98.06.17


LE BOOM DE LA MISÊRE

BOOM à l'Accueil Bonneau ! On vient de réveiller en sursaut une population qui, peu à peu, s'accoutumait à voir, comme dans les autres pays sous-développés, quelques milliers des siens mendier du matin au soir et chercher un grabat pour survivre du soir au matin. BOOM ! Regardez la pitié jaillir.... ! Mais la pitié pour qui? Pour quelques inconnus qui sont morts, ou pour ceux qui restent et à qui on se sent collectivement coupable de ne pas offrir le ''strict nécessaire"? Et est-ce que ça ne fait pas pitié, aussi, cette société qui se dit riche et qu'il faut secouer très fort pour qu'elle s'occupe un peu de ses déshérités?

Il y a entre 2 000 et 25 000 itinérants à Montréal. Oui, je sais, ce n'est pas très précis comme estimation, mais tout dépend de celui ou celle à qui vous posez la question; ce qui fait une belle excuse pour ne rien faire, parce qu'il est bien difficile de faire une politique d'aide quand on ne sait pas à combien de gens elle s'adresse. Et puis ceux qui errent et quêtent dans nos rues sont un groupe hétéroclite où se mêlent les vieux de la robine, les jeunes junkies, les débutantes et débutants de la passe sur trottoir, les fugueurs et fugueuses d'occasion, les amateurs de tourisme bas de gamme et à peu près tout ce que vous pouvez imaginer. Comment faire une politique d'aide, si on n'a pas de "profil"?

Peut-être en suivant les voies du bon-sens..., ou en demandant à l'Abbé Pierre..., ou en mettant à profit la pitié qui a jailli suite à l'explosion de l'Accueil Bonneau pour cesser de dépenser du fric à concocter une politique compliquée et pour décider enfin de faire quelque chose. Il n'y a pas d'excuse valable pour que, dans une société comme la nôtre, il n'y ait pas chaque soir un repas sain et un lit tiède pour tout le monde. Et ça n'aide pas de parler de sans-abris ou de SDF (sans domicile fixe) plutôt que d"itinérants;

Il est sans doute vrai - et scandaleux - que 25 000 personnes seront une nuit ou l'autre sans abri cette année à Montréal; ils le seront pour une foule de raisons qu'il est intéressant de connaître, mais qui sont moins importantes que le fait tout simple de les loger cette nuit-là. Surtout, il existe un consensus que, si tout ce monde tâtera de l'itinérance, n'y a guère plus de 2 000 vagabonds endurcis pour qui l'itinérance est le mode de vie permanent et accepté. Et ces 2 000 personnes ne constituent pas un groupe si disparate; ce sont en immense majorité des hommes, ils sont sans liens familiaux actifs et ils ont une dépendance pathologique envers l'alcool, ce qui en fait des malades. C'est ça le fameux "profil". Ces malades, qui les soigne ?

Personne ne les soigne, sauf s'ils échouent en crise dans une urgence d'hôpital. Pourtant, il en coûterait quoi à la ville de Montréal de disposer de 2 000 lits en dortoir, et de donner à chaque itinérant ''régulier"- et ils sont connus - une fiche lui assurant gîte et couvert? Sans doute moins, bon an mal an, que le coût des travaux absurdes qui ont saccagé la Place Jacques-Cartier. En fait rien du tout à la ville de Montréal, puisque chaque itinérant pourrait se voir assigner un curateur et, disposant désormais d'une adresse fixe, pourrait recevoir son chèque du B.S et PAYER via ce curateur pour son lit et son repas.

Pourquoi ne le fait-on pas? Est-ce parce que nous avons perdu toute pudeur que nous ne cachons plus l'itinérance, ou faute de fonds que nous n'y apportons pas de remède... ou parce que nous tenons à garder bien a vue l'image omniprésente de la misère exemplaire? Les vieux clochards ne sont pas là pour être soignés mais pour illustrer le destin qui frappe ceux qui ne jouent pas le jeu et, aussi, pour consoler ceux qui ne bénéficient pas du boom économique néo-libéral mais à qui il reste un chèque du B.S pour vivre, dont les enfants sont nourris à l'école et qui n'ont encore à quêter que quelques jours par mois pour joindre les deux bouts.

"Voyez" - nous dit le Système - "Ça pourrait être pire; vous pourriez être seul, éthylique, sans abri... Accrochez-vous solidement à la pauvreté subventionnée et taisez-vous; un moment d'inattention, un geste de révolte et vous pourriez tomber dans la misère abjecte, l'itinérance...". Et une partie croissante de la population apprend de cette leçon de choses à faire la queue en attendant un emploi qui n'existe pas, en attendant une formation qui ne mène à rien, en attendant la soupe...

Il faudra quoi, pour que ceux qui exploitent la population comme un cheptel et profitent du boom de l'économie se réveillent en sursaut? Que la façade de leur société mal conçue et mal gérée leur explose au visage?




Pierre JC Allard



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