déni
de justice
La société
dominante, elle-même dominée par l’extension sans fin du pouvoir marchand et de
son instrumentation technologique, peut envisager calmement de produire sous
peu, à la faveur d’une surveillance médicale constituant un véritable nouveau
marché, des formes de procréation et de reproduction artificielles. Dès lors,
l’être humain ne sera plus condamné, comme maintenant, à devenir une
marchandise, après s’être livré à un apprentissage plus ou moins patient :
une marchandise, il en sera une déjà avant sa naissance, ab ovo. Avec
des « géniteurs » modernes, mais de préférence fortunés, les enfants
qui n’étaient jusqu’ici que formellement les enfants du système le seront, de plus
en plus souvent désormais, réellement.
Le vieux projet de libérer les enfants de la tutelle
familiale et de l’injustice de ses aléas, et de leur offrir une socialisation
précoce (c.a.d. un plein usage, librement, des potentialités existantes, à
commencer par les leurs), s’est transformé en son contraire : car il ne
peut y avoir de socialisation sans société, et en fait de société, il n’existe
que son contraire, le marché.
Quant aux
« parents », s’ils acceptent avec bonheur d’être dépossédés de leurs
anciennes fonctions, c’est qu’ils se félicitent de pouvoir suivre à la trace et
copier leur progéniture, championne supposée d’une intégration marchande up
to date.
Dans ce contexte,
qui avance à grands pas, tout ce qui ressemble de près ou de loin à un accident
naturel prend une allure hérétique.
Quand on a
entrepris de s’habituer aux ratés scientifiques et qu’on entend bien leur
accorder un pardon de principe économiquement profitable, on ne peut plus
tolérer d’accident naturel, qui ne mérite que la plus extrême suspicion.
Un tel accident eut
lieu, par exemple, dans le cas d’une jeune femme, Stéphanie, qui vient de
rencontrer le destin que le système de l’injustice généralisée réserve aux
pauvres : ils n’ont pas même le temps d’émerger d’un malheur accidentel
qu’on leur inflige déjà un malheur institutionnel.
Stéphanie souffrait
d’un déni total de grossesse. Le Dr. N. Grangaud, pédopsychiatre, a
défini cette affection méconnue comme « la non reconnaissance d’une
grossesse au-delà du premier trimestre de la grossesse et [qui] peut se
prolonger jusqu’à l’accouchement et recouvrir ce dernier ». S’agissant
d’un déni se prolongeant jusqu’à l’accouchement, l’on parle alors de déni total
de grossesse. Comme près de la moitié des femmes qui en sont victimes,
Stéphanie avait déjà eu un enfant. Et, conformément au tableau clinique de
cette pathologie, elle ne présentait pas de signes de grossesse. Bien au
contraire, la continuation des règles et de prise de poids la confortaient dans
la méconnaissance de sa grossesse. Enfin, comme il est de règle dans cette
affection, ainsi qu’une étude médicale conduite auprès de 56 cas observés en
maternité a permis de le montrer, l’entourage de la jeune femme n’a pas non
plus perçu qu’elle était enceinte (on peut consulter le site http://deni2grossesse.free.fr) : et il est clair qu’une absence de
tout symptôme de grossesse établit donc d’elle-même la bonne foi de la jeune
femme. Stéphanie a donc accouché le 22 mars, chez elle, dans des conditions
affreuses, qui ont coûté la vie au nouveau-né, et qui ont failli lui coûter la
sienne. Son enfant se trouvant en état de mort apparente (il ne criait ni ne
bougeait), la jeune femme, leurrée, l’a alors soustrait à la vue de son premier
enfant, âgé de 3 ans, puis elle a été hospitalisée d’urgence. Mais la voici
arrachée de l’hôpital par la Police, placée en détention préventive pour
homicide volontaire, et privée de parloir. Aucun contact avec son fils de 3 ans
n’est possible. La peine qu’elle encourt est de 3 années de détention
préventive et de 20 ans de prison.
Voici donc un
nouvel exemple de la politique de détention préventive qui fait actuellement
parler d’elle, d’une façon scandaleuse, à propos du procès de pédophilie
d’Outreau, au cours duquel de nombreuses personnes ont vu leur vie ruinée et se
retrouvent au bord du suicide du fait d’une détention arbitraire, parfaitement
contraire à la présomption d’innocence.
On n’a plus besoin d’être jugé pour être traité en coupable, et
irrémédiablement « puni » de ce qu’on n’a pas fait. De cet
acharnement juridico-policier, Stéphanie risque de faire les frais, à moins que
les pressions en tous genres se fassent suffisamment fortes pour contraindre
l’Etat à abandonner des méthodes qui ont déjà donné à l’ancien principe
bourgeois de l’Habeas corpus le lustre d’une innovation quasi-utopique.
Les médias se
« sont émus » de cette histoire, mais à leur façon : La
Dépêche du Midi et Libération se sont notamment distingués par des
articles diffamatoires, dignes de la presse de caniveau la plus abjecte, à
l’encontre de Stéphanie et de son compagnon. Comme d’habitude, il faut
s’acharner sur les victimes, leur imputer les exactions auxquelles on pense
soi-même, et de la réalité desquelles on ne sait rien. Les journalistes
ressemblent de plus en plus au chien de garde qui mord le facteur en attendant
que son propriétaire lui tire dessus.
S’agissant, pour
Stéphanie et pour son compagnon, de sympathisants libertaires, on ne peut
exclure des motifs supplémentaires à orchestrer un tel acharnement. Et puis,
traiter en criminelle dangereuse (il s’agit de « prévention » !)
une jeune femme victime d’une pathologie psychosomatique caractérisée, cela
redore à faible coût le blason d’autorités qui ont vu disparaître, dans cette
même région toulousaine, cent cinquante femmes sans y trouver aucune
explication.
En réaction contre
cet ensemble d’horreurs, on nous a adressé le tract ci-joint, pour nous le
faire signer, et nous le transmettons au lecteur dans la même optique : Déni de justice.
Les Amis de Stéphanie est un
collectif composé d’individus, par ailleurs membres de la C.N.T. A.I.T., de
sympathisants libertaires et de connaissances de la jeune femme. Ce
regroupement, qui s’est fait sur une base autonome, exclut par avance partis,
syndicats et associations bureaucratiques.
Adresse des Amis de Stéphanie :
[email protected]
L’appel qui précède
date du mois de mai 2004.
En octobre de la
même année, soit au bout de cinq mois, Stéphanie a finalement quitté la prison
et été placée en liberté conditionnelle. Cette mesure a été adoptée quatre
jours après la marche sur la prison de Seysses : hasard ou
coïncidence ? Toujours est-il que la liberté conditionnelle oblige
Stéphanie à se présenter quotidiennement au commissariat, et à respecter
diverses contraintes et entraves administratives. Il a pourtant été établi
médicalement que son enfant était mort étouffé dans son liquide amniotique,
juste après sa naissance, et qu’il est donc impossible que Stéphanie l’ait tué.
Mais la « Justice » persiste sur sa lancée, et piétine une
présomption d’innocence ainsi vérifiée dans les faits.
[Note
de décembre 2004]
:Liste des titres en préparation
:Comptes-rendus de publications