En début de semaine, David Dodge, Gouverneur de la Banque du
Canada, est venu sonner l'alarme en nous rappelant que l'on vieillit et
que toutes ces décennies d'après-guerre où l'on a fait
des tellement enfants - suivies de celles où l'on en a fait tellement
moins - nous ont bâti une drôle de pyramides des âges.
Le secret de cette pyramide, c'est qu'elle n'en a pas, car
la démographie est une science exacte. Il y a 30 ans qu'on nous prédit
des problèmes, ils sont là.
Il y a bien une trentaine d'années, en effet, que les actuaires
de Québec, Yves Guérard le premier, nous ont prévenu
que ce serait dur, le début de siècle. Le rapport de recherche de Statistique Canada, sorti
le 15 juin, est venu confirmer le message de Dodge et nous dire que la population
active - la population de plus de 15ans, présumée en âge
de travailler - commencera à chuter dès 2011. En 2011, les
premiers « baby boomers », nés en 1946, auront 65 ans
- la démographie est bien une science exacte - et ils vont se présenter
au guichet.
Oh, il y a déjà des baby boomers qui ont accroché
leurs patins - Liberté 55, ce sont eux, qui y ont pensé,
n'est-ce pas - mais la majorité des nouveaux vieux, traditionalistes
comme il se doit quand on est nombreux, vont commencer à se faire
pensionner en masse dans 3 ans. Commencer. Après, ils en auront pour
longtemps. Une vingtaine d'années chacun et leur espérance
de vie devrait grimper encore d'un an ou deux, avant qu'ils ne cessent d'espérer.
Donc les problèmes sont là. Premier problème, moins
de travailleurs au boulot. Donc, des pressions sur les salaires et j'entends
déjà Sherry Cooper, économiste chez Nesbitt Burns, venir
nous dire que l'on pourrait s'écarter du chömage « naturel
» au Québec, qu'elle fixait à 10.5%. Je ne sais pas si
Madame Cooper pris sa retraite, mais je ne pleurerai pas si le chômage
baisse et si les salaires augmentent un peu... On en aura bien besoin.
Parce que le deuxième problème, le vrai, c'est que, les
cohortes suivant celle des prochains retraités étant moins
dodues, il y aura de moins en moins de gens au travail pour assurer le paiement
des pensions à de plus en plus de retraités. Nous avons aujourd'hui
quatre (4) personne au travail pour une personne à la retraite. Nous
allons tendre rapidement vers une situation où il n'y en aura plus
que deux (2). Ce n'est pas une surprise, Guérard l'avait dit, mais
ce sera lourd à porter. Qu'est-ce qu'on peut faire ?
La solution démographique, ce serait d'inviter des milliers de
jeunes immigrants pour remodeler la pyramide. Disons pudiquement que les
conséquences sociales seraient significatives, tout en nous souvenant
qu'on a déjà bousillé tout le système de santé
pour atteindre le déficit-zéro et que l'hypothèse d'importer
des contribuables pourrait bien sourire à un futur Lucien Bouchard.
On en reparlera certainement.
Y a-t- il une alternative ? Oui, refouler les pensionnés vers
le marché du travail. Il n'est pas dit dans la Bible ni le Coran
que la retraite est à soixante-cinq ans et l'on pourrait donc prolonger
la vie active de 65 à 70 ans, s'inspirant de la science qui a déjà
prolongé la vie tout court de plus de 5 ans, sans que personne ne
s'insurge. Si on le fait, on ajoute 8% de travailleurs contribuables et
l'on réduit du tiers le nombre des pensionnés. On change la
donne. Une bonne solution, au moins pour une génération, le
temps que l'on se mette dans la tête de vivre encore davantage.
Une bonne solution, mais qui demande un peu de doigté. Supprimons
d'abord, bien sûr, toute règle qui oblige qui que ce soit à
prendre sa retraite, sous réserve d'un examen médical annuel
à partir de 65 ans pour faire foi de sa capacité au travail.
17 % de la population déclare souhaiter ne JAMAIS prendre sa retraite
; ce n'est donc pas une mesure triviale.
Ensuite, il faut inviter bien poliment à rester au travail ceux
qui ont cotisé le temps requis pour avoir droit à leur pension,
sans rien leur enlever des sommes qui leur sont dues. Il faudra leur offrir
des avantages suffisants pour qu'ils acceptent cette proposition. L'important
est de les garder comme travailleurs et donc comme contribuables à
des taux d'imposition plus élevés.
Enfin, en fixant dorénavant l'âge de la retraite à
70 ans, il faut naturellement recalculer les primes pour tous ceux qui sont
au travail et cotisent déjà. de sorte que le sacrifice exigé
soit équitable pour tous, ce qui est une opération mathématique
simple.
Peut-on faire autre chose ? Faire, peut-être pas, mais prévoir,
oui. Lorsqu'il n'y a plus, pour payer la pension du retraité, que
deux travailleurs plutôt que quatre, tout se passe comme si l'on ajoutait
une personne à charge par couple. Normalement, on ne verra pas ce
retraité qui restera fantôme, c'est la fiscalité qui
fera la compensation. Mais la charge fiscale augmentant, qui sait si beaucoup
de contribuables ne seront pas heureux d'avoir papy et/ou mamie comme colocs
pour participer aux dépenses du ménage ?
Les avantages et désavantages de cette cohabitation intergénérationnelle
exigeraient un long développement. Je ne mentionne ici ce phénomène
que pour attirer l'attention sur cette option que les circonstances économiques
pourraient rendre attrayante et dont les impacts sociologiques seraient
énormes. En effet, les enfants aux études restent chez les
parents de plus en plus vieux, parce que c'est leur seule façon de
s'en tirer. Si, devenus contribuables, ils accueillent à leur tour
ces parents pour boucler leurs fins de mois, on n'est pas loin de faire le
pont et l'on tend vers un modèle de famille élargie qu'on
croyait bien disparu depuis la révolution industrielle.
Les bénéfices seraient considérables. Gains psychologiques
en rompant l'isolement et la solitude qui sont des fléaux de notre
époque, souvent dénoncés comme facteurs contributoires
à la criminalité et aux maladies mentales, Gains financiers,
aussi, puisque l'habitat est rentabilisé et qu'on apporte une solution
bien terre-à-terre au gardiennage, dont on a eu la surprise de constater
qu'il était la plus forte dépense liée à l'éducation
des enfants.
Une affaire à suivre. Qui sait si la catastrophe annoncée
de l'explosion des coûts liés à l'arrivée des
baby boomers à la retraite ne se soldera pas, en définitive,
par le passage à un nouveau modèle de société
plus humain ?