..Futuribile

L'Osservatore europeo

 

Pagina iniziale Europa apparente Europa reale Europa futuribile Approfondimenti Segnalibri Mappa sito

 

Il était temps. Le débat public sur l'avenir de l'Europe est enfin lancé avec éclat. Le contraste devenait préoccupant, en France, entre l'importance capitale de l'enjeu et l'atonie du forum, à l'exception des cercles spécialisés. Dernière en date, l'intervention de Lionel Jospin, succédant à quelques autres voix fortes, en appelle aux contributions de toutes parts. En voici une, pour servir la définition d'une doctrine. L'urgence de celle-ci vient d'être confirmée brutalement par le vote irlandais, résultat inquiétant des ambiguïtés dominantes.

Du côté du nouveau, deux données dominent, l'une planétaire, la mondialisation, l'autre continentale, l'élargissement. Chacune est de vaste conséquence.

Deux aspirations ont toujours joué un rôle essentiel dans la marche en avant, permettant de dépasser les obsessions, rancœurs et crispations nationales : la paix et la prospérité. Mais c'est un troisième ressort qui s'affirme comme décisif : le souci de promouvoir une certaine idée de la vie collective.

Voilà bien ce qui dure : la responsabilité historique de la gauche. Si la paix et la prospérité concernent tous les citoyens, la défense et l'amélioration de notre système propre d'organisation collective sont au premier chef, et constamment, son affaire. Les principes s'en retrouvent, avec des variantes, dans les principaux pays de l'Union actuelle : gratuité de l'éducation de base, prise en charge collective de la santé et de la vieillesse, refus de toute discrimination raciale, abolition de la peine de mort...

L'Europe est l'endroit au monde où la vie est la moins dure aux hommes et aux femmes, la moins impitoyable pour les faibles.

Afin d'entretenir cet héritage sans pareil, l'étatisation a perdu, sauf exception, ses vertus, mais la régulation et la redistribution demeurent essentielles. Et pour le faire prospérer contre la violence des forces adverses, la gauche ne peut être efficace que dans l'espace européen. Il est donc urgent qu'elle y imprime sa marque. Sa dérobade serait dramatique et impardonnable.

Certes, les libres échanges, dans tous les secteurs, favorisent l'économie sur le long terme. Mais la "main invisible" du marché ne suffit pas pour créer le meilleur des mondes, bien loin de là. La gauche doit être ici catégorique (et sûre de sa différence). L'argent n'est pas une valeur en soi et ne peut pas être la mesure du succès. Dans le champ de la culture et des médias, en particulier, il serait ravageur d'accepter de considérer les œuvres et les productions comme des marchandises semblables aux autres.

La mondialisation doit être abordée par la gauche, sous cet éclairage, comme un motif pressant de construire l'Europe. Car un objectif primordial de notre XXIe siècle est d'éviter décidément ce règne sans contrepoids de l'économie de marché pesant sur une grande diversité de pouvoirs nationaux et jouant de leur division pour imposer un modèle social et culturel qui n'est pas le nôtre.

Il ne suffit plus désormais de répéter les incantations sur l'implication nécessaire des citoyens. Le souci de celle-ci doit dominer la démarche. Il exige des dirigeants de gauche des prises de position solennelles et un didactisme civique inlassable. Il doit irriguer aussi toute la réflexion sur les institutions.

Plusieurs des propositions opportunes du premier ministre s'inscrivent dans cette ligne : la réforme du système d'élection des députés de Strasbourg, la politisation du choix du président de la Commission, l'association plus étroite des Parlements nationaux aux décisions. En vérité, tout ce qui rendra, pour les Européens, le débat plus lisible et plus intéressant en le personnifiant davantage et en clarifiant les antagonismes démocratiques va dans le bon sens.

La dimension de la "Grande Europe" empêchera qu'avant longtemps elle puisse dégager une volonté assez forte pour répondre à l'exigence historique d'une politique sociale et industrielle au-dedans, et au-dehors d'une action commune, servie par les instruments de force adéquats. Elle peut constituer un marché commun qui favorise le mieux-être des populations. Sa souplesse lui permettra de s'ouvrir vers le monde méditerranéen, préoccupation indispensable. Mais elle ne se prête pas, à court et à moyen terme, à l'action plus volontariste dont nous avons besoin.

Il n'en est pas moins nécessaire que les institutions de cette Europe élargie évoluent par rapport à la situation d'aujourd'hui ; pour qu'elle ne soit pas paralysée par le nombre, dans les trois pointes du "triangle" que constituent ses institutions majeures (Conseil, Commission, Parlement) ; pour qu'on rompe avec la tendance actuelle qui consiste à décider à la majorité tout ce qui va dans le sens du libéralisme et de la concurrence et à l'unanimité tout ce qui sert la solidarité.

La Commission "reformatée" devrait être politiquement homogène pour que son action soit claire et comprise et bénéficie d'une opposition elle-même bien visible. Il faudra dépasser, pour assurer à la fois la cohérence de son action et l'intérêt des opinions publiques, le principe d'un exécutif à la manière suisse, où toutes les tendances "raisonnables" sont représentées et, se surveillant sans relâche, se paralysent souvent. Cessons donc de prôner à Bruxelles les effets néfastes que provoque en France notre malencontreuse cohabitation.

Le Conseil des ministres, expression directe de la souveraineté des Etats membres, sera musclé afin qu'il ait les moyens de concevoir des stratégies de long terme. Il est sain que dans chaque pays des vice-premiers ministres s'y consacrent exclusivement.

Le Parlement devra être élu d'une manière qui garantisse, au moins pour une moitié des députés, un lien plus direct avec les citoyens. Puisqu'il a le pouvoir de congédier la Commission, il serait logique qu'il puisse être lui-même dissous. Son autorité n'y perdrait rien, au contraire, et sa sagesse pas davantage.

Il faut enfin la clarification des compétences et du contenu de la subsidiarité, le souhait exprimé à Nice à cet égard devant être approuvé et servi : nécessité à la fois d'efficacité pratique et de visibilité démocratique.

Oui. Mais tout cela ne suffira pas. Il faut garder la possibilité d'affirmer, à la base d'une conception ambitieuse de l'Europe, le principe d'une force ramassée au cœur d'une solidarité continentale, d'un ensemble plus étroit à l'intérieur d'un autre. Non pour exclure qui que ce soit, ni pour créer une hiérarchie : la porte restera ouverte aux partenaires, pour l'avenir, ce qui protégera contre l'impression d'un cadenassage qui exclurait des pays ravalés dans une situation d'infériorité humiliante. Ce dont il s'agit, c'est de montrer le chemin dans la direction que nous souhaitons. Comment faire ?

On ne peut pas attendre que s'agrègent et se coagulent les divers sous-ensembles des "coopérations renforcées" qui sont susceptibles de se constituer autour de quelques actions : ce serait trop long et trop aléatoire, trop peu clair et trop peu simple devant l'opinion.

Nous proposons donc d'avancer selon deux étapes. Il s'agirait d'abord d'offrir à l'Allemagne, en réinsufflant l'énergie de l'élan initial, une union à deux renforcée. Aujourd'hui le courant passe mal entre nos deux pays. Par un signal fort, inversons-le.

Il reviendrait à cette entreprise ambitieuse de resserrer les liens dans toutes sortes de domaines : économique, bien sûr, scientifique, universitaire, linguistique, audiovisuel (saluons Arte) diplomatique, militaire (la "force de projection" commune étant renforcée, les industries de l'armement terrestre naval et aérien rapprochées).

Au service de cette démarche franco-allemande, quelles institutions ? Quelle part faire aux instances communautaires et quelle part à l'intergouvernemental ? Dans un binôme qui pourrait se fonder sur un Congrès composé de représentants des deux Parlements, des réunions ministérielles fréquentes entre les deux cabinets, un secrétariat permanent, cette controverse perdrait de son effet pernicieux et paralysant.

Rien de claquemuré dans cette dyade, mais un appel au ralliement ultérieur d'autres partenaires, aussi rapide que possible. Il s'agirait de prouver le mouvement en marchant, de retrouver les vertus du gradualisme, de donner envie à d'autres, de rejoindre - en adhérant au modèle de l'indépendance au-dehors et de la solidarité sociale au-dedans.

Ainsi en viendra-t-on naturellement et bientôt, à partir de la familiarité spécifique qu'a créée, entre douze nations, le ralliement à l'euro, à affirmer un ensemble spécifique, une force ramassée : les pays qui ont accompli ce choix ont d'ores et déjà manifesté une détermination, qui est de bon augure, au service d'une identité active. On susciterait enfin ce gouvernement économique qui est à juste titre réclamé de longue date par la gauche française (et qui serait représenté à titre collectif dans les enceintes internationales concernées). On pourrait y assurer, mieux qu'à trente partenaires, une réaction collective influente, diplomatique et militaire, dans le cas des crises graves qui surgiront forcément.

Concluons sur la Constitution. Elle n'est pas un but en soi. Elle exige d'abord un accord sur les buts politiques comme sur la démarche. Mais dès qu'aura abouti l'effort conceptuel, politique et diplomatique, elle aura l'avantage, en s'adressant aux peuples, de symboliser le nouveau départ et de stimuler l'intérêt des nations, partant leur adhésion. C'est assez dire que le texte refondateur devra être adopté par référendum et rédigé dans une langue élégante et limpide, libre des jargons qui obscurcissent, au prétexte d'être techniques, les principes et les politiques

Jean-Noël Jeanneney, ancien secrétaire d'Etat, est historien. Pascal Lamy est commissaire européen chargé du commerce extérieur. Henri Nallet, ancien ministre, est conseiller d'Etat honoraire. Dominique Strauss-Kahn, ancien ministre, est député (PS) du Val-d'Oise.

Mardi 19 juin 2001
(LE MONDE)

Pagina iniziale - Europa apparente - Europa reale - Europa futuribile - Approfondimenti - Segnalibri - Mappa sito

Hosted by www.Geocities.ws

1