98.10.28
PLEUREZ ELITES, PLEUREZ
On avait dit du Duc de Guise assassiné que "mort, il avait l'air
plus grand"... Je trouve que rabroués par la population qui,
comme le dit Foglia, "semble le faire exprès" pour élire
Bourque et les remettre à leur place, les chroniqueurs de La Presse
apparaissent au contraire encore plus petits. Je trouve de mauvais goût,
à dix jours des élections, que Agnes Gruda et Lysiane Gagnon
décident de monter aux barricades pour sommer les Montréalais
de "battre Bourque", alors qu'il n'est pas évident que
les autres candidats seraient un moindre mal. Peut-être les autres
candidats feraient-ils mieux que Bourque, mais ce n'est pas ÉVIDENT.
Il est choquant que les journalistes de La Presse veuillent nous faire croire
que seuls les obtus choisissent Bourque et que ce soit le propre d'un esprit
supérieur de voter pour Doré ou Duchesneau. Les raisons de
ne PAS voter pour Doré sont encore collées aux vitrines des
espaces commerciaux qui étaient déjà - et sont restés
- inoccupés depuis l'élection de 1994. Quant à Duchesneau,
on peut ne pas aimer, n'est-ce pas? Est-on pour autant un imbécile?
Prescott? Qui est Prescott? Les médias ont fait ce qu'il fallait
pour qu'on ne connaisse pas Prescott. Quand la campagne a débuté,
les médias ont mis Prescott au rancart, pour la seule raison que
les sondages donnaient les trois autres candidats à égalité
et en avance. Prescott n'était pas un "gagnant" et il n'était
donc pas intéressant. Qui il était, ce qu'il pensait, son
programme... aucune importance; les journaux avaient décidé
qu'il ne gagnerait pas et, lui retirant sa juste part de couverture, s'assuraientt
qu'il ne gagnerait pas.
D'ailleurs, même aujourd'hui, Prescott n'est pas encore traité
comme les autres. Quand le sondage SOM, rapporté par La Presse le
samedi 24 octobre, demande à la population s'il est un candidat pour
lequel elle ne voterait PAS, on prend bien soin de ne poser la question
que pour Doré, Duchesneau et Bourque. Pourquoi? Parce que Prescott,
étant moins connu, aurait été de loin le moins impopulaire
des candidats... Il n'est pas question que La Presse publie une statistique
aussi favorable à un "non-gagnant"... Ben voyons !
C'est ça qui est le rôle dégueulasse des médias:
renforcer la position de ceux qui "peuvent gagner" - c'est-à-dire
de ceux qui rassurent parce qu'ils ne peuvent ni ne veulent rien dire ni
rien changer - et éliminer les autres, qui dérangent parce
qu'ils ont des idées neuves et pourraient être des facteurs
d'évolution.
Tous les médias ont ce parfait cynisme - et leur crédibilité
à tous est en baisse - mais les journaux vont plus loin dans l'effronterie
et c'est pour ça que Foglia a raison: beaucoup de gens vont être
heureux de voir l'élection de Bourque assener ce qu'on espère
le coup de grâce à l'influence des journaux traditionnels sur
l'opinion publique. Les médias écrits vont plus loin dans
la malfaisance, parce qu'ils dénaturent.
D'accord, la télévision dénature aussi, à sa
façon, en réduisant et en simplifiant, en rendant presqu'impossible
tout débat sérieux, comme Chomsky dans son film en a fait
une démonstration magistrale... mais seul le journaliste "écrit"
- parce qu'il se substitue complètement à sa victime qui disparait
- peut carrément faire blanc ce qui est noir, rapporter le contraire
de ce qu'on lui dit, mettre l'accent sur le détail et escamoter l'important,
trahir dans le titre le sens de son article, insinuer le pire, promouvoir
le mépris sans avoir l'air d'y toucher et autrement abuser d'une
position de force pour nuire, parfois sans autre intérêt que
de satisfaire sa propre prétention.
Il y a longtemps que les journaux n'informent plus mais désinforment...
et rigolent entre copains par-dessus la tête des gens ordinaires.
Aujourd'hui ils s'étonnent qu'on ne les écoute plus. Ils n'ont
pas compris le message quand Parizeau, dans sa dernièere campagne,
a refusé de donner des entrevues à la presse écrite.
Ils ont oublié Jean Paré qui avait dit des horreurs de Péladeau...
puis s'était rétracté, quand le vieux renard lui avait
fait savoir que l'entrevue avait été enregistrée...
Lysiane Gagnon a oublié qu'elle a publié un article infâme
quand un médecin bien connu s'est suicidé "pour faire
un exemple"... mais qu'elle ne proteste plus quand c'est Pauline Julien
qui le fait. Pourquoi ? Parce que tout le monde, cette fois, semble d'accord?
Si au moins les chroniqueurs tiraient du succès de Bourque une leçon
d'humilité, manifestaient l'inquiétude de s'être trompés
ou de ne pas avoir fait leur boulot, de ne pas avoir bien montré
à la population toutes les alternatives... Mais non, jamais ! C'est
la faute à la population... "La faute" - comme se moque
Aznavour - "du public qui n'a rien compris"...
Vous voulez savoir ce que c'est que la prétention et la condescendance?
Écoutez Lysiane, dans La Presse du samedi 24, parler de ces Montréalais
qui sont allophones, ont moins de 12 ans de scolarité ou un revenu
inférieur à 15 000 $: "C'est sur un solide bloc de démunis
et de "peu instruits" que repose sa popularité (celle de
Bourque). ... " Montréal est une ville qui a perdu une très
grande partie de ses élites (sic) naturelles"... "Toronto...
abrite une solide classe moyenne et une bourgeoisie(re-sic) bien enracinée
(...) Montréal, au contraire est une ville décapitée"
Décapitée, en effet. Il faut que cette ville ait perdue la
tête pour qu'on accepte sans hurler ce langage élitiste, fascisant,
ce clin d'oeil au scrutin censitaire, cette contestation préalable
du résultat d'une élection démocratique qui n'est pas
encore jouée en disant que c'est bien dommage que les gens "valables"
vivent ailleurs et qu'il ne reste à Montréal qu'une majorité
d'immigrants, d'incultes et de pauvres, lesquels, bien sûr, vont élire
un crétin. Est-ce qu'il n'y a pas des lois contre ce type de propagande?
Je trouve bien disgracieuse la façon dont les journalistes encaissent
la nouvelle de leur perte d'influence - pourtant combien méritée
! Je comprend qu'ils aient le fiasco honteux et l'impuissance hargneuse,
mais ne pourraient-ils, au moins, tourner le dos un instant, baisser la
tête pour faire face au problème et nous épargner l'arrogance
?
Pierre JC Allard
Un programme pour Montréal
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