98.07.15
LES FRÉGATES
Vous connaissez les frégates? Je me parle pas des bateaux, mais
des oiseaux du même nom qui fréquentent surtout la côte
du Pacifique, de la Californie au Chili. Vitesse, maniabilité, les
frégates sont les maîtres toutes-catégories de la navigation
aérienne. A coté des frégates, les autres prédateurs
ont l'air un peu pataud. La supériorité en vol des frégates
est telle, en fait, que même si elles se nourrissent pourtant de poisson,
les frégates ne prennent même plus la peine de pêcher.
Elles se contentent d'attendre que les espèces moins douées
aillent se mouiller comme des imbéciles, puis les frégates
font leur boulot.
Le boulot des frégates, c'est le vol à l'esbroufe. Monsieur
frégate fait des tonneaux autour du pélican qui rentre à
domicile avec le poisson qu'il a pris, lui barre la route, le frappe au
besoin de l'aile, jusqu'à ce que le pélican échappe
sa proie qui est captée en chute libre par madame frégate
qui n'attendait que ce moment. La dextérité des frégates
est telle que, parfois, celle-dernière n'a pas à se donner
cette peine, monsieur frégate plonge lui même en piqué
cueillir le butin.
On vient d'annoncer que le Canada aura cet année le taux de croissance
le plus élevé des pays du G-7: 3,5%. Un peu mieux que les
États-Unis, beaucoup mieux que l'Europe. On dirait que le malade
prend du mieux... Bonne nouvelle n'est-ce pas? Oui, ça pourrait être
une bonne nouvelle, mais attendez la fin. Vous vous souvenez de Madame Cooper*,
l'économiste de Nesbitt Thomson, celle qui nous disait froidement
l'an passé qu'un taux de chômage de 10 ou 12% est "naturel"?
Madame Cooper a de moins bonnes nouvelles pour les pélicans que nous
sommes tous, nour les espèces inférieures qui nous mouillons
encore à essayer de produire des biens et des services au lieu de
devenir tous des virtuoses de la spéculation.
Que dit Madame Cooper, du haut de sa chaire d'économiste senior d'une
grande institution financière? Elle dit que le dollar canadien est
bien faible, et qu'il ne s'en remettra pas aussi longtemps que l'on n'aura
pas relevé les taux d'intérêts. Si vous pensez que Madame
Cooper est en train de faire là de la prévision économique,
c'est que vous êtes un pélican. Pour ceux qui connaissent le
comportement des rapaces et prédateurs, Madame Cooper vient de servir
une mise en demeure au gouvernement canadien.
Traduit en pélican, le message au gouvernement est le suivant: "En
gardant le dollar canadien bas, vous favorisez les exportations canadiennes
et vous créez des emplois; du même coup, vous découragez
les importations, vous améliorez la balance des paiements et vous
laissez espérer une croissance élevée. Donc, vous marquez
des points sur la plan politique. Bon, ça va, on ne vous en veut
pas, il faut bien que les pélicans aillent pêcher... mais maintenant,
c'est au tour des frégates. Maintenant que les naïfs ont travaillé,
il faut passer à la deuxième étape: l'extorsion. Il
faut donc faire monter rapidement les taux d'intérêts, afin
que le produit de la pêche aboutisse comme d'habitude chez les frégates,
entre les serres de l'espèce supérieure: les riches, les manipulateurs
de capitaux, ceux qui ne travaillent pas, ceux qui ne se mouillent jamais."
Ça, c'est l'avertissement au gouvernement. Mais, ce n'est pas tout;
comme les oiseaux de proie ont deux yeux qui regardent chacun de son coté,
ça leur permet, tout en regardant le gouvernement d'un oeil sévère,
de faire en même temps un clin d'oeil aux petits copains. En fait,
Madame Cooper ne prévoit rien, elle envoie simplement un signal clair
aux frégates que l'heure est venue de prendre leur essor.
Ce qui - traduit encore une fois en langage de pélicans - veut dire
que les financiers , manipulateurs de capitaux et autres spéculateurs
peuvent maintenant, avec la bénédiction des pseudo organismes
de contrôle internationaux, jouer le dollar canadien à la baisse
jusqu'à ce que les taux d'intérêts soient haussés.
Chaque point de pourcentage à la hausse veut dire 6 milliards de
dollars qui sortent de vos poches et s'en vont vers les seuls détenteurs
d'obligations du Canada.
Ces 6 milliards, c'est la mise en bouche. Ensuite, la hausse se répercute
sur tous les prêts publics et privés et c'est environ 20 milliards
que les pélicans laissent choir au profit des frégates. Et
ça, c'est pour une hausse de 1% des taux d'intérêts.
Naturellement, si les frégates ont vraiment faim, on peut faire beaucoup
mieux. A quel niveau peut monter l'extorsion? Au début des années
"80, le Canada a émis des obligations qui portaient intérêt
à plus de 19 % ! Et après, on se demande pourquoi les jeunes
pélicans n'ont pas le coeur à la pêche...
Pierre JC Allard
* Le plein emploi "a la Cooper"
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