Après des
correspondances que nous ne publions pas, en raison du peu d’intérêt qu’elles
présentent ; après celles que nous publions sans aucune réplique de notre
part en raison de notre accord pur et simple avec leur contenu ; et après
celles que nous publions suivies d’une réponse, destinée à mieux cerner l’objet
de la controverse, il restait encore à inaugurer une quatrième catégorie :
celle de correspondances à publier pour l’édification (ou pour le
divertissement) de nos lecteurs, mais sans faire suivre une réponse qu’elles ne
méritent pas.
C’est à
présent chose faite, depuis que nous avons reçu, de la part d’un dénommé
Bertrand Louart, une épître datée du 7 septembre 2002, accumulant sur un
minimum d’espace un maximum de sottises – sottises caractéristiques, jusqu’à la
caricature, du plus beau confusionnisme dont la pensée technophobe peut se montrer
capable.
Nous invitons
nos lecteurs à en prendre connaissance ci-dessous.
Sur son site
Internet (http://NetMC.9online.fr),
Louart se présente comme menuisier- ébéniste : on ne sait trop si c’est
pour faire pardonner le caractère occasionnellement rustique de son
argumentation, ou si c’est pour faire garantir par son état civil la supposée
cohérence d’une idéologie artisanale. Toujours est-il, sauf erreur, que c’est
bien là la première fois qu’un technophobe se présente ainsi, directement,
comme propagandiste du travail (ou, si l’on préfère, comme travailleur
marginal).
Un
« critique vraiment radical » (car c’est ainsi que Louart se désigne
lui-même) qui, comme on constatera, se vante ouvertement de confondre et
d’identifier la socialisation avec l’aliénation, c.a.d. deux concepts
parfaitement antagoniques dans la pensée de Marx, tout en prétendant se référer
à ce dernier, c’est un peu comme l’ébéniste de Lichtenberg, qui livrerait une
armoire sans portes à laquelle il manque le coffre ; ou encore comme un
responsable de marketing qui lancerait un produit que son usine n’aura jamais
les moyens de produire. C’est aussi le même individu (on n’est pas à une
aberration près) qui entreprend d’expliquer l’existence d’un risque nucléaire à
l’auteur de Tchernobyl – anatomie d’un nuage : décidément, rarement
une lettre aura révélé un personnage plus chroniquement lichtenbergien que ce
Louart.
Par une
amusante coïncidence, la seule réplique que mériteraient les bourdes compromettantes
de ce néo-dérivé d’idéologie rousseauiste est celle que Rousseau avait déjà
formulée lui-même : on se reportera avec profit à la Lettre de J. J.
Rousseau, de Genève, à M. Grimm, sur la réfutation de son discours par M.
Gautier, publiée en 1751 (spécialement aux paragraphes 1 à 4).
Quant au
lecteur qui s’intéresse effectivement à ce que les Amis de Némésis pensent de
la technique en général, et de la technophobie en particulier, il lui suffit de
lire l’article écrit par Maximilien Fabbri sur le sujet, ainsi que la suite de
son article, qui sera publiée sous peu. Il y trouvera une position sensiblement
différente de la technophilie que nous attribue ce brave menuisier, pour créer
un effet de miroir profitable à sa technophobie.
Voici donc,
dans sa graphie d’origine, la balouardise annoncée.
Alors,
bande de crétins,
on cane devant
la critique vraiment radicale ?!
(la mode prositu ne fait plus recette, le saviez-vous ?)
Bonjour,
Si j'ai bien compris le texte de JP Baudet sur le travail marginal, celui-ci
est pour l'automatisation intégrale de toute la production.
Je cite:
6.
Les efforts réalisés par les héritiers gauchistes de l¹économie pour rendre
aussi modestes que possible les exigences d¹un prolétariat qu¹ils voudraient
enchaîner à ses « libérateurs », témoignent a contrario de la
possibilité immédiate, matérielle, de prendre les mesures nécessaires et
suffisantes pour amorcer de façon décisive et irréversible le renversement de
perspective. Un usage enfin non restrictif de la recherche
scientifique, fusionnant ainsi de façon organique avec la production elle-même
libérée et enrichie, aux fins d¹automatiser sans frein capitaliste (maintien forcé de la main d¹¦uvre
comme source unique de plus-value et de profit) l¹ensemble de la production,
et de réduire au minimum le temps de travail mondial ; le choix toujours renouvelable des biens à produire
ainsi ; la suppression instantanée des secteurs parasitaires servant
exclusivement à la stricte reproduction formelle de la société capitaliste (bureaucraties
privées et publiques ; industrie du spectacle ; production de gadgets
rendus obligatoires par la publicité ; production de biens à usure
rapide ; curés, pédagogues de tout acabit ; psychologues,
socio-cybernéticiens et nivélateurs en tous genre ; police et armée ;
personnel employé dans le recel de marchandises : vendeuses, gérants,
représentants, gardiens ; marché de l¹argent : banques, sociétés
d¹assurance, sécurité sociale), et la libre reconversion des individus ainsi
délivrés d¹un travail désormais défini comme improductif dans la production du
reste, minimalisée quant à sa durée annuelle, et dans la reproduction élargie
de ces conditions de production ; l¹interdiction de gérer, sous
quelque forme que ce soit, la vie d¹autrui ; la création d¹un organisme
centralisateur pour l¹équipement technique illimité des loisirs, qui s¹étendent
à la quasi-totalité du temps vécu ; en bref, et sans prétendre à une
quelconque exhaustivité, ces quelques indications suffisent à illustrer le potentiel
sémantique du terme « productif », une fois débarrassé du
carcan de la séparation, et redevenu rationnel.
7.
C¹est dans un même mouvement que ce terme prendra tout son sens, et que son
emploi aura été totalement libéré : il sera lui-même devenu productif. Tout
usage qui en est fait sur d¹autres bases que sur une production collective
intégralement socialisée, i.e.
renfermant le négatif à l¹¦uvre, avoue
par là-même son caractère démagogique, et le rôle ouvertement
contre-révolutionnaire de son auteur.
Bref, cela veut-il dire que si je veux planter des
légumes dans mon jardin, le commisaire politique Baudet est fondé à m'envoyer
au goulag pour activités contre-révolutionnaires menaçant la sécurité de l'Etat
socialiste intégral et la bonne exécution du plan de loisirs forcés
quinquénal ?
Il semblerait donc que pour Baudet, l'automation des moyens de production ne
pose que des problèmes techniques et aucun problème politique.
Le problème politique est pourtant simple: soit tout le monde devient
technicien en robotique, automatique, informatique, etc. et aucun spécialiste
ne peut plus alors utiliser d'argument technique pour s'arroger un pouvoir de
décision quelconque sur l'orientation de la production, soit la population
délègue les problèmes et la connaissance ultra-high-tech qu'implique une
automatisation intégrale à des spécialistes et c'est le retour à la case
départ...
Et si je ne veux pas apprendre la cybernétique, on m'envoie dans un camp de
rééducation ?
Je ne sait pas si Baudet à remarqué, mais il y a une différence d'échelle entre
un moulin à vent et une centrale nucléaire. Et cette différence à des
conséquences politiques considérables: un moulin à vent peut être construit et
maîtrisé par une communauté rurale ou urbaine assez aisement, tandis qu'une
centrale nucléaire est le produit de tout un système industriel qui implique
par nature une hiérarchie des compétence et une division du travail extrêmement
poussée, etc...
Je ne sait pas ce que Hitler à dit sur les moulins à vent, mais je suis sûr qu'il
a dû en dire du bien aussi (le coup "retour à la campagne = nazi, hitler,
caca" est vraiment sublime...).
Une production collective intégralement socialisée, cela a donc pour
conséquence aussi une dépossession individuelle totale, comme on le voit de nos
jours.
La liberté et l'autonomie des personnes comme des groupes implique qu'ils
prennent en charge eux-mêmes la production des certains aspects de leur
existence et cela commence par l'agriculture, l'elevage, la construction, etc.
Ce ne sont pas les machines qui vont nous libérer du travail, c'est l'homme,
dans ses rapports avec le monde, avec la nature et avec les autres hommes, qui
peut donner un sens supérieur à son activité (là il serait intéressant de
reprendre les catégories que H. Arendt utilise dans Condition de l'homme
moderne, à savoir travail, ¦uvre et action).
Que Baudet n'aime pas le travail, et particulièrement le travail manuel, et
qu'il lui préfère les "loisirs" dont il ne nous dit pas de quoi ils
seront remplis, je trouve qu'il reconduit là une séparation typique de la
société bourgeoise du XIXe siècle et du capitalisme industriel le plus moderne:
à savoir la « dégradante division du travail en travail intellectuel
et travail manuel » (Marx) qui reconduit à son tour la division entre
dirigeants et exécutant dans toutes les sociétés hiérarchisées.
« Mais les théoriciens du mouvement socialiste, quand ils quittent le
domaine de l¹action pratique ou cette agitation vaine au milieu des tendances,
fractions et sous-fractions qui leur donne l¹illusion d¹agir, ne songent
nullement à saper les privilèges de la caste intellectuelle ; loin de là,
ils élaborent une doctrine compliquée et mystérieuse qui sert de soutien à
l¹oppression bureaucratique au sein du mouvement ouvrier. » (Simone Weil,
1933)
Il y avait certainement beaucoup de confusion et d'idéologie dans le mouvement
de retour à la nature dans les années 70, mais la brochure de Baudet n'aide en
rien à la dissiper. Au contraire, elle reprend sans les critiquer (avec ce
jargon marxeux-prositu inimitable) tous les poncifs progressistes sur
"l'accroissement des forces productives qui est en soi libérateur",
comme s'il était encore au XIXe siècle et comme si la bombe atomique
(prodigieux accroissement des forces productives de mort, s'il en est...)
n'avait pas existé...
A vous lire sur ces sujets...
Bertrand
--
Bertrand Louart - Notes & Morceaux Choisis
Email: [email protected]
Site : http://NetMC.9online.fr/
Le 19
septembre 2002
:Comptes-rendus de publications
:Liste des titres en préparation