98.05.27
LA PAILLE ET LA POUTRE
Madame Agnes Gruda de La Presse, avec qui je suis d'accord plus souvent
qu'en désaccord, vient néanmoins de publier quelques articles
qui m'ont inquiété. Madame Gruda tombe à bras raccourcis
sur les Écoles Waldof, un réseau peu visible au Québec
mais mondialement connu d'ecoles expérimentales.
Il y a plus de 700 écoles Waldof dans le monde. Ce n'est pas rien.
S'il s'agit d'une secte maléfique, il faudrait qu'on lui règle
son compte rapidement; s'il s'agit d'une plaisante aberration, ça
fait beaucoup de gens qui partage cette douce vésanie. De quoi s'agit-il?
Sur la base des renseignements que nous fournit Madame Gruda, on comprend
qu'un certain Rudolf Steiner a prétendu mettre au point une méthode
pédagogique innovatrice qui fait des enfants plus sains, plus heureux...
Le même Steiner aurait aussi dans ses temps libres - à moins
que ce ne soit le contraire - avancé quelques thèses philosophiques
et spirituelles dont le bien fondé n'est pas prouvé.
Que font les enfants éduqués "à la Steiner"
? Ils tricotent... Ils tricotent, ils font des desseins, ils dansent, ils
font des poëmes et des salutations au soleil, comme de vrais praticiens
de yoga. Ils apprennent quelque chose aussi. Ils apprennent assez pour passer
les examens du ministère tout aussi bien que la moyenne des adolescents
qui sont en garde à vue dans les polyvalentes du Québec.
A part ça? A part ça, un "détail" important:
les enfants qui fréquentent les écoles Waldof sont heureux.
Leurs parents sont aussi assez contents des résultats pour PAYER
pour que leurs enfants reçoivent cette formation... à moins
que ce ne soit, plus prosaïquement, pour les préserver d'avoir
à subir le galimatias insignifiant et prétentieux qu'on sert
aux jeunes dans les écoles conventionnelles.
Ce qui me chagrine, ce n'est pas tant que Madame Gruda parte en guerre contre
les Écoles Waldof et la méthode Steiner; après tout,
il est improbable que quelque pédagogie concoctée il y a plusieurs
décennies soit mieux adaptée à nos besoins actuels
que celles de Socrate ou de Rousseau.
Ce qui me chagrine et m'irrite même un peu, c'est qu'on semble vouloir
juger des résultats de la méthode de Steiner à partir
de ce que ce dernier a pû dire sur d'autres thèmes. Cette façon
de juger d'une méthode à partir de la personnalité
de celui qui en est l'auteur a des relens d'Inquisition que je trouve déplaisants
.
Je pense aussi qu'il faut prendre avec un grain de sel les "saluts
et soleil" et autres fadaises pseudo ou parareligieuses. Sont-elles
dangereuses pour la délicate psyché de l'enfant ? Je ne sais
pas... Mais je sais qu'un Martien qui verrait qu'on propose à des
enfants en bas âge d'adorer un homme nu qui saigne de partout nous
prendrait pour des sauvages. Restons donc pudiquement en dehors du débat
religieux.
Ce qui m'irrite prodigieusement, d'autre part, c'est d'entendre Madame Gruda
crier haro sur quelques écoles dont les travers semblent relativement
anodins, alors qu'on aurait bien besoin d'elle et de tous ceux qui s'intéressent
à l'éducation pour dévoncer un système d'éducation
qui est une loufoquerie. Pourquoi voir la paille dans l'oeil du petit voisin
et non la poutre dans celui du "Système" ? À moins,
que la taille de l'adversaire ne soit le premier critère qui préside
à leur choix.
Nous sommes affligés d'un système d'éducation qui n'enseigne
rien de valable aux enfants entre le moment où on feint de croire
qu'ils savent lire et écrire et celui où on cherche à
leur montrer un métier ou une profession dont l'avenir est problématique.
Toute notre éducation est à repenser... pourquoi ne pas y
penser Madame Gruda?
Je crois fermement que quiconque réussit à obtenir le diplôme
bidon que notre société semble exiger pour accorder le droit
au travail est justifié de le faire de la manière la moins
sotte possible. S'il y réussit sans devoir mettre les pieds dans
une polyvalente, il est béni des dieux. Qu'il aille tricoter à
l'École Waldof est un bien mince prix à payer pour échapper
à cette corvée inutile et abrutissante qu'est le cours secondaire
traditionnel.
Pierre JC Allard
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