07.08.10
Extra ! Extra ! La guerre est finie !
Une bonne nouvelle qui nous arrive de Baghdad et de Kabul: la guerre
est finie. Ce qui n'emp�chera pas les Irakiens et le Afghans de mourir demain,
mais est un espoir pour les autres. Les civils morts par milliers ne seront
pas morts en vain. La bonne nouvelle que véhiculent les massacres
en Irak et en Afghanistan -- la seule, hélas -- c'est que la
guerre est un concept fichu. L'idée de faire la guerre est un anachronisme.
Parce que la guerre n'apporte plus rien... et qu'elle crée vraiment
trop d'ennuis au gagnant...
Jadis, on faisait la guerre pour asservir une main-d'oeuvre, contrôler
des ressources, détruire un rival commercial. Trois (3) raisons qui
n'ont plus de sens. Aujourd'hui la main-d'oeuvre est surabondante et un
envahisseur a sur les bras une multitude pauvre et incompétente qu'il
faut nourrir. L'accès aux ressources rares s'obtient par la simple
corruption des potentats locaux, soutenus au besoin par quelques bataillons
d'élites. L'élimination des rivaux commerciaux se fait sur
les marchés boursiers ; Mittal n'a pas occupé Arcelor à
la tête d'une horde de cavaliers en turbans.
La guerre va disparaître. Elle ne disparaîtra pas parce
qu'elle est abominable - elle l'a toujours été - mais parce
qu'elle ne constitue plus une opération rentable pour ceux qui ont
le pouvoir de la faire. On se doutait qu'elle était inutile, on est
à prouver une fois pour toutes en Irak et en Afghanistan qu'elle
est impossible.
Quand la première puissance du monde ne peut imposer sa volonté
à quelques millions de paysans et de bergers sur quelques milliers
de kilomètres carrés de sable et de reg, peut-on penser que
quelque pouvoir militaire que ce soit pourra jamais affirmer sa domination
tranquille sur un territoire disputé ? Le monde a changé.
La guerre n'a plus d'avenir. Comment la donne a-t-elle changé ?
Traditionnellement, on faisait la guerre à une nation ennemie,
perçue comme une masse homogène, et essentiellement malléable.
Parce qu'elle était homogène, on pouvait la considérer
comme globalement hostile, ce qui pouvait servir de prétexte aux
exactions en pays conquis, aux prises d'otages puis, avec le temps, au bombardement
des populations civiles et autres horreurs, culminant avec Guernica, Dresde
et Hiroshima.
Parce que la masse de la nation était malléable, on pouvait
penser qu'il suffisait de défaire son armée en rase campagne,
d'obtenir la reddition de ses leaders et de les remplacer pour avoir gagné
la guerre. S'il subsistait des velléités irrédentistes,
il n'y avait qu'à faire régner la terreur quelque temps, pour
obtenir de la population de nouveaux comportements. Une population était
là pour obéir à ses maîtres et on avait changé
le maître.
C'est avec les guerres de religions, d'abord, que les choses sont devenues
moins simples, avec ces hérétiques qui ressemblaient tout
à fait aux bons croyants et vivaient dans la maison voisine. Ensuite,
est venue l'émergence de la conscience de classe et la loyauté
au Parti qui, chez certains, pouvait prendre le pas sur la loyauté à
la patrie, sans qu'ils jugent nécessaire d'émigrer. Avec la
constitution de grands ensembles multiethniques, toute la notion d'appartenance
s'est finalement transformée en casse-tête, compliquant la
tâche des envahisseurs. Bien hasardeux de penser que l'on a nécessairement
en face de soi un opposant... et donc bien plus habile de chercher des soutiens
parmi les adversaires, que de les massacrer tous sans discernement.
Quand les nations sont devenues hétérogènes, certains
ont compris que la zizanie pouvait être une arme et ont marqué
des points. Le Japon de 1937 l'a utilisé en Mandchourie contre la
Chine. D'autres ne l'on pas vu. Si Hitler l'avait compris et avait traité
les Ukrainiens comme des amis libérés du joug soviétique,
il aurait traversé l'Ukraine comme à la parade. Il serait
entré à Stalingrad, puis à Bakou, avant que ne tombe
un premier flocon de neige, changeant du tout au tout l'issue de la campagne
de Russie et peut-être le sort du monde.
Le Viet-Cong l'a compris et, contrairement aux idées reçues,
n'a torturé que bien peu de prisonniers américains, il en
a plutôt endoctriné beaucoup, ce qui était une défense
efficace contre une force d'invasion multiraciale. Ensuite, le concept s'est
raffiné. Israel, dès sa première invasion du Liban,
a bien profité de la scission de la population libanaise en une multitude
de factions, l'encourageant jusqu'a ce qu'il ne reste plus du Liban une entité
capable d'opposer une résistance sérieuse. Une nouvelle façon
de faire la guerre.
Une vieille façon, en fait, puisqu'on ne faisait que revenir
à l'adage romain qu'il faut diviser pour régner. Depuis lors,
on a utilisé à fond la zizanie programmée. Toutes les
guerres récentes en Afrique et au Moyen-Orient ont obéi à la même
règle. L'Afghanistan en est devenu le cas d'école et la rivalité
entre Chiites et Sunnites en Irak, portée à son paroxysme
par l'invasion américaine, en est la toute dernière illustration.
Tout ça est connu, mais pourquoi en déduire que la guerre
devient impossible ?
Parce qu' il y a un effet pervers à la zizanie, spontanée
ou implantée. Quand l'hétérogénéité
augmente et que la zizanie est partout, les conflits n'opposent plus deux
camps, mais une multitude de factions ; la loyauté et la discipline
sont peu à peu redirigées vers la base, à mesure que
l'on passe de l'identification à la nation à l'appartenance
au clan. Le rapport de force entre les protagonistes fluctue donc sans cesse,
au rythme de la cohésion entre leurs composantes, auxquelles ils
ne commandent plus, mais qu'il leur faut désormais convaincre.
En l'absence de groupes identitaires forts, on peut même sauter
l'étape clanique et arriver directement à l'égocentrisme
primaire ; on n'est plus jamais, alors, qu'à une formation réactionnelle
près de voir chaque individu se transformer en pur prédateur.
Chacun n'agit plus que pour soi et sa motivation suit strictement ses intérêts.
Le sort des batailles en vient alors à dépendre de la capacité
de persuader ou de soudoyer et ce n'est plus tant du charisme de César
que le général a besoin, ni même de la duplicité
de Machiavel. Seulement d'une propagande à la Goebbels et d'une promesse
crédible de butin.
Quand l'hétérogénéité atteint un
seuil critique, la population cesse aussi d'être malléable.
Chacun a son objectif et l'on a autant de factions qu'il y a de belligérants.
Chaque mousquetaire est contre tous et tous contre chacun. Comment faire
la guerre, quand le monde ne se divise plus en unités territoriales
peuplées de gens ayant des intérêts communs permanents,
mais en regroupements précaires d'individus créant et défaisant
leurs alliances au gré de leurs objectifs immédiats ?
Quand c'est chacun pour soi, il n'y a plus de guerre possible, car l'ennemi
n'est pas là. Le défi n'est plus de triompher d'un adversaire
évanescent dont on ne connaiît même pas les intentions
réelles, mais de rétablir l'ordre entre des gens dont chacun
a son agenda , qui n'ont en commun que leur haine de l'envahisseur et qui
n'ont évidemment nul respect pour ordre que celui-ci voudrait imposer.
Comment remporter une victoire dont on ne peut même pas définir
les conditions ?
La guerre est une partie perdue pour l'agresseur et chaque manche est
l'occasion d'une défaite. Avec les techniques modernes, chaque belligérant
dispose d'un pouvoir terrifiant qu'il peut exercer SEUL. Chaque individu
du pays agressé peut se dire combattant ou non-combattant et en changer
à sa guise. Il a le choix du temps et du lieu. Il n'est plus possible
de tirer vengeance d'une attaque ou d'un attentat en s'en prenant aux alliés
de celui qui en a été l'auteur, car celui-ci n'a plus d'alliés,
ni même une population civile à laquelle il s'identifie. Ce
n'est plus SA population. Il est à lui seul son parti tout entier.
Pour l'agresseur, le seul ennemi visible est le désordre. Un
ennemi invincible, car plus l'on se bat, plus il augmente. Sans un adversaire
bien identifié à combattre, chaque soldat devient un agent
libre et devient vite aussi dangereux pour celui qui l'emploie que pour
celui contre qui on a voulu l'employer. Le conflit ne peut cesser, puisqu'il
n'y a personne qui ait l'autorité d'y mettre fin. L'envahisseur
n'a le choix qu'entre une retraite ignominieuse ou un génocide qui
le mettra au ban de l'humanité
Le génocide conduira à un élargissement du conflit
dans lequel l'envahisseur pourrait bien se retrouver l'envahi. Si c'est
le retrait qu'il choisit, les querelles intestines dans le pays envahi continuent
longtemps après son départ. Pour créer une nouvelle
solidarité, on doit y refaire le chemin qu'on avait mis des siècles,
parfois, à parcourir. Il n'est pas sûr quc cette solidarité
renaisse avant des décennies, des générations, si la
cohésion initiale était faible .
L'envahisseur, pour sa part, n'a aucune raison de chanter victoire.
Il n'a rien gagné qu'il n'aurait pu obtenir autrement, sans violence
et il s'est créé un épouvantable problème. Il
doit, en effet, rapatrier ses soldats auxquels il a inculqué le mépris
de la discipline, du bon droit, du respect des autres et de la vie. Beaucoup
ont été physiquement blessés, encore bien davantage
l'ont été mentalement; ils sont aigris et, en l'absence d'une
victoire, ils se sentent trahis. Un nombre significatif d'entre eux se perçoivent
comme des pillards et des assassins. Leur plan de carrière dans la
criminalité et la violence est tout tracé. La guerre aura
couté bien cher à l'État qui se sera voulu conquérant.
Trop cher.
On ne fera plus la guerre. On fera encore des razzias, des expéditions
punitives brèves, mais on ne fera plus la guerre L'Afghanistan et
l'Irak ne sont déjà plus des guerres. Seulement des espaces-temps
mal définis de violence gratuite d'où l'on sortira après
y avoir tu�, d�truit et bêtement créé le désordre.
Pierre JC Allard
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