99.06.09
HOLOGRAMMES
J'ai vu récemment, dans un pays latin, l'image d'un Christ en
croix saignant de partout mais qui faisait des clins d'oeil. La technique
des hologrammes permet, quand le spectateur se déplace, de lui montrer
des angles différents et des images distinctes, dont celle d'un crucifié
les yeux ouverts, puis fermés, qui serait ridicule à en confiner
au blasphème si elle n'était révérée
avec toute la candeur qui fait la foi des charbonniers.
Il y a des risques à changer de points de vue, ce qui justifie la
plupart des gens de n'en vouloir voir qu'un seul. Quand la réalité
est ainsi faite, pourtant, que la vérité oscille et que le
bien devienne insaisissable, c'est en ne voulant pas voir les deux angles
qu'on devient ridicule. Les journaux, cette semaine, étaient pleins
de tels "hologrammes" qui nous invitent à prendre du recul
et à voir les deux cotés de la médaille.
1. Un juge Québécois vient de confirmer à un père
québécois la garde de l'enfant que celui-ci a fait à
une jeune guatémaltèque et qu'il lui a subséquemment
enlevé en des circonstances qu'on décrit comme un kidnapping
pur et simple. L'homme était employé à l'ambassade
du Canada. Il part il emmène son enfant. C'est Madame Butterfly avec
la musique en moins.
Personne ne conteste l'enlèvement. Personne ne reproche rien à
la mère qui s'est ruinée à venir plaider ici cette
cause qu'elle a perdue. On a décidé "pour le bien de
l'enfant" qu'il serait mieux avec son père. C'est tout. Je ne
sais pas si l'enfant sera mieux avec son père qui l'a enlevé;
je sais que le juge n'en sait rien lui non plus et que la garde de l'enfant
est généralement accordée à la mère.
Je sais que kidnapper un enfant est un crime et qu'on n'accorde généralement
pas la garde de l'enfant à un criminel. Je sais surtout que si un
père guatémaltèque avait commis le rapt au détriment
d'une mère canadienne on verrait les choses d'un autre angle. En
fait, on a jugé qu'il valait mieux pour l'enfant vivre au Québec
- on a un si beau pays - plutôt qu'au Guatemala, même avec sa
mère. Peut-être. Question d'angle.
2. Les six (6) derniers des vingt-cinq (25) artistes qui occupaient un immeuble
de la rue Clark depuis 5 ans pour en empêcher la transformation en
condos ont finalement vidé les lieux cette semaine. Ils ont gagné
quelques batailles juridiques mais ont finalement perdu la guerre quand
le promoteur a fait faillite et a cessé de payer la facture du chauffage
au gaz. A vous de décider s'il faut pleurer sur le sort des artistes
qui devront se chercher une autre piaule ou sur celui du promoteur que cette
guérilla a ruiné et qui verra maintenant un autre promoteur...
transformer cet immeuble en condos. Le nouveau promoteur a déjà
obtenu tous les permis nécessaires.
3. Le gouvernement Bouchard vient de répondre par une loi au problème
des jeunes travailleurs auxquels on n'accorde pas les mêmes échelles
salariales qu'à ceux qui les ont précédés. Il
vient surtout de répondre aux critiques de Dumont reprises par les
libéraux; il ne faudrait pas laisser le PQ s'aliéner les "jeunes",
les "syndicalistes" ni les "PME", ses trois clientèles
de base.
Comme les fabricants d'automobiles de Detroit des années cinquante
qui planifiaient la désuétude de leurs produits pour optimiser
leur profit, le gouvernement a cependant concocté une loi toute cosmétique
dont il a aussi prévu qu'elle viendrait trop tard (en 2002 !), ne
ferait pas assez (lisez-la, vous verrez) et ne tiendrait pas la route plus
de cinq ans.
A peu près tout le monde a commencé à hurler à
la mort - et à raison puisque la loi est une plaisanterie - mais
personne n'a mis de l'avant une petite coccinelle de loi qui réglerait
le problème, parce que le problème est insoluble dans la structure
actuelle du travail salarié. On ne peut globalement payer plus, car
nos entreprises ne seraient plus concurrentielles. Alors? Va-t-on "ajuster"
les salaires des travailleurs en place qui ont des droits acquis et sont
syndiqués... ou faire porter le chapeau par les jeunes au lieu de
les laisser en chômage?
Vous pouvez choisir votre camp. Comme les coeurs tendres - dont je suis
- qui regardent "Animal Planet" et ne savent plus trop s'il faut
applaudir ou verser une larme quand la gazelle échappe à l'assaut
de la lionne affaiblie dont les petits meurent de faim. Question d'angle,
encore une fois, et le PQ, qui renvoie en fait le problème à
plus tard, ne fait pas autre chose que ceux d'entre nous qui zappons avant
de connaître le sort des lionceaux. Pleutre, mais pas bête.
4. La juge Rayle, au congrès du Barreau, a dit assez brutalement
aux avocats réunis pour l'entendre qu"il vaudrait mieux pour
eux être honnêtes. Soyez honnêtes - leur a dit Sa Seigneurie
- "vous allez vous démarquer de vos collègues".
Comme le blanc sur fond noir, comme la "rose au milieu des épines"
dont parle le Cantique des cantiques, comme la petite bougie dans la nuit
obscure... ainsi, suggère la juge Rayle, tranchera sur ses pairs
- qui eux ne le sont pas? - l'avocat qui choisira d'être honnête.
Brutal. Le fait qu'une vaste majorité de la population pense la même
chose justifie-t-il que la juge Rayle émette un commentaire aussi
cinglant? Petite vague et grand remous au Palais: un avocat en règle
et qui n'a rien à se reprocher ne devrait-il pas s'insurger, protester,
exiger des excuses? Ou, derrière la forme, ne vaut-il pas mieux se
demander si au fond le constat n'est pas pertinent? Question d'angle, encore
une fois; il y a parfois de bonnes raisons de dire des choses brutales.
Faut-il se draper dans la foi du charbonnier et crier au blasphème...
ou voir s'il vaut mieux avoir les yeux ouverts ou fermés et trouver
l'angle d'où la vérité vous fait un clin d'oeil?
Pierre JC Allard
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