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Passage historique : dersim et protestantisme

Dersim Forum

 Faure Pascale

Les Al�vis et les missionnaires protestants : identit�s, ethnicit�s �

Parler d�identit�, c�est parler de fragilit�
L�identit� fait l�objet de nombreuses d�finitions qui la situent au carrefour de plusieurs champs disciplinaires, elle fait r�f�rence � diff�rents registres, th�oriques et pratiques, subjectif et objectif, individuel et collectif ; elle se fonde dans l�histoire et la structure, convoque le social, le communautaire, �nonce le collectif et le transcendantal...
L�identit� est un construit social : les processus de distinction, d�finir un � nous � et un � eux � sont le fait de tout groupement humain et permettent de se d�finir et de d�finir l�autre. Elle renvoie � des normes d�appartenance n�cessairement conscientes car fond�es sur des oppositions symboliques� L�identit� se construit sur un besoin de r�f�rences et de permanence mais ne peut �tre pens�e comme quelque chose de fig� et de d�finitif.. : elle se caract�rise au contraire par une dimension dynamique, interactionniste, un aspect multidimensionnel, une volont� strat�gique.... (cf Camill�ri Carmel, 1990, Strat�gies identitaires).
Le ph�nom�ne identitaire ne peut r�sulter que des interactions entre les groupes et des proc�dures de diff�renciation mises en oeuvre dans ces relations � L�identit� est toujours le r�sultat de l�identification que l�on se voir assigner par autrui et celle que l�on affirme soi-m�me�
Fr�d�rik Barth a particuli�rement bien montr� que toute identit� qu�elle soit individuelle ou collective se construit et se transforme dans l�interaction des groupes ; la question de l�entretien des fronti�res qui �tablit des processus d�inclusion et d�exclusion, le caract�re mouvant, �volutif des crit�res de distinction et surtout l�importance de la signification de ces distinctions dans un lieu et temps donn�s (cf Les groupes ethniques et leurs fronti�res, dans Th�ories de l�ethnicit�,1995).
L�identit� comme processus et comme cadre est bien une affaire politique car elle fait r�f�rence au lien social : le processus politique est au c�ur de l��mergence de toute nouvelle forme de conscience du � nous � et du � je �. C�est le statut du sujet, consid�r� dans ses liens d�appartenance, de filiation, dans ses r�f�rences collectives, dans ses rapports au pouvoir qui est en jeu . Quand il y a violence ou d�faillance du politique (colonisation, immigration, g�nocides, dictature d�Etat, catastrophes et in�galit�s sociales�), ce qui fonde, structure et fait tenir le lien social est mis � mal : c�est le d�litement du lien transcendantal, l�effondrement des syst�mes symboliques, des id�aux, des mises en sens qui touchent le sujet, les groupes, les communaut�s�
La p�riode particuli�re que repr�sente la rencontre entre Alevis et missionnaires protestants illustre cet aspect dynamique et interactionniste de l�identit� et ses enjeux strat�giques entre Arm�niens et Al�vis dans un contexte historique o� le lien politique avec sa dimension symbolique, sacr�e est particuli�rement probl�matique.

Les relations entre les Al�vis et les missionnaires chr�tiens, que nous restitue le texte de Kieser Lukas vont �tre une histoire de sympathie mutuelle et de bienveillance r�ciproque (Les Al�vis et le courant protestant (19-20e si�cle) dans Etudes Kurdes n�3, octobre 2001). L�enthousiasme du mouvement missionnaire protestant envers les Kizilbachs va commencer d�s 1850 et durer jusqu�au lendemain de la premi�re guerre mondiale, date de d�part d�finitif des missionnaires (42). Leur int�r�t pour un groupe non musulman (comme les Yezidis, les Druzes, les Alaouites) est d� au fait qu�il est plus accessible au � levain � de l��vangile que la communaut� sunnite peu mall�able� � L��vangile du royaume de Dieu � que les missionnaires cherchaient � r�pandre correspondait � une spiritualit� individualis�e protestante ainsi qu�� une philosophie des Lumi�res avec les droits de l�Homme. On peut y retrouver les approches pr�-mill�naristes du mouvement protestant de la fin du XVIIIe avec la reformulation du pass� et du pr�sent � partir de l�ordre � venir, l�annonce du � royaume � de la paix et de la justice qui reste � construire, notamment par une participation � la grande Histoire avec la promesse de vivre sur des principes �galitaires, la volont� de briser le pouvoir du pape, celui de l�islam�

Le millet protestant
La rencontre avec l�Al�visme se fait dans un contexte particulier : la fin de l�Empire ottoman en Anatolie centrale et orientale, et les clivages existants entre Kizilbachs et Sunnites, les oppressions subies des premiers par les seconds .
La disposition des Kizilbachs en faveur du protestantisme est donc interpr�t�e en fonction de leur position socio-politique : la protection que peut apporter le millet protestant r�cemment cr�e et reconnu par le sultan et un grand d�sir d �instruction, une demande d�enseignants..
Le millet protestant b�n�ficiait d�un rayonnement d� � la situation juridiquement reconnue � ses membres et par la nouveaut� de sa constitution : un fonctionnement comme une d�mocratie repr�sentative qui s�parait religion et appartenance civile dans le millet (51). En principe, on pouvait �tre membre du millet sans adh�rer � une �glise protestante. A la t�te du millet, un civil ottoman sans fonction eccl�siastique �tait �lu par l�assembl�e des repr�sentants locaux. Le millet protestant recrutait largement parmi les Arm�niens mais comptait aussi des Syriens, des Grecs et des Arabes. Il restait petit compar� aux millet traditionnels.

C�est � travers le voisinage arm�nien que la plupart des cas de conversion des Al�vis au protestantisme va �tre expliqu�e : un nombre croissant de Kizilbachs � protes � (ou prodes : protestants) vont demander la cr�ation d��coles dans leurs villages, et la protection politique. Le regard missionnaire va souligner leur � noblesse �, leur ignorance, les pratiques supersticieuses proches du paganisme, l�hospitalit� (mouton sacrifi�..).
On notera la perplexit� des missionnaires devant l�ampleur du mouvement parmi les gens que l�on disait musulman� Mais on notera aussi la na�vet� de ces m�mes missionnaires en regard de la libert� religieuse annonc� par le Hatt -i Humayun (1856) alors que les relations avec les Al�vis entra�naient des dangers politiques et de s�curit� pour eux-m�mes : en 1856, une intervention des missionnaires en faveur des Kizilbachs se fera aupr�s du gouvernement de Sivas mais entra�nera la m�fiance de l�Etat qui craindra une �ventuelle alliance entre protestants et Al�vis. Fin 1860, l��uvre missionnaire parmi les Kizilbachs de la r�gion de Sivas cessait pour des raison de s�curit� .
Les tribus voisines (sunnites ) vont �galement s�opposer au protestantisme. Des tribus al�vis vont craindre aussi de perdre le contr�le sur les villages qui se d�clarent protestants. N�anmoins, les conflits entre tribus al�vis et missionnaires sont peu nombreux : ces derniers vont les aider bien que faiblement , notamment en s�engageant � les instruire.
En 1865, les Al�vis vont exiger un �dit imp�rial par l�interm�diaire des missionnaires au sujet des �coles tant ils craignaient l�oppression des autorit�s locales, des voisins sunnites et des kizilbachs hostiles .
En 1880, on note la m�me difficult� d�ouvrir des �coles et de recevoir les enfants des Al�vis dans les missions de Sivas ; seules les visites sporadiques �taient accept�es et la vente de prospectus en ottoman. . ..
La mission de Sivas donne des indications sur les conditions sociales de ces populations : les villages sont petits, pauvres et nombreux. Les hommes cultivent la terre, travaillent comme muletiers ; ils consid�rent les Turcs comme des oppresseurs et sont donc regard�s avec suspicion. Les Kizilbachs refusent une obligation : la conscription alors que ceux de Marsivan et Yozgat payaient des imp�ts et donnaient leurs fils � l�Etat.

L�Etat, les missions et l�al�visme
L�Etat ottoman �tait oppos� � l�adh�sion au millet protestant et � tout changement de statut des Al�vis : d�apr�s le regard missionnaire, les Al�vis n��taient pas consid�r�s comme des musulmans et pouvaient donc �tre opprim� par le biais des imp�ts. Par ailleurs, pour des raisons de politique int�rieure, l�Etat jugeait dangereuse toute reformulation identitaire qui �loignaient les Al�vis de l��mmet. Et en terme de politique �trang�re, il craignait la pression internationale que cherchaient les missionnaires au nom de la libert� de conscience (52).
En fait la dynamique du protestantisme au sein de l�Anatolie aga�ait l�Etat hamidien qui �tait pr�occup� par l�adh�sion d�un groupe important � ce courant religieux. Aussi, Abdulhamid mena une politique anti-protestante, li�e � une politique de r�cup�ration des Al�vis. L�Etat ne pouvait supporter que les Arm�niens et les Al�vis se retrouvent sous le m�me toit identitaire du protestantisme : il fallait donc barrer l�entr�e dans le m�me millet et freiner la circulation et le partage des id�es d�un protestantisme jug� pernicieux.
Pour renforcer les liens avec les Al�vis, les enseignements sunnites, la construction de mosqu�es, l�envoie de pr�dicateurs dans les villages vont �tre mises en place mais sans succ�s, les mosqu�es restant ferm�s dans les villages al�vis (53) .
A partir de 1908, les perspectives qui s�annoncent apparaissent mena�antes pour l�Etat qui ne peut se penser que sur des fondements turco-sunnites : les Al�vis, � la veille de la premi�re guerre mondiale, affirment leur d�marcation dans certaines r�gions des provinces orientales de l��mmet, cette d�marcation �tant li�e � une identification avec les voisins arm�niens. Les missionnaires attestent que peu de d�saccord religieux se manifestent entre Al�vis et Arm�niens. La hantise des autorit�s face � une alliance entre les 2 groupes est tr�s forte car ceux-ci saluaient les r�formes impos�es d�but 1914, par les diplomaties russe et allemande. Ces r�formes pr�voyaient la valorisation des r�gions et de leurs langues, une participation d�mocratique et le contr�le efficace de l�administration par des inspecteurs occidentaux.
Arm�niens et Al�vis �taient, dans de larges zones comprises entre Sivas, Erzurum, Harput et Malatya, la majorit� de la population. Le pouvoir ottoman craignaient la d�mocratie et l�autonomie �ventuelle de cet espace. C�est la premi�re guerre mondiale qui va interrompre le projet d��mancipation, puis ce sera le processus g�nocidaire entrepris par la dictature du gouvernement en 1915-16. Les Al�vis vont alors offrir refuge aux victimes : les Kizilbachs, aid�s par les missionnaires vont organiser la fuite des Arm�niens vers le Dersim et la Russie.
En somme, la d�marche missionnaire esp�rait que les Al�vis, en tant que groupes minoritaires de la soci�t� nouvelle, seraient le � levain chr�tien � dans la p�te du Proche Orient musulman, en cr�ant une br�che vers l��vang�lisation des Turcs (61).
En contre point, les Al�vis esp�raient une protection dans le cadre du millet protestant et les b�n�ficies de la modernit� au niveau de l��ducation (�coles), de la sant� (hopitaux), de la libert� d�expression ainsi que des perpectives possibles pour les jeunes. Mais les missionnaires ne vont pouvoir r�pondre � la demande des Al�vis. L�Etat ottoman va se sentir menacer par cette minorit� importante qui se s�parait ouvertement de l��mmet en cr�ant bel et bien une br�che et allait d�terminer ainsi une politique anti-protestante. A la veille de la guerre mondiale, dans le cadre des r�formes internationales pour les provinces orientales de l�Empire, la perspective d�une participation politique �galitaire �tait en jeu pour les Al�vis comme pour les Arm�niens qui repr�sentaient ensemble un poids politique redoutable (62).
Le pouvoir va se lib�rer de l�influence de ce mouvement protestant sur ces provinces de l�Est et notamment du Dersim. Avec son id�ologie f�d�raliste, ce mouvement �tait intol�rable � un nationalisme unitaire�


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