97.11.19
LA TRIFECTA
Pour ceux qui n'ont plus ni la mémoire ni les moyens de savoir
ce qu'est une "trifecta", rassurez-vous: moi non plus. Mais un
coup de téléphone à Blue Bonnets m'a rafraîchi
les idées. Mieux que la Quinella ou le Daily Double, la trifecta
c'est cette combinaison chanceuse, miraculeuse qui vous donne non pas UN,
ni DEUX, mais TROIS gagnants! Cette semaine, ceux qui ont encore le coeur
à lire les journaux ont été servi d'une trifecta. Mais
pas une combinaison chanceuse; une trifecta du malheur, du cynisme et de
l'effronterie d'un Pouvoir dont on se dit que, quoi qu'on lui fasse, il
l'aura bien mérité.
En première page de La Presse: le cynisme. On nous dit sans broncher
que l'inflation a encore baissé mais que, juste au cas ou elle pourrait
monter, la Banque du Canada va tout de même augmenter les taux d'intérêt
... pour éviter une reprise trop rapide. Il faut un sacré
culot pour venir se payer la gueule du monde ordinaire qui n'a pas de travail
en lui disant qu'on va s'assurer qu'il n'en aura pas de sitôt- pas
de reprise trop rapide! - et qu'on va presser le citron un peu plus en augmentant
les taux d'intérêt..., pour éviter une inflation inexistante
qui pourtant, si elle existait, serait la meilleure façon d'enlever
un peu à ceux qui ont tout pour donner quelques miettes à
ceux qui n'ont rien.
C'est un fait connu de tous les économistes qu'une inflation de 5
à 6 % par année ajoute du dynamisme à l'économie.
Une inflation nulle, c'est la garantie en béton que les riches deviendront
plus riches même s'ils ne prennent aucun risque et donc que l'économie
va stagner. C'est ce qu'on appelle un développement durable: la concentration
sans bavure de la richesse dans les mains de quelques privilégiés
au détriment de tous les autres. Dire le contraire est d'un cynisme
à faire vomir.
Dans La Presse toujours, quelques pages plus loin: le malheur. La conséquence
de la politique sociale abjecte de nos gouvernements. Un jeune qui, de diagnostics
bâclés par des médecins qui n'ont plus le temps de les
poser correctement en demi-traitements par des centres de santé qui
n'ont plus les ressources pour en offrir de convenables, va finalement,
après des jours de souffrances terribles, mourir d'une péritonite
que des soins adéquats auraient sans doute pu guérir.
Un cauchemar. Une situation du tiers-monde. Le cas emblématique d'un
Québec en voie de sous-développement. Un sous-développement
voulu, planifié, orchestré par la mise au rancart des ressources
humaines du système de la santé que nous avons dépensé
des milliards de dollars pour édifier depuis trois décennies.
Et pendant que ce jeune meurt faute de soins, d'autres ressources de la
santé manifestent, bien timidement, pour dire qu'on ne leur donne
plus les outils pour travailler... On nous annonce que non seulement le
malheur est là, mais que d'autres malheurs nous guettent. Que font
ceux qui nous gouvernent pour pallier à la crise? Cynique, impassible,
le Pouvoir profite d'une population bonasse et vient arracher encore, un
jour 1/4, un jour 1/8 de 1% d'intérêt pour les nantis.
Ça ne peut pas durer, n'est-ce pas ? Si vous avez encore un espoir,
c'est que vous n'avez pas tout lu. Pendant que les enfants meurent et que
les banquiers s'en mettent plein les poches, on commence maintenant à
nous dire que tout ça est parfaitement naturel. Ça, c'est
l'effronterie.
l'Effrontée de la semaine, c'est une certaine Sherry Cooper, de la
firme Nesbitt Burns, qui vient d'affirmer que le taux de chômage "naturel"
du Canada se situe à 7,5%, celui du Québec à 10,5%,
celui de Terre-Neuve à 16,5%....
"Naturel" - qu'elle nous dit, la frangine - qu'un travailleur
sur dix ou sur six soit au chômage, ce qui, avec l'expérience
que nous avons de la dégringolade chronique des chômeurs vers
le B.S, veut dire qu'il est "naturel" qu'un travailleur sur cinq,
voire un travailleur sur trois, ne travaille pas. "Naturel"? Alors
c'était quoi, dans les années cinquante, le chômage
à 3%? Une vice social contre nature? Un effet surnaturel?
Rassurez-vous, ce n'est pas si compliqué. La Cooper nous explique
que ce chômage est "naturel" parce que, si le chômage
se résorbe davantage, " il se crée des déséquilibres
dans l'économie". Et c'est quoi, ces déséquilibres
dans l'économie? Le déséquilibre, c'est que les salaires
"augmentent fortement".... Ça vous chagrinerait, vous,
que votre salaire augmente fortement? L'effronterie, c'est de prétendre
que soit naturel un équilibre qui réduit au chômage,
à la pauvreté et à l'exclusion près du quart
de la population.
Cynisme, effronterie ... l'outrage au malheur. On voudrait que ce ne soit-là
qu'une "trifecta", une improbable combinaison de déveines...
Mais, hélas, de plus en plus, ce sont les messages quotidiens, probables,
que nous renvoient nos Gouvernants. Il est temps de changer les règles
de la course.
Pierre JC Allard
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