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Monsieur le Président du Bundestag,
Monsieur le Président Fédéral,
Monsieur le Chancelier Fédéral,
Mesdames, Messieurs les Parlementaires,
et permettez-moi de saluer en particulier les Parlementaires français
ici présents.
Merci, Monsieur le Président, pour ce moment fort que ni mes
compatriotes ni moi n'oublierons. Merci de m'avoir invité à m'exprimer
devant la représentation allemande, ici, dans ce palais qui
porte la marque des souffrances de votre pays mais qui, aujourd'hui
éclatant de lumière, est l'image de l'Allemagne moderne.
Un demi-siècle durant, plaie béante au coeur de Berlin divisée,
abîmée, le Reichstag, jamais reconstruit, demeurait comme le
symbole de la douleur et de l'attente de tout un peuple. Comme le
symbole d'une Europe déchirée. Et tout naturellement, quand l'Allemagne
s'est retrouvée et, à sa suite, notre continent, alors la démocratie
allemande s'est réinstallée ici, renouant les fils de l'Histoire,
fermant enfin la tragique parenthèse.
Vous l'avez dit, je suis de ceux qui ont toujours espéré et
toujours attendu le moment où l'Allemagne retrouverait son unité
et sa capitale. C'est dire mon émotion d'être le premier chef d'État
étranger à s'adresser, depuis cette tribune, à l'Allemagne
tout entière ! L'Allemagne, notre voisin, notre adversaire d'hier,
notre compagnon d'aujourd'hui ! L'Allemagne unie ! L'Allemagne
chez elle !
*
Aujourd'hui, je pense à toutes celles et à tous ceux qui ont
permis que s'accomplisse le rêve de générations d'Allemands. A
ces hommes de conviction et de vision qui ont aidé leur peuple
à croire en son avenir. A celles et ceux qui ont donné à la République
fédérale, dans la ville des bords du Rhin qui l'avait
accueillie, ses institutions et ses valeurs. A celles et ceux qui
ont relevé le pays de ses ruines, rebâti et donné au monde, au
prix de trésors d'intelligence, de travail, de sacrifices, le témoignage
d'une extraordinaire réussite. A celles et ceux qui ont rendu à
l'Allemagne sa place au premier rang des nations dans le monde.
*
Mais d'abord je pense aux hommes d'État qui, chez vous comme
chez nous, ont engagé l'historique réconciliation de l'Allemagne
et de la France. Quelle audace et quel courage il leur fallut, au
lendemain même de la guerre, pour parler entre eux le langage de
la confiance et de la coopération. Le prodige est aussi qu'à
chaque étape essentielle, nos deux pays aient trouvé les hommes
pour consolider le rapprochement et aller toujours plus loin.
Au départ, il y eut Konrad Adenauer et le Général de Gaulle
qui surent répondre au rendez-vous de l'Histoire et ouvrir, je
dirais même, forcer ce chemin que nous parcourons ensemble.
Je pense à Willy Brandt et à Georges Pompidou.
Je pense aussi à Helmut Schmidt et à Valéry Giscard d'Estaing
qui ont fait grandir la solidarité franco-allemande et franchir
de nouvelles étapes à l'Europe.
Enfin, je veux saluer ici Helmut Kohl et lui dire que l'oeuvre
immense qu'il a accomplie avec François Mitterrand pour
renforcer encore la cohésion et l'identité européennes reste
gravée dans la mémoire des Français et des Européens.
*
Il y a bientôt quarante ans, le général de Gaulle, en visite
en République fédérale d'Allemagne, évoquait l'amitié franco-allemande
et déclarait : "Notre rapprochement puis notre Union, événements
parmi les plus éclatants de toute l'Histoire, c'est afin d'agir
ensemble que nous les avons engagés. L'union, pour qu'existe sur
l'ancien continent un môle dont la puissance, la prospérité, l'autorité
égaleront celles des États-Unis. L'union, encore, pour, le
moment venu, permettre à toute l'Europe d'établir son équilibre,
sa paix, son développement. L'union, enfin -ajoutait-il- et peut-être
surtout, à cause de l'immense tâche de progrès humain qui s'impose
au monde et dont la conjonction des valeurs de l'Europe, en
premier lieu des nôtres, peut et doit être l'élément majeur".
Mesdames et Messieurs, quarante ans ont passé. Largement réalisée,
l'ambition demeure.
*
* *
La prospérité d'abord. L'Union européenne est aujourd'hui la
première puissance économique et commerciale du monde, c'est un
géant de la recherche et de l'innovation. La coopération, l'émulation,
la synergie franco-allemandes en ont été l'un des plus
puissants moteurs. Aujourd'hui, à l'heure où se bâtissent des
groupes de taille à l'emporter dans la grande compétition
mondiale, Allemands et Français se tournent tout naturellement
les uns vers les autres.
Nous avons franchi une étape historique avec l'adoption de l'Euro,
projet lui aussi porté dès l'origine par le couple germano-français
et qui est une réussite. Avec l'Euro, nous avons consacré l'unification
du grand marché européen et nous nous sommes dotés d'un
formidable accélérateur des échanges. Nous ancrons dans l'esprit
de nos concitoyens leur appartenance à un même ensemble économique
et, au-delà, politique et humain. Les Européens ont désormais
leur monnaie.
L'équilibre, la paix, le développement de tout le continent
ensuite. Le principal témoignage du succès de la construction
européenne a été sans doute cette formidable force d'attraction
exercée sur ceux des Européens restés si longtemps séparés
de nous. La brillante réussite de l'Europe a rendu chaque jour
plus absurdes et plus insupportables le maintien, à ses portes,
de régimes totalitaires et la division de notre continent, et d'abord
de l'Allemagne. L'Europe tout entière se souvient de ces heures
magiques où, bravant le Mur de la honte, Berlinois de l'est et
de l'ouest se sont rejoints, lançant aux peuples opprimés le
signal de la liberté.
L'Europe enfin, militant et acteur du progrès dans le monde. Ce
qui a réuni l'Allemagne et la France et leurs partenaires, c'est
bien sûr l'aspiration profonde de leurs peuples à la paix. Mais
c'est aussi, et peut-être d'abord, une certaine idée de l'homme,
qui a donné au projet européen son horizon de liberté, de
dignité, de tolérance, de démocratie. Voilà pourquoi l'appartenance
à l'Union vaut adhésion sans réserve aux idéaux et aux
valeurs qui la fondent.
Au-delà de ses frontières, l'Union européenne fait entendre sa
voix. Elle plaide pour une organisation internationale des échanges
plus équilibrée, attentive au mieux-être des individus et
respectueuse de la diversité culturelle du monde. Elle plaide
pour une véritable solidarité entre pays riches et pauvres et
montre l'exemple par une politique active d'aide au développement.
Elle plaide, et elle agit, en faveur de la paix et pour que cesse
la barbarie.
Je pense bien sûr à notre engagement conjoint en Bosnie et au
Kosovo, qui dit bien la signification profonde, pour vous comme
pour nous, de notre projet européen. Cette exigence éthique qui
nous rassemble et qui justifie à nos yeux que l'Europe, dans le
respect de ses alliances, se donne désormais les moyens de
poursuivre sa propre politique étrangère et de sécurité.
Ici, au Bundestag, je veux saluer la décision historique des
Allemands qui, pour la première fois depuis plus d'un demi-siècle,
ont accepté l'envoi de soldats sur un théâtre d'opérations
extérieur. Ils l'ont fait au nom du respect de la dignité de
chaque homme. L'engagement de l'Allemagne, son rang de grande
puissance mondiale, son influence internationale, la France
souhaite les voir reconnus par un siège de membre permanent du
Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies !
*
Mesdames, Messieurs, dans trois jours, la France prendra la Présidence
de l'Union européenne. Elle aura la responsabilité de faire
aboutir des décisions qui engagent l'avenir. Je pense bien sûr
à la première d'entre elles : la réforme, absolument vitale,
de nos institutions communes que nous mènerons avec, je le sais,
le soutien de nos partenaires allemands.
Elle devra faire progresser d'importants chantiers. Celui de la défense
européenne. Nous espérons lui faire franchir de nouvelles étapes,
à la mesure des progrès considérables accomplis en l'espace de
quelques mois, notamment sous présidence allemande.
L'Europe, nous la voulons aussi plus proche des citoyens. Notre
Union, chacun doit pouvoir en mesurer les bienfaits dans sa vie
de tous les jours. Alors qu'aujourd'hui, beaucoup d'Européens, c'est
vrai, la jugent un peu abstraite, trop éloignée de leurs vraies
préoccupations que sont : la croissance, l'emploi et la
formation, la justice et la sécurité, la lutte contre le trafic
de drogue et contre les filières d'immigration clandestine, l'environnement
et la santé, d'autres encore. Dans tous ces domaines, le
prochain semestre doit nous permettre d'avancer.
*
Mais, au-delà de ces échéances immédiates, la responsabilité
qui nous incombe, à nous, membres fondateurs, est de poser sans
cesse la question du sens et de l'avenir de l'Europe. De ne
jamais laisser s'affaiblir notre volonté. Je salue l'esprit
profondément européen qui a présidé ici, tout récemment, à
la relance d'un débat dont les enjeux sont, au sens propre du
mot, existentiels. Un débat qui engage nos nations et nos
peuples, leur histoire et leur identité, et qui touche à l'organisation
même de nos sociétés, à la volonté et à la capacité des
Européens d'aller plus loin dans l'Union. Ce n'est pas rien ! Il
est des moments où il faut savoir prendre des risques. Sortir
des sentiers battus. La poursuite de la grande aventure
communautaire est à ce prix !
Et, je voudrais, ici, à Berlin, éclairer le chemin. Vous faire
part de mes convictions. Ouvrir avec vous des perspectives.
Ma première conviction est que l'élargissement de l'Union européenne
est une grande ambition légitime et nécessaire. Il est en
marche. Ce sera difficile, pour les pays candidats comme pour les
États membres. Mais, demain, nous serons trente et plus représentés
à Bruxelles, à Strasbourg, à Luxembourg.
C'est un accomplissement ! Pour la paix et la démocratie,
enracinées sur notre continent et qui donnent tout son sens à
notre aventure commune. Pour les pays candidats, soutenus dans
leur combat pour la liberté par l'espoir de nous rejoindre. Pour
l'Union elle-même qui en sera plus forte, politiquement et économiquement.
Mais, pour autant, l'exigence est claire. L'élargissement ne
sera pas une fuite en avant. Nous ne laisserons pas se défaire
le projet européen auquel vous et nous, avec nos partenaires,
avons, depuis près d'un demi-siècle, consacré tant de volonté
et tant d'énergie. Et qui, en retour, nous a tant apporté, non
seulement la paix, mais aussi le succès économique, et donc le
progrès social. Qui s'est avéré, pour nous tous, un formidable
multiplicateur de puissance. Notre Union ne sera plus tout à
fait la même demain. Mais elle ne connaîtra ni dilution, ni
retour en arrière. Notre responsabilité est d'y veiller.
Une autre de mes convictions est que le rythme de la construction
européenne ne se décrète pas. Il résulte, pour une large part,
des progrès, parmi nos peuples, du sentiment d'identité et d'appartenance
européennes, de leur "vouloir vivre ensemble" dans une
communauté solidaire. Et j'ai confiance car ce sentiment est de
plus en plus fort, surtout parmi les jeunes.
Enfin, je crois nécessaire d'éclairer le débat sur la nature
de l'Union. C'est déformer la vérité de dire qu'il y a d'un côté
ceux qui défendent la souveraineté nationale et, de l'autre,
ceux qui la bradent. Ni vous ni nous n'envisageons la création d'un
super État européen qui se substituerait à nos États nations
et marquerait la fin de leur existence comme acteurs de la vie
internationale.
Nos nations sont la source de nos identités et de notre
enracinement. La diversité de leurs traditions politiques,
culturelles et linguistiques est une des forces de notre Union.
Pour les peuples qui viennent, les nations resteront les premières
références.
Envisager leur extinction serait aussi absurde que de nier qu'elles
ont déjà choisi d'exercer en commun une partie de leur
souveraineté et qu'elles continueront de le faire, car tel est
leur intérêt. Oui, la Banque centrale européenne, la Cour de
Justice de Luxembourg ou le vote à la majorité qualifiée sont
des éléments d'une souveraineté commune. C'est ainsi, en
acceptant ces souverainetés communes, que nous acquerrons une
puissance nouvelle et un rayonnement accru. Alors, de grâce,
renonçons aux anathèmes et aux simplifications, et convenons
enfin que les institutions de l'Union sont et resteront
originales et spécifiques !
*
Mais reconnaissons aussi qu'elles sont perfectibles et que le
grand élargissement à venir doit être l'occasion d'approfondir
la réflexion institutionnelle, au-delà de la Conférence
intergouvernementale. Dans cette perspective, je souhaite que
nous puissions nous entendre sur quelques principes.
D'abord, rendre l'Union européenne plus démocratique. La
construction communautaire a trop été l'affaire des seuls
dirigeants et des élites. Il est temps que nos peuples
redeviennent les souverains de l'Europe. Il faut que la démocratie
en Europe vive mieux, notamment à travers le Parlement européen
et les parlements nationaux.
Ensuite, clarifier, mais sans la figer, la répartition des compétences
entre les différents niveaux du système européen. Dire qui
fait quoi en Europe avec le souci que les réponses soient apportées
au meilleur niveau, au plus près des problèmes. Bref, mettre
enfin en application le principe de subsidiarité.
Nous devons aussi veiller à ce que, dans l'Europe élargie, la
capacité d'impulsion demeure. Sans cesse, il faut pouvoir ouvrir
de nouvelles voies. Pour cela, et comme nous l'avons fait dans le
passé, il faut que les pays qui veulent aller plus loin dans l'intégration,
sur une base volontaire et sur des projets précis, puissent le
faire sans être retardés par ceux qui, et c'est leur droit, ne
souhaitent pas avancer aussi vite.
Enfin, l'Europe-puissance que nous appelons de nos voeux, cette
Europe forte sur la scène internationale, doit disposer d'institutions
fortes et d'un mécanisme de décision efficace et légitime, c'est-à-dire
faisant toute sa place au vote majoritaire et reflétant le poids
relatif des États membres.
*
Voilà, Mesdames et Messieurs, les grandes orientations selon
lesquelles, je crois, doit s'engager le processus de refondation
institutionnelle de l'Union. Le visage de l'Europe future reste
encore à dessiner. Il dépendra du débat et de la négociation.
Et bien sûr et surtout de la volonté de nos peuples. Mais nous
pouvons d'ores et déjà tracer le chemin.
La première étape, incontournable, est la réussite, sous présidence
française, de la Conférence intergouvernementale. Ne sous-estimons
pas l'importance de cette conférence. Les quatre points
essentiels de son ordre du jour, y compris le développement des
procédures de coopération renforcée, permettront d'adapter les
mécanismes de décision de l'Union à sa composition future. La
réussite de la CIG est un préalable indispensable à tout progrès.
Aussi, ni vous ni nous ne pourrions nous satisfaire d'un accord a
minima, je dirais d'un accord au rabais, qui conduirait l'Union
à la paralysie pour les années à venir !
Après la Conférence intergouvernementale, à la fin de l'année,
s'ouvrira une période que je qualifierai de "grande
transition" au terme de laquelle il faudra que l'Union soit
stabilisée dans ses frontières et dans ses institutions. Nous
devrons, pendant cette période, mener de front trois grands
chantiers.
Celui, naturellement, de l'élargissement. Quelques années ne
seront pas de trop pour conclure les négociations d'adhésion et
assurer l'intégration réussie des nouveaux États membres.
C'est aussi de l'approfondissement des politiques, à l'initiative
de ces pays que j'évoquais tout à l'heure et qui souhaitent
aller plus loin ou plus vite. Rassemblés avec l'Allemagne et la
France, ils pourraient se constituer en un "groupe pionnier".
Ce groupe ouvrirait la voie en s'appuyant sur la nouvelle procédure
de coopération renforcée définie par la CIG et en nouant, si nécessaire,
des coopérations hors traité, mais sans jamais remettre en
cause la cohérence et l'acquis de l'Union.
C'est de cette façon, naturellement, que se dégagera la
composition du "groupe pionnier". Non pas sur une base
arbitraire, mais par la volonté des pays qui décideront de
participer à l'ensemble des coopérations renforcées. Je
souhaite ainsi que, dès l'an prochain, le "groupe pionnier"
puisse s'atteler, notamment, à une meilleure coordination des
politiques économiques, à un renforcement de la politique de défense
et de sécurité et à une plus grande efficacité dans la lutte
contre la criminalité.
Faut-il que ces États concluent entre eux un nouveau traité et
se dotent d'institutions sophistiquées ? Je ne le crois pas.
Soyons conscients que ce serait ajouter un niveau supplémentaire
à une Europe qui en compte déjà beaucoup ! Et évitons de
figer des divisions de l'Europe alors que notre seul objectif est
de préserver une capacité d'impulsion. Il faudrait plutôt
envisager un mécanisme de coordination souple, un secrétariat
chargé de veiller à la cohérence des positions et des
politiques des membres de ce groupe pionnier, qui devrait rester
naturellement ouvert à tous ceux qui souhaitent le rejoindre.
Ainsi l'Europe, dans cette période de transition, continuera-t-elle
d'avancer pendant que sera menée la préparation de la
refondation institutionnelle.
En effet, et c'est notre troisième chantier, je propose que, dès
après le sommet de Nice, nous lancions un processus qui nous
permette, au-delà de la CIG, de répondre aux autres questions
institutionnelles qui se posent à l'Europe.
D'abord, réorganiser les traités afin d'en rendre la présentation
plus cohérente et plus compréhensible pour les citoyens.
Ensuite, définir de façon claire la répartition des compétences,
vous l'avez souligné, Monsieur le Président et vous avez raison,
des compétences entre les différents niveaux de l'Europe. Nous
pourrions également réfléchir, dans le cadre de ce processus,
aux frontières géographiques ultimes de l'Union ; préciser la
nature de la Charte des droits fondamentaux que, je l'espère,
nous aurons adoptée à Nice ; et enfin préparer les ajustements
institutionnels nécessaires, tant du côté de l'exécutif que
de celui du Parlement, pour renforcer l'efficacité et le contrôle
démocratique de notre Union.
Cette réflexion préparatoire devra être conduite de façon
ouverte, en associant les gouvernements et les citoyens, à
travers leurs représentants au Parlement européen et dans les
Parlements nationaux. Les pays candidats devront naturellement y
prendre part. Plusieurs formules sont envisageables, du Comité
des sages à un modèle inspiré par la Convention qui rédige
notre Charte des droits fondamentaux.
Et à l'issue de ces travaux qui prendront sans doute quelque
temps, les gouvernements puis les peuples seraient appelés à se
prononcer sur un texte que nous pourrons alors consacrer comme la
première "Constitution européenne".
*
* *
Mais pour que la construction européenne avance, c'est d'abord l'amitié
franco-allemande que nous devons approfondir sans cesse.
Nos coopérations si nombreuses, si familières, l'étroite
concertation politique à tous les niveaux de nos institutions,
le riche dialogue de nos cultures, les échanges entre jeunes à
la faveur de nos milliers de jumelages comme de nos
apprentissages linguistiques, ont tissé un lien unique, irréversible,
irremplaçable.
Voici plus d'un demi-siècle que nous travaillons la main dans la
main. Entre nous, la réconciliation est acquise. Elle est une évidence.
Une réalité de la vie quotidienne si normalement inscrite dans
notre paysage que nous n'en percevons plus la dimension propre.
Et la nouvelle génération aux commandes la reçoit en héritage
après l'avoir apprise dans les livres, sans ressentir la même
charge émotionnelle que jadis. Eh bien, retrouvons le souffle, l'élan
fondateur ! L'ardente nécessité de notre dialogue ! Donnons-nous
les lieux pour se connaître et entreprendre ensemble ! Et c'est
ce que j'observais depuis hier, dans les rues de Berlin, en
voyant si nombreux les Allemands qui, avec le sourire, faisaient
dans notre direction, un geste spontané d'amitié, celui du
coeur, que l'on ne retrouve pas souvent dans les voyages
officiels et qui m'a beaucoup touché.
Que de traits communs, que de raisons de se porter plus d'attention
! Si nous avons chacun nos traditions, notre histoire, nos qualités
propres, qui expliquent sans doute les formes d'organisation que
nous nous sommes choisies. Si l'Allemagne est à l'aise dans son
fédéralisme qui permet une participation active et vivante des
citoyens à tous les niveaux de la vie politique. Et si la France
a su conserver, en la modernisant, une tradition unitaire qui
contribue à la cohésion de sa communauté nationale, les défis
que nous devons relever aujourd'hui sont les mêmes. Ils s'appellent
croissance économique et compétitivité, mutations de notre
système éducatif, défense de l'emploi, adaptation de nos régimes
sociaux à l'évolution démographique, modernisation et maîtrise
des systèmes de santé, de sécurité, d'environnement, d'immigration.
Il suffirait de parcourir l'ordre du jour de vos assemblées et
des nôtres, de suivre parallèlement les débats qui passionnent
aujourd'hui nos deux pays, pour mesurer l'intime parenté de nos
problèmes et des attentes de nos peuples.
Il nous manque encore, me semble-t-il, ce lieu privilégié où
les responsables politiques, économiques, syndicaux, associatifs,
représentants des médias, personnalités du monde culturel
pourraient facilement se retrouver. Où l'Allemagne et la France
en mouvement, avec leurs débats, leurs interrogations, leurs
aspirations, se rencontreraient dans toutes leurs composantes. Et
je propose qu'une conférence germano-française les réunisse
chaque année. Ce serait le grand rendez-vous de nos deux pays où
Allemands et Français embrasseraient l'avenir ensemble.
Le monde de l'économie a connu, ces derniers mois, des progrès
spectaculaires. Nos grandes entreprises ont noué de nouvelles et
puissantes solidarités dans les domaines clés de l'aéronautique,
de la chimie, de l'énergie, de l'assurance, des services. Hier
soir, le Chancelier Schröder et moi-même nous avons rencontré
leurs dirigeants.
Je crois que notre priorité doit être d'encourager davantage
encore cette forte dynamique d'intégration entre nos potentiels
économiques et faire du tandem franco-allemand le moteur d'un
puissant pôle industriel européen. Et j'appelle nos milieux économiques,
avec naturellement l'appui de nos deux gouvernements, à créer
une fondation où dirigeants et cadres, Allemands et Français,
pourraient se rencontrer et mieux connaître -c'est peut-être ce
qui nous manque le plus- la culture d'entreprise en vigueur chez
l'autre.
Cet esprit de partenariat, nous devons le développer aussi dans
les disciplines de l'esprit. Je salue la qualité comme l'importance
du dialogue entre nos penseurs, nos artistes. Mais j'ai la
conviction que nous pouvons lui faire gagner en intensité, en
solidarité aussi à l'heure où nous devons mener ensemble la
grande bataille pour la diversité culturelle dans le monde.
A votre initiative, Monsieur le Chancelier, nous avons désormais
notre académie franco-allemande du cinéma, dont la première
session s'est tenue hier, en notre présence. Dans le même
esprit, nous avons engagé une réflexion commune sur l'avenir du
livre et sur l'évolution des médias.
Rendons à nos artistes, à nos écrivains, le goût et les
moyens de composer et de créer chez l'autre, renouant ainsi avec
la prestigieuse tradition européenne du voyage et de l'immersion.
Et je propose la création à Berlin, à l'image de ce qui existe
à Rome ou à Madrid, d'un lieu où nos créateurs, qui
souhaitent chercher l'inspiration dans cette ville en plein
renouveau, soient accueillis et trouvent les conditions propices
à leur réflexion.
Nous devons cultiver cet esprit de dialogue entre nos peuples en
favorisant l'apprentissage de nos langues respectives. Je
voudrais, en saluant les membres du Bundesrat ici présents, féliciter
tout particulièrement les autorités des Länder qui se sont
engagées avec détermination dans cette voie et ont pris des décisions
exemplaires. Pour notre part, nous veillerons à ce que la langue
allemande garde son statut d'excellence et son rang parmi les
toutes premières langues vivantes étrangères enseignées.
Enfin je propose qu'ensemble, en cette année symbolique, nous
accomplissions un geste fort en direction de notre jeunesse, en
invitant 2000 de nos collégiens et lycéens à conclure leur
première année d'apprentissage linguistique par un séjour de découverte
du pays, des traditions, de la culture du peuple dont ils ont
choisi la langue.
Monsieur le Président du Bundestag,
Monsieur le Président Fédéral,
Monsieur le Chancelier Fédéral,
Mesdames, Messieurs les Parlementaires,
Ce que l'Allemagne et la France ont vécu et subi dans l'Histoire
ne ressemble à rien d'autre. Mieux qu'aucune nation, elles
saisissent le sens profond de la paix et du projet européen.
Elles seules, en forçant le cours des choses, pouvaient, en
Europe, lancer le signal du rassemblement. Ensemble, au rythme de
leurs retrouvailles et de la volonté de leurs peuples, elles ont
fait progresser l'idée européenne.
Elles seules peuvent accomplir les gestes qui porteront l'Europe
plus loin, dans ses ambitions, dans ses frontières comme dans
les coeurs. Qui feront de l'Union ce grand espace de paix, de
droits et de libertés, ce foyer de l'esprit digne de son héritage,
cette terre que nos citoyens aimeront habiter, cultiver, faire
rayonner ensemble.
Vive l'Allemagne ! Vive la France ! Et vive l'Union européenne.
Source: http://www.elysee.fr/cgi-bin/auracom/aurweb/search/file?aur_file=discours/2000/RFA0006D.html
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