Pendants des siècles, on n'a pas été gâté
sur la transparence de l'information. Quand le Roi d'Assyrie tuait ou empalait
ses ennemis à l'Est du Royaume, il fallait des années avant
que ses ennemis à l'Ouest n'aient la frousse.
En 1940, la radio annonce l'avance des Panzer avec 24 heures
de délai, mais il y a la censure. En 1970, plus de censure qui tienne:
on voit G.I. et Viets s'étriper en direct à la TV. Une brève
éclaircie dans la noirceur, une minute de franchise... qui a permis
aux Américains de perdre sur les campus universitaires la guerre
de l'opinion publique, puis la guerre tout court.
On a compris. En 1991, quand on a déplacé un demi-million
de soldats vers l'Arabie et dévasté un pays tout entier, on
n'a pas vu de sang à la TV. Des cartes, des experts, quelques ruines,
beaucoup de pétrole en flammes, mais on n'a vu personne mourir et
les blessés étaient pansés avant qu'on nous les montre.
La question n'est pas qu'on ait eu tort ou raison de montrer une guerre
comme un jeu de Nintendo; le point est que le message du Vietnam a été
compris et que l'éclaircie de transparence qu'avait imposée
la technique est finie: le pouvoir a repris contrôle de l'information.
Plus habilement que jamais, car plutôt que de chercher à cacher
la vérité par des espaces blancs et des rayures noires, les
autorités dissimulent désormais la vérité sous
des tonnes d'informations. Au lieu de ne rien montrer, on montre aujourd'hui
beaucoup de ce qu'on le veut. C'est ainsi qu'on bâtit une nouvelle
vérité sur mesure.
Le Pouvoir montre ce qu'il veut. Ce qui est bien gênant pour la démocratie,
car on ne peut pas parler de pouvoir du peuple sans informer le monde ordinaire.
Comment décider, quand on ne connaît pas les faits? Surtout,
comment décider autre chose que ce que le Pouvoir veut, quand on
doit décider à partir des images que le Pouvoir choisit de
nous montrer et donc sous le coup des émotions qu'on veut que nous
ayons?
Car on peut susciter chez les gens exactement les émotions qu'on
veut. Avez-vous remarqué que les candidats à la Présidence
des Etats-Unis ont des visages assez ordinaires, mais que, le soir même
de l'élection - et pour la durée de son règne - l'élu
est transfiguré? Toutes ses photos le montrent désormais grand,
noble...
Ce qui est vraiment une grâce d'état, puisque Nixon, dès
sa démission, a pris une tronche patibulaire. Comme ces criminels
qu'on ne nous montre qu'avec des gueules de bandits. On nous impose la bonne
émotion.
Merveilleux exemple, 77% des Américains, à la sortie du film
Tora, Tora (qui traite de l'attaque sur Pearl Harbour, vue
du coté japonais) ont dit "comprendre" la position japonaise.
Alors que je vous jure que si vous dites à un Américain moyen
et un peu costaud qui n'a pas vu le film que vous "comprenez"
la position des Japonais au moment de Pearl Harbour, sa réaction
va être de vous mettre son poing sur la figure.
Et ici même, au Québec, combien de gens ont révisé
peu à peu leur jugement sur la crise d'Oka en suivant la campagne
d'information mise en place?
Sauf en cas de guerre, il est douteux qu'il existe une politique concertée
pour biaiser les faits. Le "Pouvoir" qui nous cache la vérité
n'est donc pas quelque groupe occulte bien défini, mais le résultat
d'une entente tacite entre toute une partie bien-pensante de la société
qui a sa vision des choses... et les médias qui font partie de cette
élite et ne VOIENT vraiment pas autre chose.
Je ne suis personnellement ni raciste, ni fasciste, ni communiste; je ne
suis pas sexuellement déviant, je n'ai pas vu d'extra-terrestres
et je n'appartiens à aucune secte. Mais je m'inquiète que
les médias donnent l'impression que personne n'est de l'autre coté
de ces barricades et ne donnent donc jamais la parole à ceux qui
ne partagent pas les idées qui font consensus.
Je m'en inquiète, parce qu'il serait moins grave de lire parfois
un article qui dirait "Voter, qu'osse ça donne? ", que
d'apprendre par les sondages que 72 % de la population ne fait plus confiance
aux politiciens.
On dit qu'il n'y a plus de censure, mais tous les médias sérieux
respectent certains tabous. Tout ce qui n'est pas "bien" n'a donc
plus droit de parole... puisque ce qui n'est pas publié dans nos
médias "sérieux" n'est pas vraiment diffusé
dans la population et, finalement, n'intéresse donc plus personne.
Par delà les tabous, il y a aussi une quasi-censure par condescendance
et par simple inadvertance, alors que quelques douzaines de journalistes
décident, non seulement de ce dont il est convenable de parler, mais
aussi de ce qui intéressera les gens... et de ce qui mérite
même qu'on en parle.
Il s'en passe des choses sur la planète.... et la plupart se passent
sans qu'un journaliste soit invité. Il y a donc, au départ,
non seulement un tri pour decider ce qui sera une nouvelle mais, quand on
a choisi ce qui vaut la peine d'être diffusé, il y a le choix
du témoin. Et là l intervient encore le biais du bien-pensant,
parce qu'il n'est pas du tout indifférent qu'un fait soit narré
par Dupont ou Dupond.
Sympathique, arrogant, fat, agressif, ânonnant, c'est le témoin
choisi qui donnera sa couleur au "fait". Puis, le reporter biaisera
encore, choisisant les quelques phrases du témoin qui seront retenues,
avec les bonnes mimiques et les bonnes intonations. C'est ainsi qu'on "fait"
la nouvelle.
Et c'est ce fait, qui est déjà en partie une création,
que le journaliste à son tour va commenter, auquel il va trouver
des causes, des explications, des conséquences, et qu'il va intégrer
à sa vision du monde.
La vision de la réalité que reçoit le monde ordinaire
passe ainsi toute entière par le canal étroit de quelques
douzaines de journalistes et devient ce qu'ils veulent. Ce qu'il veulent,
dans le respect des tabous que chacun sait qu'il ne doit pas transgresser
et qui constituent LA vision "correcte" du monde, celle qui correspond
au consensus de notre société.
Pourtant, il y a presque toujours un témoin du monde ordinaire à
chaque événement. Ne serait-il pas intéressant de se
servir des techniques modernes pour passer outre au monopole des professionnels
de l'information? Pour demander au monde ordinaire de dire ce qu'il a vu...
et ce qu'il en pense?
Comment transformer ce rabâchage à sens unique de la vérité
officielle par un dialogue qui permettrait au monde ordinaire d'avoir son
tour au micro? En ouvrant à tous l'accès à une Banque
des Nouvelles, électronique et interactive, que chacun peut
non seulement consulter à partir de son poste de télévision
mais à laquelle il peut aussi contribuer. Ce qui est aujourd'hui
techniquement tout à fait possible.
Qu'y aurait-il dans cette Banque de Nouvelles? D'abord, les bulletins de
toutes les grandes agences de presse. Pas seulement de United Press, de
Reuter et de France Presse, mais aussi des agences russes, chinoises, africaines,
etc. Les agences donnent les FAITS... si on a la prudence d'écouter
plus d'une version.
Ceci, pour notre vision du monde. Mais, au Québec même, il
y a d'autres sources d'information sur les faits: tout
le monde . Chaque Québécois qui sera témoin d'un
événement et qui voudra le signaler pourra le faire.
Il lui suffira d'envoyer un fax à la Banque de Nouvelles, pour que
le fait signalé y soit inscrit, sous la catégorie voulue,
et devienne immédiatement accessible à quiconque appelera
sur son clavier de type Videoway le code de cette catégorie: crimes,
accidents, manifestations, rencontres, etc., etc.
Il en résultera, ne le cachons pas, une masse énorme d'insignifiances.
Mais un pixel ne coûte pas cher... Et on sera surpris du nombre d'incidents
qui seront signalés. Qui sait si les coups de feu que croiront entendre
au même moment quelques témoins ne serviront pas, un an ou
deux plus tard, à disculper l'accusé d'un meurtre?
Et surtout, l'important n'est pas tant ce qui sera dit que le fait que tout
pourra être dit. La transparence, au moins sur la scène locale,
deviendra enfin un fait acquis. Ce qui est bien, mais n'est pas tout.
Il est essentiel que le monde ordinaire connaisse les faits, mais il n'aura
vraiment droit de parole que s'il peut aussi exprimer son opinion. Pour
chaque fait, national ou international, quiconque le désire pourra
envoyer ses commentaires par fax à la Banque des Nouvelles.
Chaque commentaire reçu sera codé du numéro de l'événement
suivi d'un numéro d'ordre qui apparaîtra au sommaire. Chacun
pourra donc faire apparaître à son écran - et faire
sortir une copie sur son fax - de l'opinion émise par qui que ce
soit. Pas seulement par les "sages" que sont nos journalistes
professionnels, mais par toute personne du monde ordinaire qui croira qu'elle
a quelque chose à dire.
Quant à ceux qui veulent s'exprimer sur autre chose que l'actualité,
une section thématique devrait permettre de structurer aussi ces
contributions. Le monde ordinaire aura ainsi toujours une façon de
se faire entendre. Il aura comme un micro à portée de la main
... et un gros haut-parleur.
Ce qui ajoute une nouvelle dimension à la démocratie. Comme
pour les faits, l'essentiel n'est pas ici qu'une opinion soit exprimée
mais qu'elle puisse l'être. Et n'oublions pas que la technique pour
entrer, coder, rappeler et transmettre cette information est disponible...
Et même la technique qui permettra de financer l'opération
!
Comment avoir accès au système? Voyons le déroulement
de l'opération. Au départ, l'usager a sur son écran
le sommaire de l'information disponible. Avec son clavier il peut choisir
un thème, dans ce thème un sous-thème et dans celui-ci
un événement, lequel fait l'objet de communiqués d'agences
ou a été signalé par un individu.
L'événement choisi, l'usager peut faire défiler l'information
à l'écran. A la fin des communiqués et des rapports
de faits, apparaîtra un sommaire des commentaires dont l'événement
est le sujet. Avec pour chacun, en plus de son code, de son titre et du
nom de son auteur... son prix.
Les FAITS seront signalés gratuitement, mais si on veut que les OPINIONS
aient quelque valeur, rien de mieux que de charger quelques sous à
l'usager. Et on finance ainsi le fonctionnement de notre Banque de Nouvelles,
puisque, comme pour Alex et les notoires "976", la Banque se partagera
avec chaque auteur les sommes reçues.
On parle d'un prix modeste, disons 1/100ème de cent le mot par exemple;
un commentaire de mille mots coûtera dix cents, soit le tiers du prix
d'une cigarette. Mais dix mille lecteurs réguliers et deux
textes par semaines, et un journaliste touchera plus que son salaire actuel;
s'il va chercher deux cent mille lecteurs pour un article de 5 000 mots,
il peut vivre un an! Et il y a d'autres possibilités.... Mais le
plus vital, c'est le droit de parole au monde ordinaire. Le vrai gage de
la liberté.