La santé bien encadrée



1. LES EXPONENTIELLES

Les techniques médicales s'améliorent sans cesse; on vit et on survit plus longtemps. A des coûts que certains jugent insupportables: il en coûte 180 000 dollars par année pour maintenir en vie certains patients.

On peut dire que c'est ce qu'il en coûterait pour nourrir pendant un an, au Sahel, un village de 300 familles, mais ça, c'est de la démagogie. Le coût des soins médicaux, c'est d'abord du temps. Le temps précieux du personnel de santé qualifié, lequel ne peut pas se transformer en manioc pour les Maliens et les Burkinabés.

Ce qui est vrai, d'autre part, c'est que ces 180 000 dollars représentent le travail à temps plein d'un médecin, d'une infirmière et de deux auxiliaires, et qu'on ne peut pas augmenter indéfi-niment, au rythme des progrès de la médecine, le nombre de ceux dont la vie consiste à préserver celle des autres.

Simultanément, le champ des con-naissances médicales s'élargit et, malgré une sélection de plus en plus sévère au départ, il devient impen-sable d'entrer dans la tête des futurs médecins tout ce qu'il faudrait y mettre pour qu'ils deviennent ces guérisseurs universels et omniscients qu'on a voulu qu'ils soient: tout tend donc à devenir objet de spécialisation.

Croissance exponentielle des coûts, et croissance exponentielle des connaissances, quelque chose va craquer et on a des choix difficile à faire. Mais avant de tirer à la courte paille qui on va débrancher, il vaudrait mieux remettre en question de vieux mythes, revoir nos systèmes et l'utilisation des ressources, et devenir plus efficaces.



2. LES GRANDS INITIÉS

Comme le mythe qu'il doit y avoir un fossé infranchissable dans le système de santé entre, d'un coté, l'Oint du Seigneur, le grand initié, le médecin qui a toute la science, et, de l'autre coté, ceux qui n'ont pas reçu la Grâce et qui sont tout juste bons à exécuter des instructions.

C'est un mythe couteux, et une Nouvelle Société va devoir bâtir un cadre où existeront, beaucoup plus qu'aujourd'hui, entre le docteur et le profane, des paliers intermédiaires de techniciens médicaux dont chacun aura ses compétences reconnues, soulageant d'autant la tâche traditionnelle du médecin.

Des paliers professionnels, allant du premier niveau d'infirmière auxiliaire au Bachelier en Médecine (qui après trois ans d'université, en saura bien plus qu'un omnipraticien dans une branche de la médecine), en passant par l'infirmier(e) diplômé(e) et les titulaires d'un bac en nursing, chaque palier ayant ses attributions.

Un encadrement qui, cependant, ne se limitera pas à ces paliers profes-sionnels, mais mettra aussi à profit le réservoir de bonne volonté que constitue d'abord le bénévolat, et surtout la capacité de chacun de se prendre lui-même en charge.

Pour que le nombre de médecins et de paramédicaux que nous pouvons nous payer suffise pour les cas où ils sont vraiment essentiels, il va falloir demander au patient ordinaire de s'aider un peu et de devenir lui-même raisonnablement "initié". Et qu'il com-mencer par pouvoir identifier la plupart du temps, sans avis médical, ses propres petits problèmes de santé.


3. AIDE TOI ...

On se plaint de l'encombrement des salles d'urgence et du surmenage des médecins, mais on décourage tant qu'on peu l'autodiagnostic. Essayez de téléphoner à un hôpital, d'expliquer vos malaises et d'avoir quelques conseils! Le système n'a qu'une seule réponse: "passez nous voir".

Ce qui est prudent dans une société où l'on n'a jamais voulu informer le monde ordinaire même des rudiments de l'art... mais est une réminiscence aussi du temps, heureusement révolu, où il était important de voir chaque patient en chair et en os pour lui présenter la facture.

Cette réticence à laisser l'individu assumer un rôle actif en santé doit disparaître. Et cela commence par une formation de base. Chaque enfant, dès l'école primaire, devrait être sensibilisé à la prévention, bien sûr, mais aussi initié - sans lui créer d'anxiété ni lui mettre en main les médicaments! - à interpréter ses symptômes les plus fréquents.

Au niveau secondaire, il devrait en apprendre plus. Les premiers soins - type Ambulance St-Jean - devraient être une matière obligatoire; il est absurde qu'on exige du monde ordinaire - car le secondaire est bien pour tout le monde, n'est-ce pas? - d'y apprendre le calcul différentiel... mais qu'on ne juge pas essentiel de lui montrer à poser un tourniquet ou à donner la respiration artificielle!

Au collégial, chaque étudiant devrait en apprendre encore plus. Assez pour pouvoir apprendre à intervenir en cas d'urgence au niveau secourisme avancé. Surtout, l'étudiant du collège devrait apprendre à parler à Esculape.


4. ...ET ESCULAPE T'AIDERA

 

Esculape - (ou quel que soit le nom qu'on décidera de lui donner) - sera un système informatisé d'aide au diagnostic qui permettra à une partie significative de la population de porter un premier jugement sur sa propre condition de santé et aussi, en cas d'urgence, sur celle des autres.

Rien là de futuriste; les conditions existent déjà pour mettre en place un tel système. Quand un médecin vous examine de façon sommaire, il voit certains symptômes apparents, note vos réponses à certaines questions et vous fait quelques tests très simples.

A partir de ces données, il élimine déjà 99,9% des diagnostics possibles; si parmi ceux qui restent il y en a de graves, il passera à une autre étape qui exigera des tests plus complexes que ce qu'il peut faire sur place. Si non, il vous prescrira du repos et un médicament banal.

Cet examen sommaire et ces tests simples, quiconque n'est pas trop bête peut les faire, comme il suffit de les apprendre pour poser ces questions. C'est pour décider qu'il faut tester davantage ou que le mal est bénin qu'intervient l'expérience du médecin.

Ou que pourrait intervenir, de façon bien plus rapide et plus sûre, un ordinateur programmé pour le faire à partir de l'expérience de douzaines de médecin. Un "système-expert".

Il suffirait d'avoir accès à ce "système-expert", par téléphone ou par tout autre moyen de communication ..., et d'avoir sur place ce quelqu'un "pas trop bête" qui tiendrait le thermomètre. Est-ce que tout diplômé du collégial ne devrait pas savoir le faire?


5. LES SAMARITAINS

Si chaque diplômé du collégial avait reçu la formation très simple qui lui permettait ce dialogue avec Esculape et acceptait de le faire gracieusement, en bon samaritain, pour lui-même, sa famille, ses voisins et au besoin qui que ce soit, on éliminerait une foule de consultations inutiles aux urgences et aux cliniques... et bien de l'anxiété.

Est-ce que ces diplômés des Cegep - qui coûtent tout de même quelques sous à la société - n'accepteraient pas de rendre ce petit service au monde ordinaire? Et quand Esculape dirait "danger", le patient irait vers le niveau suivant de diagnostic, où un médecin - moins occupé parce qu'il serait libéré des consultations inutiles - le prendrait alors en charge.

Et il y a d'autres façons de mettre à contribution le potentiel de bénévolat de la population. Après une formation appropriée et un examen sérieux, bien des gens pourraient être accrédités et devenir "ambulanciers volontaires".

Leur voiture - de modèle adéquat - serait aménagée aux frais de l'État de tout léquipement de premiers soins et de réanimation nécessaire, et serait reliée par radio à un centre de coordination branché sur le "911". Les appels seraient distribués selon la proximité et la disponibilité, comme le sont les maintenant appels aux taxis.

Si des centaines de ces ambulances bénévoles circulaient, la charge de travail ne serait lourde pour personne. Less patients seraient plus vite à l'hôpital, à bien meilleur coût pour l'État. Il faudrait seulement tenir ces volontaires à l'abri de poursuites en dommages, sauf évidement s'il y a faute lourde ou grossière négligence.


6. LES PROFESSIONNELS

Le but de confier certaines fonctions à des bénévoles n'est pas de réduire le nombre des professionnels de la santé, car la demande pour leurs services est inépuisable; c'est de repousser d'un cran vers le haut les tâches de la plupart d'entre eux.

Ou plutôt, de revoir à la hausse leur définition de tâches pour que celle-ci colle à la réalité quotidienne. Aujour-d'hui, un(e) infirmier(e) a déjà un pouvoir considérable sur le traitement du malade et, quand il ou elle a quelques années d'expérience, sait sans doute bien mieux que le médecin traitant comment doser la médication.

L'éthique de sa profession lui impose d'ailleurs d'user de son jugement, lui faisant du même coup porter une responsabilité pour laquelle il ou elle n'a pas l'autorité. Il faut revoir sa formation et lui donner, dans certaines circonstances, plus de discrétion et un mandat plus large pour réagir aux demandes du patient.

Quant aux diplômé(e)s du bac en nursing, ce sont des gens qui ont une scolarité qui se compare à celle d'autres professionnels dont on ne met pas en doute l'autonomie. Sans mettre en question le leadership du médecin dans le dossier médical, il y a une bonne part de ses attributions qui devraient être déléguées de façon routinière et devenir la responsabilité propre de ces diplômé(e)s en nursing.

Et n'y a-t-il pas aussi quelques chose d'absurde dans la formation actuelle des spécialistes dont nous avons besoin? Pourquoi ne pas former des techniciens médicaux spécialisés, en trois ans, dans le cadre d'un baccalau-réat en médecine?


7. LES SPÉCIALISTES

Il faut des docteurs en médecine. Comme il faut, en toute discipline, des généralistes chevronnés qui ont une vue d'ensemble et qui font les grandes synthèses. Mais est-il bien nécessaire que chaque spécialiste - (dont toute la carrière par la suite se bornera à soigner l'oeil, les organes génitaux ou la psyché de ses clients) - ait préalablement reçu cette formation globale que nous leur imposons?

Pourquoi la société devrait-elle payer une formation de médecine générale à tous les médecins, alors que la moitié d'entre eux ne garderont plus tard de leurs études générales de médecine que ce qu'ils auraient pu en apprendre en quelques semaines?

L'anesthésiste de dix ans de pratique spécialisée en sait-il plus que vous sur votre sinusite? Et entre une sage-femme et un psychiatre, à qui vaut-il mieux confier un accouchement? Les futurs spécialistes perdent un temps précieux à apprendre des choses qu'en bonne conscience ils refuseront plus tard d'appliquer.

Il faut créer des baccalauréats en médecine dans une douzaine de spécialités. Les diplômés qui en sorti-ront, après trois ans, auront des connaissances plus restreintes que nos spécialistes actuels, qu'il ne s'agit pas de remplacer mais d'épauler; mais ils en saurontt bien plus qu'un généraliste dans leur champ de compétence. Et nous aurons ainsi, en nombre suffisant, ces ressources dont nous aurons de plus en plus besoin.



Mise a jour 1999

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