98.05.13
AU TOUR DE LA DAME DE COEUR
Vous avez tout vu et tout lu sur le "Tyran de Beaumont", cet individu
qui a torturé ses enfants pendant 14 ans avant qu'on ne mette fin
à ses jeux sadiques? Rassurez-vous, je ne viens pas en remettre et
en rajouter; quand on a fait la preuve des faits et que le coupable a été
condamné, je pense qu'on ne gagne rien à s'attarder sur la
description des sévices. Certains regretteront que l'individu ne
reçoive pas deux balles dans la nuque, mais ceci est une autre histoire.
Pensons plutôt au présent et à l'avenir. Au moment où
vous lisez ces lignes, vous pouvez être certains qu'il y a, quelque
part au Québec, un enfant qui est en train de passer un sale quart
d'heure. En fait, si on se base sur le nombre de ces crimes, il y en a plusieurs
qu'on est à faire souffrir aujourd'hui, par bêtise, par impatience,
pour s'amuser... Et la plupart de ces enfants pleureraient de joie si on
leur disait que ça ne durera qu'un quart d'heure; la triste réalité,
c'est que ça va durer des années.
Alors, qu'est-ce qu'on fait? Eh bien, puisque ni vous ni moi n'avons les
ressources ni les connaissances pour intervenir et faire cesser ces horreurs,
il semble bien qu'il va falloir s'en remettre à quelqu'un pour s'en
occuper. Au gouvernement, par exemple. Le gouvernement pourrait - et devrait
- mettre en place un organisme bien structuré, pourvu des ressources
humaines et matérielles nécessaires, dont ce serait la mission
de voir à ce que ces choses n'arrivent pas. Un organisme qui, du
même coup, pourrait prendre en charge les enfants en difficultés,
prévenir le mal... Cet organisme serait vigilant, il réagirait
avec célérité à toutes les indications laissant
supposer qu'un enfant est maltraité, ce serait comme un organisme
de protection de la jeunesse, quoi !
Pardon? Quoi? Je vous entends mal.... Ah, vous me dites qu'il existe déjà
un organisme de protection de la jeunesse, la DPJ ... Tiens donc! On aurait
pas crû... Elle faisait quoi, la DPJ, pendant qu'on torturait des
enfants, 14 ans durant, à Beaumont? La Presse rapporte que, durant
toutes ses années, pas moins de 129 personnes de la DPJ ont été
en contact avec les victimes. Comment 129 personnes dont c'est le travail
- et dont on pourrait espérer qu'elles sont un tant soit peu intéressées
à ce qu'elles font - ont-elles pu ne rien voir? Comment peut-on être
à ce point inepte !
Elle faisait quoi, la DPJ, pendant qu'on torturait des enfants? D'abord,
elle faisait l'objet de rapports. Un bilan complet en 1988 qui était
déjà bien critique. Un autre en 1991, qui soulignait que le
système était inefficace..., et on remet ça en 1992,
alors qu'un groupe de travail constate que la DPJ manque de coordination.
Quand la Commission des droits de la personne a remis un rapport dévastateur
sur la DPJ, il y a deux semaines, est-ce que quelqu'un a été
vraiment étonné?
Je pense qu'au moins une personne à dû être étonnée:
Madame la Juge Andrée Ruffo. Pas étonnée que le rapport
soit dévastateur, étonnée que quelqu'un, enfin, sorte
du coma fonctionnairesque et prête au sort des enfants maltraités
autant d'attention qu'au sort des bébés phoques.
Parce qu'il n'y a pas eu que les rapports périodiques des sempiternels
groupes d'étude et commissions pour dire que les choses ne tournaient
pas rond à la DPJ. Il y a eu aussi - surtout - les commentaires presque
quotidiens de Madame Ruffo. Des commentaires si percutants, que les fonctionnaires
de la DPJ ont eu l'effronterie de "boycotter" la cour de Madame
Ruffo; des commentaires assez acerbes pour que le système judiciaire
ait la faiblesse de céder aux pressions de la DPJ et de muter la
Juge Ruffo, plutôt que de foutre en tôle, pour mépris
de cour, les petits minables qui ne comprennent rien à la séparation
des pouvoirs et qui pensent que c'est à l'administration de choisir
ses juges.
Pendant que l'on ne s'intéressait pas assez à la DPJ - laquelle,
si on en juge par le rapport de la Commission des droits de la personne,
ne s'intéressait pas assez aux enfants - Madame la Juge Ruffo n'a
pas cessé d'attirer l'attention sur ce problème. Elle l'a
fait si souvent qu'elle a même réussi à en lasser les
journalistes, lesquels, on le sait, préfèrent travailler sur
du neuf, quitte à laisser les vieux problèmes sans solution.
Elle les a tant lassés qu'on se garde bien, dans les médias,
maintenant que la DPJ se fait dire ses vérités par tout le
monde, d'évoquer les charges à fond de train de la dame de
coeur, de celle qui a eu le courage de dire la vérité sur
la DPJ quand elle était presque la seule à le faire. Madame
Ruffo dérange, donc on l'ignore. On la censure par omission.
Et pourtant, si on pense à aujourd'hui et à demain, est-ce
que c'est par l'un ou l'autre des 129 ronds-de-cuir qui n'ont rien vu à
Beaumont et leurs semblables que la DPJ devrait être repensée
et remise sur le rail? Ou ne serait-ce pas plutôt par quelqu'un qui
s'intéresse vraiment aux enfants? Une dame de coeur, par exemple
?
Pierre JC Allard
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