98.05.20


CES CHÉRUBINS, NOS ENFANTS


Dans la nuit du 16 au 17 mai, quelqu'un a trouvé amusant d'exprimer ses humeurs en enfonçant le para-brise d'une voiture garée sur la rue Saint-Sulpice au coin de la rue de la Commune. Pour ce faire, il a utilisé une de ces bornes en ciment affichant un panneau d'interdiction de stationner qu'on peut déplacer selon les besoins. Le pare-brise, totalement éclaté, ne s'est pourtant pas rompu; la borne est resté fichée là, comme une hache dans un billot, le panneau bien en évidence... le drapeau de la bêtise flottant sur un pays conquis.

Une victoire de la bêtise, mais une victoire sur qui? Sur quoi? La voiture est garée correctement, dans un espace réservé aux résidants et porte bien la vignette des résidants. C'est une voiture correcte, mais ce n'est pas une Rolls-Royce dorée ni une Ferrari rouge.... Où était la provocation? Borne et panneau doivent faire dans les 20 kilos; pour s'en servir "utilement", il faut tenir le panneau et balancer le bloc de ciment dans le pare-brise, ce qui exige une force supérieure à la moyenne: c'est un travail d'adulte.

Quand des adultes en goguette boivent quelques bières et cassent des pare-brise, il y a un malaise. Quand on célèbre les victoires comme les défaites des équipes sportives locales par des bris et du pillage, il y a un malaise. Le problème n'est pas tant qu'on brise quelque chose mais qu'on brise n'importe quoi. Pas tant que les choses soient brisées, mais que personne ne semble en être choqué. Tout ce qui sert d'exutoire à la population est toléré par les autorités s'il ne menace pas le Système.

Le problème est qu'une population appauvrie sans motifs, brimée sans excuses, abusée de paroles creuses, trahie sans vergogne par ceux qui devraient la protéger, l'éduquer, la diriger soit à sombrer dans la violence gratuite, la délinquance minable, le vandalisme imbécile. Le drame, c'est que la révolte sans objet et sans plan d'action mène à taper sur les innocents qui sont là plutôt que sur les responsables qui sont ailleurs. Le désespoir mène à détruire bêtement les choses qui n'ont que le tort d'être à autrui, alors que le vrai défi est de détruire le Système et de reprendre sereinement ce qui est à nous: nos droits.

Le droit à un travail, le droit à un revenu décent, le droit à une justice rapide, équitable, gratuite, le droit aux services de santé que notre richesse collective nous permet. Le droit à une éducation que ne fera pas de nos enfants des psychopathes... s'il n'est pas trop tard.

Qu'on casse des pare-brise dans le Vieux-Montréal dénote un malaise; le même malaise - né du ras-le bol de la population et de l'incapacité de l'État à y faire face - se manifeste de façon plus tragique dans nos écoles. "Un prof agressé tous les quatre jours à la CECM", titre La Presse . 30% des agressions justifient l'intervention de la police. Des menaces de mort contre un professeur, à Louis Riel, ont été assez sérieuses pour que celui-ci démissionne et parte sans laisser d'adresse. Les élèves frappent, mordent, griffent, ... les écoles se taisent.

Les élèves battent leurs professeurs et se battent aussi entre eux, se menacent, se "taxent" jusqu'à pousser au suicide... Les écoles se taisent. Des parents se permettent d'intervenir sur les lieux de l'école pour prendre agressivement le parti de leurs enfants... les écoles se taisent, peut-être d'ailleurs, en ce cas, parce qu'elles sont conscientes de ne pas pouvoir assurer correctement la sécurité de ces enfants.

Les écoles manifestent la même veulerie, la même impuissance à faire respecter l'ordre que le Système lui-même et sans doute pour la même raison. L'école ne transmet plus de valeurs, plus de sentiment d'appartenance, plus de connaissances vraiment utiles au travail. Elle a abdiqué sa mission. Elle est le miroir de la société dont elle est issue et, comme cette société, elle ne se sent plus l'autorité morale d'intervenir pour empêcher les excès de ceux auxquels elle ne donne plus la sécurité ni le leadership auxquels ils ont droit.

Les écoles laissent s'installer le désordre, parce que, comme la société, elles sentent confusément que l'ordre qu'elles représentent, discrédité par l'injustice et le mensonge, n'a plus aucune légitimité. Comment empêcher le fort de taxer le faible à l'école, quand les nantis de notre société nous soutirent à tous chaque année, y compris les pauvres et les faibles, 40 milliards de dollars en intérêts ?

Une société qui n'a plus l'autorité morale d'assurer l'ordre dans ses écoles en fait les sites où s'enseigne la violence et en payera le prix. Ces chérubins, nos enfants. éduqués à l'école de la violence plutôt que de la justice, - et n'accordant aucun respect à un Système qui, d'ailleurs, n'en mérite pas - pourraient plus tard, confrontés à l'injustice et privés d'espoir, réagir autrement que les pauvres couillons qui aujourd'hui brisent lâchement des pare-brise quand ils n'en peuvent plus...

Souvenons-nous que l'image du Chérubin-enfant-joufflu-rosé est récente; dans la tradition biblique, les vrais Cherubim sont les terribles guerriers du ciel, ceux qui portent l'épée de feu... Si les exploiteurs qui gèrent le Système ne règlent pas à l'amiable pour un peu de justice, avec nous qui avons été éduqués à la discussion rationnelle et à la non-violence, ils devront faire face bientôt à ces chérubins, nos enfants, éduqués hélas autrement... et qui pourraient bien leur trancher la gorge.



Pierre JC Allard



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