08 01..03
Obama. Quand les digues craquent (2)
Le monde est en train de changer. Changer là où ça
compte : à Washington. Un jour, quand les futurs Michelet chercheront
la date exacte de la fin de l'ère que nous achevons de vivre, ils
penseront à la guerre en Irak, à l'effondrement encore à
venir des marchés financiers... mais ils pointeront peut-être
Katrina comme l'événement déclencheur. Vous vous souvenez
de Katrina ?
New-Orleans a toujours vécu dangereusement. Iberville, Bienville,
Laffite. Elle est née et a grandi dans une cuvette, 2 ou 3 mètres
sous le niveau du Golfe, s'en remettant à des digues pour ne pas
être inondée. Les digues ont tenu bon si longtemps, qu'on en
est venu à croire que l'on était à l'abri des vents
et marées. À l'abri des ouragans. Bien des experts ont dit,
à maintes reprises, que New-Orleans était " une catastrophe
qui ne demandait qu'à arriver", mais bof ! Est-ce qu'on arrête
la fête, simplement parce que les experts ont des états d'âme
? Jazz, Bourbon, Julep, Easy City !
"Katrina" a passé et a fait céder les digues.
Des milliers de morts et il est improbable que New-Orleans ne redevienne
jamais ce qu'elle était. On peut reconstruire les édifices,
mais on ne fera plus confiance à ces digues. On n'oubliera pas que,
quand on en avait le plus besoin, elles ont été emportées
par les éléments. On ne dort pas tranquille quand c'est une
digue qui a déjà cédé qui vous protège.
On se voit en dessous, avec toute cette eau par-dessus.
Des milliers de victimes à New-Orleans, mais la première
dont il faut marquer le deuil, c'est la crédibilité de l'Amérique.
Les États-Unis sont apparus comme un pays sans chef, un bateau à
la dérive dont tous les officiers sont en goguette. A rêver
jazz, bourbon, julep... ou Irak, Afghanistan, Al Qaeda, ce qui, quand le
navire est en péril, est une distraction tout aussi condamnable.
La crédibilité de l'Amérique n'est jamais redevenue
ce qu'elle était.
On peut blâmer Bush, la FEMA, le gouverneur ou le maire, mais
la réalité, c'est que tous ces gens et tous les autres autour
d'eux, tous ces gens qui ensemble constituent l'ÉTAT se sont défilés
devant Katrina. Sapée par les bêtises et le manque d'éthique
de l'administration Bush, cette digue d'autorité et de compétence,
qui doit protéger une nation, a simplement cédé. Quand
on en avait le plus besoin, elle a été emportée par
les événements.
Personne ne s'est préoccupé d'évacuer les Noirs
de New-Orleans. On leur a dit de partir, puis l'on s'en est remis à
la pensée magique. La pensée magique que QUELQU'UN, QUELQUE
PART allait s'en occuper. Pas soi, un autre. Chacun a rempli le bout de
rôle de sa description de tâche, puis s'est empressé
de prouver aux médias qu'il avait fait sa part, mais personne n'a
cherché une solution, personne n'a tenté de FAIRE quelque
chose.
Peu de gens sont morts dans la tempête elle-même ; à
19 heures, on annonçait que le pire était passé ! Les
digues ? Quelles digues ? Puis l'eau a monté et, pendant des jours,
on a eu ce spectacle hallucinant de quelques hélicoptères
rescapant quelques personnes sous les caméras de CNN, pendant que
les autres crevaient. Alors que n'importe quel Indien de l'Amazone aurait
pensé à construire des radeaux de fortune et à quadriller
la ville en ramassant tout le monde. La haute technologie ne peut pas remplacer
l'intelligence ; elle peut la faire oublier.
Pour le transport des réfugiés, personne n'a pensé
à réquisitionner les autobus de la Greyhound. Pas plus que
les taxis : ils n'ont jamais entendu parler de la Marne. Pas plus que de
lancer un appel aux simples citoyens, lesquels conduisent pourtant bien
plus d'un million de grosses voitures dans un rayon d'une heure de route
de la catastrophe. L'auraient-ils fait, d'ailleurs, qu'il est bien improbable
qu'ils auraient eu la compétence logistique de gérer l'opération.
L'ineptie et la désorganisation de ceux qui sont intervenus après
Katrina ont été stupéfiantes. L'Amérique a été
incapable de gérer une simple distribution de cartes de débit.
Pour l'hébergement, personne n'a pensé à ouvrir
les bases militaires, les écoles, les églises, les édifices
publics. Personne n'y a pensé ou a-t-on simplement craint que tous
ces Noirs et ces pauvres salissent les parquets ? Comme il semble bien que
l'aient craint les citoyens de la petite banlieue bien blanche et proprette
de Gretna, dont les policiers ont arrêté, les armes à
la main, les rescapés noirs de New-Orleans qui voulaient se réfugier
chez eux. Charité chrétienne ? Fraternité ? Simple
humanité ? À la télévision, oui ; dans ma cour,
non. Alors Superdome, Astrodome... le scénario des Rwandais sur les
terrains de foot de Goma. On a violé et on a tué - toujours
des Noir(e)s, bien sûr - dans les stades américains, pendant
qu'une Garde nationale blanche rigolait et tirait des bouteilles d'eau dans
la foule comme des bananes dans un zoo.
Alors, ce n'est pas seulement l'État américain qui a craqué.
Ce sont tous les lieux communs, les a priori, les idées réconfortantes
d'une Amérique compétente, riche, organisée et surtout
SOLIDAIRE qui ont été balayés. Balayés à
la face du monde entier. L'Amérique croyait avoir exorcisé
les vieux démons du racisme, des inégalités de classe
et de richesse ; elle croyait avoir convaincu le monde qu'elle l'avait fait.
Mais l'Amérique bien pensante a réagi à la crise de
New-Orleans avec arrogance, intolérance et une abyssale incompétence.
Toutes les digues des formations réactionnelles soigneusement apprises
et politiquement correctes ont sauté et l'Amérique a vu qu'elle
vivait plusieurs mètres sous le niveau de la plus élémentaire
décence.
Ce n'est pas tant l'Irak que Katrina qui a porté le coup de grâce
à l'Amérique. Comment un citoyen américain noir, latino,
autochtone peut-il aujourd'hui se sentir protégé ? Comment
peut-on lui demander sérieusement d'aller se faire trouer la peau
pour la patrie en Irak, alors qu'il a vu l'Amérique de l'individualisme
et de la religiosité bigote l'ignorer totalement quand il en avait
besoin ? Comment un Africain, un Sud-Américain un Arabe peut-il avoir
du respect pour l'Amérique ? Même la dernière digue,
celle de la crainte révérencielle de la puissance américaine
a été battue en brèche.
Alors une idée a germé dans la tête du Noir Obama,
une petite bestiole d'idée qui a essaimé dans la tête
des autres Américains, noirs ou blancs, mais tous laissés
pour compte par un système inique : les choses devraient changer.
NOUS POUVONS CHANGER L'AMÉRIQUE. Et aujourd'hui, contre toute attente,
malgré la corruption, la manipulation, la décérébration
programmée de l'Amérique, d'autres digues sont à craquer.
Celles des préjugés et du cynisme.
Ce n'est pas encore gagné, mais il est POSSIBLE qu'un grande
vague d'eau propre, détournée d'un fleuve d'espoir qui n'a
jamais tari, vienne nettoyer les écuries de l'Amérique. Obama.
Quand on aura accompli ce travail herculéen, quand une administration
décente sera revenue au pouvoir, l'Amérique pourra reprendre
le leadership des nations démocratiques. C'est sa dernière
chance.
Pierre JC Allard
Page précédente
Page suivante
Litanie des avanies
Retour à l'accueil