98.05.27
VISA DE SORTIE
Le Docteur Maurice Généreux a été condamné
à deux ans de prison. Il avait plaidé coupable à l'accusation
d'avoir prescrit de puissants barbituriques à deux séropositifs
qui souhaitaient se suicider. Le Conseil des Canadiens handicapés
se dit déçu; la sentence ne serait qu'"une petite tape
sur le bras...". Le Procureur en la cause trouve aussi que c'est bien
peu, et il ira en appel: il voulait 6 ans de pénitencier. L'an dernier,
on s'est creusé les méninges pour trouver une excuse légale
qui permette de ne pas condamner à la prison à vie cet homme
qui avait mis fin aux souffrances de sa fille incurable. Il y a quelques
années, c'était Sue Rodriguez qui faisait les manchettes en
réclamant qu'on l'aide à ne plus vivre, à ne plus souffrir...
J'aimerais bien que le gouvernement arrête de faire semblant de ne
pas comprendre. Est-ce qu'on s'interroge sur le droit des handicapés
à vivre? Est-ce qu'on se demande si les médecins ont le droit
de décider de tuer leurs patients? Est-ce que quelqu'un veut sérieusement
proposer que les conseils de famille, héritiers inclus, choisissent
sans leur en parler de mettre fin au moment opportun aux jours de leurs
vieux parents? Si c'était ça, je pense que le débat
serait terminé: l'immense majorité de la population, comme
moi, veut qu'on respecte le droit à la vie des handicapés,
des vieillards et de tous ceux qui veulent vivre.
Mais s'il s'agit de contester à un adulte consentant et sain d'esprit
le droit de mourir quand il lui plaît, c'est une toute autre histoire.
Si c'est ça et que la maladie et la souffrance - ou des raisons qui
ne regardent que lui - amènent quelqu'un à prendre cette décision,
je ne voudrais pas, en conscience, être celui qui viendrais l'en empêcher.
Je ne crois pas que l'on devrait l'en empêcher. Je ne crois pas que
le médecin ait d'autres questions d'éthique à se poser,
avant d'aider un patient à mettre fin à ces jours, que de
s'assurer que son patient sait ce qu'il fait et ne subit l'influence de
personne.
Et qu'on ne vienne pas me dire que quiconque veut mettre fin à ses
jours n'est pas sain d'esprit. Pour celui qui voit venir une mort lente
et douloureuse après des jours ou des années d'une vie dont
toute joie sera exclue, choisir de mourir n'est pas une preuve d'insanité:
c'est une décision peut-être discutable, mais qu'il faut respecter.
Ceux qui s'y opposent pour des raisons religieuses s'arrogent le droit de
transformer en lois leurs croyances, ce qui est inadmissible. Le principe
sacré qu'il faudrait établir, c'est que mourir est bien une
décision personnelle.
Quand ce principe sera établi, on évitera bien des malentendus.
On ne demandera plus aux médecins que de s'assurer que c'est bien
la décision réfléchie du patient de ne plus vivre.
Peut-être qu'une demande écrite devant notaire, un délai
de réflexion de 30 jours et un examen par un psychiatre spécialement
habilité à cette fin feraient l'affaire. Ça ou autre
chose. L'important, c'est de décider une fois pour toute que la vie
n'est pas une prison dont on a perdu la clef ni un goulag: on peut demander
un visa de sortie.
En réglant le cas de l'adulte consentant et sain d'esprit - et par
voie de conséquence de ceux qui acceptent dans les conditions pré-établies
de lui prêter assistance - on règle des malentendus mais on
est loin d'avoir tout réglé. On n'a pas réglé
le cas de ceux qui ne peuvent pas prendre la décision eux-mêmes.
Pour la majorité de ceux-ci, toutefois, il y a une solution.
Tout citoyen devrait, dans les 30 jours suivant sa majorité, être
tenu de faire devant notaire une déclaration précisant ses
instructions de survie ou d'euthanasie si, pour cause de maladie ou accident,
il était inconscient ou devenait incapable d'une décision
à cet effet. Cette déclaration consisterait en un formulaire
déjà préparé permettant de répondre à
certaines questions précises - conditions de ré-animation,
états comateux prolongés, incapacités graves permanentes,
etc - complété des notes spécifiques que l'individu
voudrait y ajouter.
Cette déclaration serait scellée et gardée dans les
voûtes d'un registraire de l'État. L'individu pourrait la modifier
en tout temps, mais nul autre n'y aurait accès sous aucun prétexte.
Advenant les circonstances où il semblerait nécessaire d'obtenir
cette décision d'un patient alors qu'il est désormais incapable
de la prendre, la déclaration serait ouverte en présence d'un
juge, du médecin responsable et des héritiers légaux.
Ce serait ensuite la responsabilité du médecin d'accomplir
la volonté de son patient, telle qu'exprimée dans sa déclaration.
Cette approche non plus ne règle pas tout. Que doit-on faire pour
les enfants qui souffrent ? Pour ceux qui ne sont pas sains d'esprit? Dans
ces cas, il me semble que les risques de dérapage sont trop grands
pour qu'on soit permissif: on ne devrait jamais justifier le meurtre par
compassion de quiconque n'y a pas formellement consenti. Ce qui ne devrait
pas empêcher les juges d'avoir comme aujourd'hui, envers ceux qui
agissent de la sorte, l'indulgence que chaque cas d'espèce leur semblera
justifier.
Si l'État prenait ainsi une position claire, on rassurerait les hancicapés
et les autres qui se sentent menacés, tout en allégeant le
poids sur les épaules de ceux pour qui la vie est devenue un fardeau
et en exonérant ceux qui les aide à accomplir leur dernière
volonté.
Pierre JC Allard
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