A TRAVERS LA PRESSE FRANCAISE:
GIGI L'AMOROSO: PETITE HISTOIRE D'UNE LONGUE CHANSON


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Car Michaële, Paule et Lana ont alors rendez vous avec LA chanson de leur vie, un peu comme d'autres rencontrent l'homme ou la femme idéale (il en est parfois des œuvres comme des êtres), cette fameuse chanson parfaite dont rêvent tous les auteurs et que quelques uns atteignent un jour sans le faire exprès: celle qui va passer le temps et les frontières, les réunir ad lib dans le succès, celle dont le titre, et en l'occurrence le prénom, leur collera à la peau aussi sûrement que celui d'un enfant: Gigi (prénom porte-bonheur pour les femmes puisqu'il inspira aussi Colette). Le dénominateur commun en sera bien sûr Dali, désormais familiarisée avec le style et la sensibilité des trois compères, puisqu'entre-temps, elle a également commencé à chanter Paul et Lana Sébastian: "Non ce n'est pas pour moi", "Et puis c'est toi". Mais rien à voir avec le succès qui se prépare et deviendra l'autre phare de la carrière de l'artiste, 15 ans après "Bambino" (toujours l'Italie!). Car l'histoire de cette chanson est en soi un petit roman, avec son suspense, ses rebondissements, et sa chute. Flash-back collectif sur un standard dont Dalida disait: "C'est la chanson la plus longue de mon tour de chant, et peut-être du music-hall. Elle m'offre la possibilité de chanter, bien sûr, mais aussi de jouer la comédie et de danser, car elle est conçue comme une petite pièce de théâtre. Si l'histoire, qui raconte la vie d'un village, s'était passée dans le midi de la France, Pagnol aurait pu l'écrire, mais étant donné qu'elle se situe dans le sud de l'Italie, on pourrait imaginer un film de Vittorio de Sica" (L'Aurore, 12/ 1/ 74).

"Dalida, raconte Lana Sébastian, quittait toujours la scène avec "Ciao Amore", une chanson de Luigi Tenco (disparu tragiquement à San Remo en 1967 ndlr), et avait décidé de changer de sortie... Alors, Michaële a eu l'idée de Gigi, et pendant un an, elles en ont discuté entre elles, réfléchi autour de ce personnage, qui il était etc, sous la houlette d'Orlando...". Pas évident en effet de construire une chanson de "sortie" pour l'artiste ("Les chansons d'entrée, se souvient par ailleurs la parolière Arlette Tabart, c'était pire, elle les faisait faire, mais ne les prenait jamais, alors plus personne ne voulait en écrire"), mais la fidèle Michaële a en effet une idée, ou plutôt un personnage en tête depuis un moment.

"En 1973, en vacances, en voiture, j'ai commencé à penser à l'histoire d'un petit chanteur italien qui était le roi de son village, qui partait pour les Etats-Unis par amour pour une femme, y faisait un fiasco complet et revenait chez lui. Alors Dalida lui disait: "Mais qu'est-ce que tu croyais devenir là-bas ? C'est ici qu'on t'aime, chez toi...". C'était tout ce que j'avais. Le soir de l'enregistrement d'Alain Delon pour "Paroles paroles", je raconte mon idée à Dali qui ne réagit pas: c'était quelqu'un qui ne voulait plus parler métier quand le travail était terminé. Je suis souvent partie avec elle en vacances, et lorsque je lui disais: "Dali, j'ai une idée!". Elle me répondait: "Tu me la diras à Paris! Les vacances c'est les vacances!". Ou encore: "Ne parle pas à table de chansons qu'on va faire! On prendra rendez-vous pour en discuter!". Tandis que nous quatre, Lana, Paul, Stéphanie Sand et moi, nous en parlions matin, midi et soir! Je raconte néanmoins à Dali que j'avais la fin de la chanson, quand Gigi (qui ne s'appelait pas encore comme ça) revient chez lui, retrouve ses amis, que l'un se met au piano, l'autre à la guitare etc. Là, elle réagit et dit "ça, ça me plaît!", appelle son frère, Bruno (Orlando), lui raconte le sujet, le retour de Gigi etc. Je me suis dit qu'il n'avait pas l'air d'accrocher beaucoup, et qu'on verrait bien. Le temps passe, nous faisons "Les Gondoles à Venise", Orlando m'en voulait un peu parce que j'avais d'autres succès avec d'autres artistes que Dalida, notamment le duo Sheila-Ringo, qu'il opposait à Dalida et Delon, qui ont quand même été numéros Uns en France, au Japon, en Italie etc. Et moi, je ne parle plus de Gigi...".

Exit "Gigi" ? Non, mais les exemples ne manquent pas de chansons qui attendent leur heure, a fortiori lorsqu'elles s'annoncent hors normes... Et de toute évidence, Michaële, qui a sa petite comédie italienne en tête, moitié Monicelli, moitié De Sica, ne veut pas rater le film.

"En fait, poursuit-elle, Gigi, s'appelait au départ Gino: chez moi, les chagrins d'amour donnent parfois des chansons (rire)! J'étais à Saint-Cloud, j'avais le cafard, je n'écrivais pas une ligne, lorsqu'un soir, j'entends sur RTL Monique Lemarcis qui parlait de Paule, Lana et moi! ça m'a donné des ailes! Le lendemain, j'attaque mon sujet, mais ça n'était pas convaincant. Alors je repars en vacances en Tunisie, où je rencontre un garçon qui s'appelait Giuseppe, mais que tout le monde surnommait Gigi. Je tenais mon titre! J'appelle Stéphanie qui me met en garde: tout le monde va confondre avec la "Gigi" de Colette, me dit-elle. Le lendemain, je vais voir "Divorce à l'italienne" où Monica Vitti appelle Mastroianni "Mamoroso". Et, presque coup sur coup, mon chagrin d'amour, qui avait dû voir le même film, me passe un coup de fil: "Mamoroso, tu m'en veux beaucoup ?". Le mot m'a plu. Entre-temps, l'Olympia approchait, Orlando m'appelait tous les matins, et nous n'avions pas la chanson. ça ne venait pas, et j'hésitais encore entre Gigi l'Americano et Gigi l'amoroso. Alors j'ai apporté à Lana un début, avec des couplets de douze pieds! Mais c'était trop long, et elle a décidé de composer sans texte, en s'inspirant de disques italiens...".

De son côté, en effet, Lana s'inquiète, ne voyant rien venir, et se met à composer avec Paul: "Il y a eu un an de discussions au niveau du texte, et presque plus de temps pour la musique. L'Olympia approchait. Et un jour, nous avons fait la musique, après avoir écouté beaucoup d'airs du folklore napolitain (on était loin de l'Arménie!). La chanson est donc née sans les paroles, sur un faux texte que j'avais mis. Et Michaële, qui avait tout dans sa tête, a enfin écrit le texte sur notre mélodie, et on s'est tous mis ensemble pour le refrain. C'était donc une chanson de scène, pas classique du tout, qui rappelait à Dalida toutes ses comédiennes italiennes favorites, les Magnani etc , et qui était complètement hors des formats radio de l'époque: car cette chanson était en fait un film!".

Et Michaële de compléter cette étonnante saga: "Lana a commencé à composer, puis elle est entrée en clinique pour une petite opération. Elle m'avait fait une dizaine de refrains, mais nous avions du mal à trouver le bon, et Paul, lui, était plus "américain qu'italien dans sa tête". Côté texte, j'avais trouvé le second couplet, mais... pas le premier! Tout à coup, j'ai eu "l'idée": il fallait que Dalida parle dans cette chanson, pas seulement à la fin, mais qu'elle explique elle-même l'histoire, sinon on ne comprendrait rien! Joe Dassin avait chanté la "Marie-Jeanne", qui durait cinq minutes, alors on pouvait bien aller jusqu'à sept, puisque c'était une chanson de scène, et qu'elle n'avait a priori aucune chance de devenir un tube! Et je débute par "Je vais vous raconter...", sur la musique de Lana. Enfin, un matin, les choses se mettent en place, et je trouve le refrain, que je vais chanter à la clinique à Lana: "Arriva Gigi l'Amoroso, croqueur d'amour, l'œil de velours comme une caresse, Gigi l'Amoroso, toujours vainqueur, parfois sans cœur, mais jamais sans tendresse...". J'ai tout écrit en quinze jours. Entre-temps, Orlando, qui ne connaissait toujours pas le titre de la chanson, commence à en aimer l'idée: "Pense un peu à Gina Lollobridgida!". Quand Lana sort de la clinique, nous faisons une maquette, où elle fait la voix chantée et moi la voix parlée, sur deux magnétophones Revox: à chaque erreur, il fallait tout recommencer! On arrive tout de même à finir, et le souple arrive enfin chez Dalida, à qui j'avais déjà dévoilé l'intégralité du texte lors d'un dîner avec Richard Saint-Germain. Ils avaient adoré. Après avoir écouté le souple, elle m'a rappelé, totalement enthousiasmée, et je lui ai dit: "Dalida, je te le demande, il ne faut pas sortir "Gigi l'Amoroso" en disque. Il faut que tu la chantes à l'Olympia comme Gilbert Bécaud, et quand tu la connaîtras bien, tu en feras un enregistrement "live"! Et Dalida me répond: "Si je ne fais pas un disque, je ne peux pas la chanter sur scène! Il me faut la chanter en studio pour que les mots me rentrent dans la tête! Et après, je te promets, je ne sors pas le disque! Mais je dois le faire!". On se met donc d'accord, et nous voilà tous en train de faire les chœurs avec des choristes, toujours au Studio des Dames, pour "faire vrai". C'est Orlando qui a trouvé le rappel à la fin de la chanson, et qui a fait toutes les voix. C'était grandiose. La durée de la chanson (7'26) n'effrayait personne, puisqu'elle était prévue pour la fin de son spectacle, et qu'en plus, Dalida avait un titre "Il venait d'avoir dix-huit ans", qui marchait bien".

Fin de l'histoire, début de la gloire ? Pas tout à fait parce que, s'il ne fut pas évident d'écrire la chanson, encore fallait-il la chanter, la "créer en scène"! Et là, suspense: Dalida repousse curieusement le moment fatidique où elle abandonnera "Ciao Amore"- c'est-à-dire son passé -pour ce nouveau compagnon de route au prénom tout aussi ensoleillé, Gigi. La voilà donc en tournée pendant un mois, où elle rode le spectacle, et... pas de Gigi! Chaque soir, Nono, responsable du fan-club appelle Michaële pour lui dire: "Elle ne l'a pas chantée!". Idem pour la "couturière" à l'Olympia. Enfin vient la première: tout le monde est là, et au premier rang, Lana et Michaële, qui s'affolent un peu: chantera, chantera pas ? Elle reprend ses classiques, enchaîne avec des chansons nouvelles comme "O seigneur dieu", de Serge Lama et Alice Dona. Fera-t-elle "Gigi" ? Michaële en frémit encore: "Lana et moi, on commençait à s'affoler. Le public la rappelle, elle réapparaît sur scène, trois, quatre fois, le rideau tombe, et on se dit qu'elle ne la chantera pas ce soir non plus, lorsque soudain, on entend le piano de Guy Motta jouer l'intro de "Gigi". Le batteur enchaîne, ils jouaient très bas, n'étant pas habitués au titre, et avec Lana, qui me serrait très fort la main, on se dit: "C'est nous!". Et tout d'un coup, Dalida arrive sur scène, et elle commence: "Je vais vous raconter... etc". Elle n'a pas fait une seule erreur dans le texte, et nous avons découvert ce qu'elle avait rajouté avec Orlando, à la fin de la chanson. C'est à l'Olympia que nous avons entendu la version définitive de notre chanson! Je ne saurai jamais pourquoi elle ne l'avait pas chantée auparavant. Dalida a fait l'Olympia le 5 janvier 1974, le 17, ça passait dans les nouveautés de RTL, elle est entrée 17ème au classement. Ils ont même passé deux fois la chanson en une heure! J'entends encore Adamo dire: "C'est une commedia delle arte!". L'année d'après, on a remis à Dalida, lors d'un Musicorama spécial à l'Olympia, neuf Oscars pour la chanson qui était numéro Un dans douze pays, au Canada, en Espagne, en Suisse, aux Pays Bas etc! Il y a eu des versions dans toutes les langues, ou presque, dont bien sûr le Japon, elle l'a chantée à Carnegie Hall...".

"C'est devenu la chanson de sa deuxième partie de carrière", résume Lana, qui se souvient avec émotion de ce fameux soir à l'Olympia: le soir où Dali créa Gigi, qui l'accompagnera jusqu'à la fin et n'a pas fini de chanter pour nous ses nostalgies américaines.

Mais notre trio gagnant n'allait pas en rester à ce coup de maître, et après plusieurs autres succès en commun pour la star ("Ne lui dis pas", "Mein lieber herr", "Je suis toutes les femmes", "Chanteur des années 80", "La feria", "Gigi in paradisco", suite épique du précédent en 13 minutes!), il allait lui offrir dans ses toutes dernières années une autre (et dernière) chanson en forme de prénom, peut être la plus personnelle, féminine et profonde de sa carrière parce qu'elle abordait un sujet douloureux: "Lucas", ou l'enfant qu'on n'a pas eu. Un pur chef-d'œuvre, on serait tenté d'écrire "méconnu", qui n'a curieusement pas rencontré le grand public. Mais cela peut encore venir demain...

Numero 153 - Pierre ACHARD



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