes assi�g�s dans le ch�teau de Dimdim par
des Kizilbaches a donn� naissance � de nombreux contes et chants qui
illustrent le courage h�ro�que de Khan-Abdal et des femmes qui
l�entouraient ; sa femme, Azma Khanoun, sa m�re, Geuher-Khanoun, qui
dirige pratiquement les d�bats du conseil des d�fenseur de la forteresse
et toutes les femmes et jeunes filles qui vivaient dans le ch�teau.
Presque tous les voyageurs qui ont explor� le Kurdistan ont remarqu� que
la femme kurde se comportait tr�s diff�remment des femmes turques et
persanes ; peu ou pas c voil�e, elle agit� presque en homme ! Baptistin
Poujoulat notamment a �crit comment elles montaient � cheval et
faisaient la guerre comme les hommes. Mais aucun de ces r�cits ne le
fait aussi bien que cette l�gende du ch�teau de Dimdim recueillie par
Alexandre Jaba, v�ritable hommage � la Femme Kurde.
Du temps du Chah Ismail, roi de Perse, il y avait dans la province de
Maraga, un Khan h�r�tique persan du nom d�Asker-Xan . Dans une des
provinces limitrophes de H�kari, se trouvait un rocher inaccessible et
bien fortifi�. On l�appelait le ch�teau de Dimdim. Le prince qui
commandait ce fort portait le nom de Xan-Abdal . Il �tait jeune et bel
homme, par ce motif, on l�avait surnomm� : Mir-Tepie-Zerin (le prince au
bras d�or). Le susdit Kahn h�r�tique Asker-Khan nourrissait une haine
implacable contre Xan-Abdal et les habitants de Dimdim. Ils enlevaient
mutuellement leur butin. Ils s�entretuaient. L�h�r�tique Asker-Xan leva
aux environs de Malaga une arm�e de onze mille cavaliers et fantassins.
Il prit des canons, forma un camp et se dirigea vers le fort de Dimdim,
pour combattre Xan-Abdal. Il mit le si�ge devant cette place et
l�entoura des quatre c�t�s, de telle sorte que personne ne pouvait y
entrer ni en sortir. Dans l�int�rieur de Dimdim, il n�y avait que sept
cent hommes tant vieux que jeunes, qui prirent les armes et soutinrent
l�attaque. Chaque jour Xan-Abdal faisait une sortie avec une centaine
d�hommes, inqui�tait les troupes d�Asker-Xan et rentrait avec une
certaine perte, il combattait ainsi journellement avec l�arm�e persane.
Xan-Abdal envoya au pacha de Van un rapport sur l��tat de si�ge et lui
demanda du secours. Les troupes d�Asker-Xan augmentent de jour en jour,
tandis que les soldats assi�g�s d�Abdal-Xan p�rissaient ou diminuaient
sensiblement. Pour abr�ger, en lan�ant pendant trois mois dans le
ch�teau de Dimdim des boulets et des bombes et en r�p�tant ses attaques,
l�ennemi r�duisait de sept cent hommes � soixante dix la garnison de la
place. Il restait peu de munitions et peu de vivres, beaucoup de
familles et d�enfants mouraient de faim. Les assi�g�s n�esp�raient du
secours d�aucun c�t�, et ils n��taient pas plus en �tat de lutter contre
l�ennemi. Un jour, Abdal-Xan, en d�sespoir de cause, convoque en conseil
les gens qui lui restent encore. Que deviendrons nous (dit-il) quel
parti doit-on prendre ? ni les Ottomans, ni Hekari, ni aucun peuple de
l�Islam ne nous a envoy� jusqu�ici de secours ; de sept cent que nous
�tions, la plus grande partie sont morts en combattant ; nous ne sommes
aujourd�hui que soixante dix, les munitions, les provisions manquent
dans la place, les familles meurent de faim, que faut-il faire ?
devons-nous capituler ou frapper un coup d�cisif ? Chacun dans ce
conseil donnait son opinion. La m�re de Xan-Abdal, Geuher-Xanun, qui en
faisait partie, s��cria : Demander pardon et faire une capitulation,
c�est une chose impossible et qui ne peut nous convenir, parce qu�on ne
saurait se fier � la parole d�un Qyzilbache qui ne feront que violer
toute promesse et toute convention. Si m�me ils signent un trait�, ce ne
sera que pour le d�chirer ensuite et pour agir en tra�tres avec nous.
Nous avons combattu avec tant de bravoure pendant trois mois, nous avons
support� durant ce si�ge tant de mis�re, tant de malheurs, nous avons
perdu tant de morts qui crient vengeance ; faisons plut�t un accord
entre nous, et nous serons s�rs de notre fait : que les homme ouvrent
les portes du ch�teau, sortent de la place et fondent sur l�ennemi, nous
autres femmes, celles qui ont un peu de force, nous prendrons les armes
et nous combattrons � c�t� de vous. Quand aux filles et aux jeunes
fianc�es qui ne sont pas capables d�aller au combat, qu�elles pr�parent
du poison, et quand vous p�rirez tous, qu�elles en avalent pour ne pas
tomber aux mains des impies. Une d�entre elles se chargera de r�unir
dans un endroit toute la poudre qui reste encore, et lorsque le ch�teau
sera rempli d�ennemis, elle y mettra le feu, nous sauterons en l�air,
mais les h�r�tiques p�riront �galement. Tout le monde applaudit � l�avis
de Geuher-Xanum, et on fit les dispositions n�cessaires. Chacun fit le
sacrifice de soi-m�me et se pr�pare � une mort in�vitable. Un vendredi
vers midi, Xan-Abdal les soixante-dix combattants et vingt-sept femmes,
ouvrent la porte du ch�teau, et apr�s s��tre dit adieu les uns aux
autres, grands et petits, jeunes gens et vieillards, femmes et maris,
ils s��lancent hors de la place. Toutes les filles et jeunes femmes
qu�il y avaient se munissent de poison et se portent sur les tours pour
observer les mouvements des combattants, tandis que la femme de
Xan-Abdal, Asima Xanum se met � amasser toute la poudre, qu�elle d�pose
dans un magasin au dessous de la porte du ch�teau, et monte ensuite
�galement sur la tour pour y rester en sentinelle. Lorsque Xan-Abdal
sortit du ch�teau avec tout le monde, les Qyzilbaches crurent qu�il
s�enfuyait. Les h�r�tiques tirent leurs sabres et se lancent � sa
poursuite. Xan-Abdal et ses braves engagent un combat acharn� au pied du
ch�teau. Un poign�e de h�ros de Dimdim se d�fend vaillamment contre une
multitude d�h�r�tiques. Les femmes et les jeunes filles observent du
haut de la tour avec anxi�t� ce qui se passe, font des pri�res, versent
des larmes et poussent des cris de d�tresse : la voix des enfants
s��levaient jusqu�au ciel. En r�sum�, les combattants meurent jusqu�au
dernier, mais la perte des Qyzilbaches est double et m�me triple.
Aussit�t ! que Xan-Abdal a p�ri avec ses gens et les femmes qui
l�avaient accompagn�, ces h�r�tiques se jettent dans le ch�teau de
Dimdim, en remplissent en foule l�int�rieur de la place ; les filles et
les jeunes mari�es avalent pour la plupart le poison ; Asima Xanum met
le feu � la poudre, qui fait sauter une partie du ch�teau avec tous les
Persans qui avaient p�n�tr�, et aussi avec beaucoup de familles et
d�enfants de Dimdim. Il y en eut tr�s peu qui surent se sauver. Les
femmes et les enfants qui surv�curent � cette catastrophe furent emmen�s
en esclavage. Quant aux vieillards et aux femmes �g�es, on les massacra.
Les Persans d�truisirent ce qui restait de la forteresse et br�l�rent le
habitations. La perte des h�r�tiques fur incalculable en fait de morts.
Depuis lors le ch�teau de Dimdim est rest� d�sert et inhabit�. La belle
d�fense que fit cette place est c�l�bre dans le Kourdistan et le moullah
Bate-i-mim-he (Mouhammed) a compos� un po�me sur cet �v�nement. Dans
leurs r�unions les Kourdes se plaisent � le lire, ils s�exaltent, ils
pleurent, et ils font des pri�res en m�moire des victimes de Dimdim.
Recueil de Notices et R�cits Kourdes servant � la connaissance de la
Langue, de la Litt�rature et des Tribus du Kourdistan r�unis et traduits
en fran�ais par M. Alexandre Jaba, consul de Russie � Erzeroum, St
Petersbourg, 1860, Acad�mie Imp�riale des Sciences.
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