98.05.06
LA BASSESSE GRATUITE
Le Québec et l'Ontario viennent de servir une magistrale paire de
gifles au gouvernement Chrétien en déclarant que la loi d'indemnisation
des victimes du sang contaminé était inacceptable. L'Ontario
va même plus loin et annonce qu'elle prend seule la relève
pour ceux que la loi fédérale laisse à l'écart.
Au Québec, c'est même Daniel Johnson qui presse le gouvernement
du Québec de venir compléter ce qu'Ottawa n'a fait qu'à
moitié !
La première conséquence de cette levée de bouclier,
c'est naturellement que des victimes à qui on refusait une compensation
vont la recevoir. Alléluia ! Mais il y a d'autres conséquences
à ces rebuffades en série qu'on inflige aux Libéraux
de Jean Chrétien sur cette question... Même si cette chronique
n'a pas été conçue comme un roman-fleuve, il est nécessaire
aujourd'hui - une fois n'est pas coutume - de revenir sur le sujet de la
semaine dernière
L'affaire du vote de confiance sur l'indemnisation des victimes du sang
contaminé mérite qu'on y revienne, parce qu'elle a une MORALE.
Comme les fables de Lafontaine ont une morale, comme les vieux films de
cow-boys avaient une morale. Cette horrible affaire d'irresponsabilité,
de magouille et de mesquinerie devient une leçon morale, puisque
aujourd'hui les méchants sont punis et les lâches humiliés.
Ne laissons pas passer cette occasion de saluer une petite victoire du bien
dans la vie réelle.
Une victoire du bien? Bon, n'en mettons pas trop... Quand M. Johnson, en
fin de carrière, prend tout à coup ses distances du grand
frère fédéral sur cette question du sang contaminé,
est-ce vraiment l'iniquité de la décision des Libéraux
d'Ottawa excluant de la compensation la moitié des victimes qui le
révolte... ou n'est-il que trop heureux de jeter une pelure de banane
sous les pieds de ceux qui l'ont laissé tomber comme un vieux chiffon
il y a quelques semaines?
Et quand M. Harris - (qui n'a jamais donné aux historiens la moindre
chance d'utiliser les mots "générosité" et
"compassion" dans les pieds-de-page qu'on lui consacrera un jour)
- décide d'indemniser les victimes au-delà des limites que
vient de fixer le gouvernement Chrétien, est-ce son coeur qui saigne...
ou le début d'une campagne électorale?
N'en mettons pas trop, car il n'y a pas vraiment de héros dans cette
histoire: ce sont des balles perdues qui ont abattu les méchants...
et les victimes, hélas, ne seront pas sauvées. Ne clamons
pas trop fort la victoire du bien, mais réjouissons-nous que la grande
mesquinerie des petits politiciens d'Ottawa ait au moins été
contrée cette fois, même si certains pensent que c'est par
les petites mesquineries d'autres politiciens.
Réjouissons-nous de la leçon de morale que tirera la population,
on l'espère, de voir ainsi pris à son propre piège
un gouvernement qui se retranchait derrière une supposée entente
ferme avec les provinces pour imposer à ses députés-poteaux
de voter la "ligne du parti" sans égards à ce que
leur dictait leur conscience.
Ne nous réjouissons pas, cependant, c'est trop triste, de l'humiliation
que les circonstances font vivre aujourd'hui à ces députés
libéraux qui n'ont pas eu le courage de voter selon leur conscience
mais ont TOUS, au contraire, accepté de passer sous les fourches
caudines, même ceux engagés depuis longtemps dans la lutte
pour l'indemnisation des victimes.
Que ressentent aujourd'hui ceux qui se sont ainsi précipités
dans cette "bassesse gratuite" dont parle Gogol, un abaissement
qui ne procure aucun autre avantage que la satisfaction perverse de sentir
qu'on est à sa vraie place le front à terre, aux pieds de
ceux qui, de droit divin, donnent des ordres? Que ressentent-ils maintenat
que leur couardise n'a même pas assuré le triomphe de la petite
partisanerie au service de l'iniquité?
Je ne sais pas ce que ressentent aujourd'hui ces députés libéraux
qui ne croyaient pas que la loi d'indemnisation des victimes du sang contaminé
était juste, mais qui l'ont pourtant votée en cédant
aux pression de leur parti. Mais je sais que la population va tirer la morale
de l'histoire. La morale de l'histoire, c'est que des députés
au service d'un parti ne servent à rien. A rien, puisque pas un seul
d'entre eux, quand il fallait le faire, n'a choisi d'agir avec honneur et
d'écouter sa conscience.
Il est temps de revenir à une vraie démocratie: la population
voudrait ne plus avoir à rougir de ceux qui la représentent
Pierre JC Allard
Le site de Stephan
Tremblay