Les techniques médicales s'améliorent sans
cesse; on vit et on survit plus longtemps. A des coûts que certains
jugent insupportables: il en coûte 180 000 dollars par année
pour maintenir en vie certains patients.
On peut dire que c'est ce qu'il en coûterait pour nourrir pendant
un an, au Sahel, un village de 300 familles, mais ça, c'est de la
démagogie. Le coût des soins médicaux, c'est d'abord
du temps. Le temps précieux du personnel de santé qualifié,
lequel ne peut pas se transformer en manioc pour les Maliens et les Burkinabés.
Ce qui est vrai, d'autre part, c'est que ces 180 000 dollars représentent
le travail à temps plein d'un médecin, d'une infirmière
et de deux auxiliaires, et qu'on ne peut pas augmenter indéfi-niment,
au rythme des progrès de la médecine, le nombre de ceux dont
la vie consiste à préserver celle des autres.
Simultanément, le champ des con-naissances médicales s'élargit
et, malgré une sélection de plus en plus sévère
au départ, il devient impen-sable d'entrer dans la tête des
futurs médecins tout ce qu'il faudrait y mettre pour qu'ils deviennent
ces guérisseurs universels et omniscients qu'on a voulu qu'ils soient:
tout tend donc à devenir objet de spécialisation.
Croissance exponentielle des coûts, et croissance exponentielle des
connaissances, quelque chose va craquer et on a des choix difficile à
faire. Mais avant de tirer à la courte paille qui on va débrancher,
il vaudrait mieux remettre en question de vieux mythes, revoir nos systèmes
et l'utilisation des ressources, et devenir plus efficaces.
Comme le mythe qu'il doit y avoir un fossé infranchissable
dans le système de santé entre, d'un coté, l'Oint du
Seigneur, le grand initié, le médecin qui a toute la science,
et, de l'autre coté, ceux qui n'ont pas reçu la Grâce
et qui sont tout juste bons à exécuter des instructions.
C'est un mythe couteux, et une Nouvelle Société va devoir
bâtir un cadre où existeront, beaucoup plus qu'aujourd'hui,
entre le docteur et le profane, des paliers intermédiaires de techniciens
médicaux dont chacun aura ses compétences reconnues, soulageant
d'autant la tâche traditionnelle du médecin.
Des paliers professionnels, allant du premier niveau d'infirmière
auxiliaire au Bachelier en Médecine (qui après trois ans d'université,
en saura bien plus qu'un omnipraticien dans une branche de la médecine),
en passant par l'infirmier(e) diplômé(e) et les titulaires
d'un bac en nursing, chaque palier ayant ses attributions.
Un encadrement qui, cependant, ne se limitera pas à ces paliers profes-sionnels,
mais mettra aussi à profit le réservoir de bonne volonté
que constitue d'abord le bénévolat, et surtout la capacité
de chacun de se prendre lui-même en charge.
Pour que le nombre de médecins et de paramédicaux que nous
pouvons nous payer suffise pour les cas où ils sont vraiment essentiels,
il va falloir demander au patient ordinaire de s'aider un peu et de devenir
lui-même raisonnablement "initié". Et qu'il com-mencer
par pouvoir identifier la plupart du temps, sans avis médical, ses
propres petits problèmes de santé.
On se plaint de l'encombrement des salles d'urgence et
du surmenage des médecins, mais on décourage tant qu'on peu
l'autodiagnostic. Essayez de téléphoner à un hôpital,
d'expliquer vos malaises et d'avoir quelques conseils! Le système
n'a qu'une seule réponse: "passez nous voir".
Ce qui est prudent dans une société où l'on n'a jamais
voulu informer le monde ordinaire même des rudiments de l'art... mais
est une réminiscence aussi du temps, heureusement révolu,
où il était important de voir chaque patient en chair et en
os pour lui présenter la facture.
Cette réticence à laisser l'individu assumer un rôle
actif en santé doit disparaître. Et cela commence par une formation
de base. Chaque enfant, dès l'école primaire, devrait être
sensibilisé à la prévention, bien sûr, mais aussi
initié - sans lui créer d'anxiété ni lui mettre
en main les médicaments! - à interpréter ses symptômes
les plus fréquents.
Au niveau secondaire, il devrait en apprendre plus. Les premiers soins -
type Ambulance St-Jean - devraient être une matière obligatoire;
il est absurde qu'on exige du monde ordinaire - car le secondaire est bien
pour tout le monde, n'est-ce pas? - d'y apprendre le calcul différentiel...
mais qu'on ne juge pas essentiel de lui montrer à poser un tourniquet
ou à donner la respiration artificielle!
Au collégial, chaque étudiant devrait en apprendre encore
plus. Assez pour pouvoir apprendre à intervenir en cas d'urgence
au niveau secourisme avancé. Surtout, l'étudiant du collège
devrait apprendre à parler à Esculape.
Esculape - (ou quel que soit le
nom qu'on décidera de lui donner) - sera un système informatisé
d'aide au diagnostic qui permettra à une partie significative de
la population de porter un premier jugement sur sa propre condition de santé
et aussi, en cas d'urgence, sur celle des autres.
Rien là de futuriste; les conditions existent déjà
pour mettre en place un tel système. Quand un médecin vous
examine de façon sommaire, il voit certains symptômes apparents,
note vos réponses à certaines questions et vous fait quelques
tests très simples.
A partir de ces données, il élimine déjà 99,9%
des diagnostics possibles; si parmi ceux qui restent il y en a de graves,
il passera à une autre étape qui exigera des tests plus complexes
que ce qu'il peut faire sur place. Si non, il vous prescrira du repos et
un médicament banal.
Cet examen sommaire et ces tests simples, quiconque n'est pas trop bête
peut les faire, comme il suffit de les apprendre pour poser ces questions.
C'est pour décider qu'il faut tester davantage ou que le mal est
bénin qu'intervient l'expérience du médecin.
Ou que pourrait intervenir, de façon bien plus rapide et plus sûre,
un ordinateur programmé pour le faire à partir de l'expérience
de douzaines de médecin. Un "système-expert".
Il suffirait d'avoir accès à ce "système-expert",
par téléphone ou par tout autre moyen de communication ...,
et d'avoir sur place ce quelqu'un "pas trop bête" qui tiendrait
le thermomètre. Est-ce que tout diplômé du collégial
ne devrait pas savoir le faire?
Si chaque diplômé du collégial avait
reçu la formation très simple qui lui permettait ce dialogue
avec Esculape et acceptait de le faire gracieusement, en bon samaritain,
pour lui-même, sa famille, ses voisins et au besoin qui que ce soit,
on éliminerait une foule de consultations inutiles aux urgences et
aux cliniques... et bien de l'anxiété.
Est-ce que ces diplômés des Cegep - qui coûtent tout
de même quelques sous à la société - n'accepteraient
pas de rendre ce petit service au monde ordinaire? Et quand Esculape
dirait "danger", le patient irait vers le niveau suivant de diagnostic,
où un médecin - moins occupé parce qu'il serait libéré
des consultations inutiles - le prendrait alors en charge.
Et il y a d'autres façons de mettre à contribution le potentiel
de bénévolat de la population. Après une formation
appropriée et un examen sérieux, bien des gens pourraient
être accrédités et devenir "ambulanciers volontaires".
Leur voiture - de modèle adéquat - serait aménagée
aux frais de l'État de tout léquipement de premiers soins
et de réanimation nécessaire, et serait reliée par
radio à un centre de coordination branché sur le "911".
Les appels seraient distribués selon la proximité et la disponibilité,
comme le sont les maintenant appels aux taxis.
Si des centaines de ces ambulances bénévoles circulaient,
la charge de travail ne serait lourde pour personne. Less patients seraient
plus vite à l'hôpital, à bien meilleur coût pour
l'État. Il faudrait seulement tenir ces volontaires à l'abri
de poursuites en dommages, sauf évidement s'il y a faute lourde ou
grossière négligence.
Le but de confier certaines fonctions à des bénévoles
n'est pas de réduire le nombre des professionnels de la santé,
car la demande pour leurs services est inépuisable; c'est de repousser
d'un cran vers le haut les tâches de la plupart d'entre eux.
Ou plutôt, de revoir à la hausse leur définition de
tâches pour que celle-ci colle à la réalité quotidienne.
Aujour-d'hui, un(e) infirmier(e) a déjà un pouvoir considérable
sur le traitement du malade et, quand il ou elle a quelques années
d'expérience, sait sans doute bien mieux que le médecin traitant
comment doser la médication.
L'éthique de sa profession lui impose d'ailleurs d'user de son jugement,
lui faisant du même coup porter une responsabilité pour laquelle
il ou elle n'a pas l'autorité. Il faut revoir sa formation et lui
donner, dans certaines circonstances, plus de discrétion et un mandat
plus large pour réagir aux demandes du patient.
Quant aux diplômé(e)s du bac en nursing, ce sont des gens qui
ont une scolarité qui se compare à celle d'autres professionnels
dont on ne met pas en doute l'autonomie. Sans mettre en question le leadership
du médecin dans le dossier médical, il y a une bonne part
de ses attributions qui devraient être déléguées
de façon routinière et devenir la responsabilité propre
de ces diplômé(e)s en nursing.
Et n'y a-t-il pas aussi quelques chose d'absurde dans la formation actuelle
des spécialistes dont nous avons besoin? Pourquoi ne pas former des
techniciens médicaux spécialisés, en trois ans, dans
le cadre d'un baccalau-réat en médecine?
Il faut des docteurs en médecine. Comme il faut,
en toute discipline, des généralistes chevronnés qui
ont une vue d'ensemble et qui font les grandes synthèses. Mais est-il
bien nécessaire que chaque spécialiste - (dont toute la carrière
par la suite se bornera à soigner l'oeil, les organes génitaux
ou la psyché de ses clients) - ait préalablement reçu
cette formation globale que nous leur imposons?
Pourquoi la société devrait-elle payer une formation de médecine
générale à tous les médecins, alors que la moitié
d'entre eux ne garderont plus tard de leurs études générales
de médecine que ce qu'ils auraient pu en apprendre en quelques semaines?
L'anesthésiste de dix ans de pratique spécialisée en
sait-il plus que vous sur votre sinusite? Et entre une sage-femme et un
psychiatre, à qui vaut-il mieux confier un accouchement? Les futurs
spécialistes perdent un temps précieux à apprendre
des choses qu'en bonne conscience ils refuseront plus tard d'appliquer.
Il faut créer des baccalauréats en médecine dans une
douzaine de spécialités. Les diplômés qui en
sorti-ront, après trois ans, auront des connaissances plus restreintes
que nos spécialistes actuels, qu'il ne s'agit pas de remplacer mais
d'épauler; mais ils en saurontt bien plus qu'un généraliste
dans leur champ de compétence. Et nous aurons ainsi, en nombre suffisant,
ces ressources dont nous aurons de plus en plus besoin.