98.07.08
VILNIUS ET LES TAM-TAMS
La Lituanie est un petit pays qui sort de presque 50 ans d'intégration
forcée à l'Union soviétique. Un pays pauvre et sans
beaucoup de ressources, qui a connu son heure de gloire il y a des siècles
et des siècles. Au fond de la Lituanie, presque à la frontière
du Bélarus, loin de la Baltique, loin de toute chaîne de montagne,
loin de quelque paysage qui pourrait présenter le moindre intérêt,
il y a Vilnius. Peu de Québécois connaissent Vilnius, Encore
moins y sont allés. Dommage.
Dommage, parce que les gens qui nous gouvernent - et plus précisément
ceux qui administrent Montréal - auraient intérêt à
visiter Vilnius. Ou plutôt, non, je corrige: NOUS aurions intérêt
à ce que les gens qui nous gouvernent visitent Vilnius. Eux pas,
ils auraient honte. Honte de revenir vers nous après avoir visité
une ville où l'on lave, on brosse, on ravale, on rénove, une
ville où, après des décennies d'abandon, on a décidé
de s'activer à recréer la beauté.
La nature n'a pas gâté Vilnius, mais les gens de Vilnius, eux,
en ont créé de la beauté et ils y tiennent. Rue après
rue, cour après cour, la vieille ville de Vilnius en a redevenir
un petit bijou de style baroque, toute en couleurs pastel. Vite, en quelques
années. On travaille dur, à Vilnius, on a un plan.
Quand on pense comme un cuistre, on se demande pourquoi ils se donnent toute
cette peine. Le climat n'est pas rigolo à Vilnius et il n'y a pas
tant de touristes; est-ce que l'argent et les efforts qu'on met à
rénover Vilnius seront "rentables"? On peut aussi penser
autrement: prendre conscience que des citoyens peuvent juger important,
pour leur propre satisfaction, de vivre dans une ville qui soit jolie et
que ceux qui les gouvernent peuvent accepter ce choix. Quand tel est le
cas, on peut dire vraiment que "la fierté a une ville".
Peut-on en dire autant chez-nous? Montréal n'est pas bien pourvue
en églises baroques, mais là n'est pas la question. Est-ce
une raison pour que la laideur soit encouragée - (je pense à
l'Agora sur l'ex-Carré Viger, au Palais des Congrès trônant
sur la puanteur de l'Autoroute Ville-Marie, à l'édicule qu'on
veut bâtir coin Berri-Ste-Catherine)... ? Est-ce une raison pour qu'il
n'y ait rien ici qui ressemble à un plan d'urbanisme qui permettrait
d'aménager des perspectives, d'harmoniser les styles, de placer intelligemment
les nouveaux édifices dans le décor urbain en tenant compte
de l'ensemble au lieu de borner la vision de l'architecte à l'espace
qu'il doit remplir?
Pourquoi des rénovations parcimonieuses, menées sans entrain,
sans véritable espoir, comme s'il s'agissait toujours de colmater
une brèche, jamais de faire un pas en avant? Pouquoi des travaux
qui traînent en longueur, pourquoi jamais un édifice qui suscite
l'enthousiasme ? Même le Musée de l'architecture a surtout
eu le mérite de ne pas défigurer la vieille demeure Saughnessy,
pas celui d'innover. Pourquoi ne pas mettre les gens au travail, nous donner
comme au temps de l'Expo le sentiment de bâtir quelque chose de plus
intéressant qu'un aréna ou un stade de baseball?
On peut penser, à juste titre, que nous avons des problèmes
plus graves à régler que la beauté de Montréal.
Mais, ne nous y trompons pas, la négligence, l'incurie et la bêtise
dont on fait preuve quand il suffirait d'un peu d'imagination et d'intérêt
pour que cette ville devienne plus belle, c'est la négligence, l'incurie
et la bêtise dont on fait preuve quand il suffirait d'un peu d'imagination
et d'intérêt pour que nos autres problèmes sociaux et
économiques soient réglés. La ville qu'on laisse à
l'abandon, c'est le symbole même de la population qu'on a aussi abandonnée.
Et ce n'est pas seulement la beauté qu'on néglige, c'est aussi
la joie qu'on traque. Montréal n'est pas bien pourvue en églises
d'art baroque mais elle est pleine de Montréalais. Des Montréalais
qui ont, comme personne, le sens de la fête. Ça, on l'a vu
à l'Expo, aux Olympiques et on le voit encore chaque été.
L'été, Montréal est l'une des villes les plus intéressantes
du monde.
Ce qui m'amène aux tam-tams. Cette fête populaire, multiethnique
qui a lieu chaque dimanche au flanc du Mont-Royal, c'est aussi un symbole.
C'est une fête qui est née spontanément, sans subventions,
de la simple volonté de quelques Montréalais - des milliers
de Montréalais - d'exprimer leur joie de vivre. C'est le symbole
d'une volonté de vivre ensemble, de s'amuser...
Dimanche dernier j'y étais, en spectateur. J'y ai vu des gens s'amuser.
J'y ai vu aussi circuler par vagues des apprentis-policiers, des jeunes
qui ne pratiquaient pas la guitare ou la batterie mais la mâchoire
serrée et le regard arrogant. Ils assuraient l'Ordre. Mais y avait-il
désordre? Y a-t-il jamais eu à la fête des tam-tams
quelque problème que ce soit? Est-ce que nous, les Montréalais,
nous voulons vraiment qu'on serve des contraventions de 130 $ aux pique-niqueurs
qui prennent un verre de vin sur la pelouse?
Est-ce que c'est ça qu'on attend de nos policiers? De ceux qui nous
font des règlements? Notre sens de la fête, notre joie de vivre,
c'est notre Art Baroque à nous, les Montréalais; on ne nous
en a pas fait d'autre. A défaut de mettre le paquet pour l'encourager,
on souhaiterait que nos gouvernants - ceux-là même qui ne sont
pas foutus de nous faire un plan d'urbanisme acceptable - aient au moins
la jugeote minimale de ne pas y faire obstacle
Pierre JC Allard
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