05.09.15
NEW ORLEANS: QUAND LES DIGUES CEDENT
New-Orleans, a toujours vécu dangereusement. Iberville, Bienville,
Laffite. Elle est née et a grandi dans une cuvette, 2 ou 3 mètres
sous le niveau du Golfe, s'en remettant à des digues pour ne pas
être inondée. Les digues ont tenu bon si longtemps, qu'on en
est venu à croire que l'on était à l'abri des vents
et marées. À l'abri des ouragans. Bien des experts ont dit,
à maintes reprises, que New Orleans était " une catastrophe
qui ne demandait qu'à arriver", mais bof ! Est-ce qu'on arrête
la fête, simplement parce que les experts ont des états d'âme
? Jazz, Bourbon, Julep, Easy City !
" Katrina" a passé et a fait céder les digues.
Déjà des centaines, sans doute des milliers de morts, et il
est improbable que New-Orleans ne redevienne jamais ce qu'elle était.
On peut reconstruire les édifices, mais on ne fera plus confiance
à ces digues. On n'oubliera pas que, quand on en avait le plus besoin,
elles ont été emportées par les éléments.
On ne dort pas tranquille quand c'est une digue qui a d�j� cédé
qui vous protège. On se voit en dessous, avec toute cette eau par-dessus
Quel que soit le nombre de victimes à New-Orleans, la première
dont il faut marquer le deuil, c'est la crédibilité de l'Amérique.
Les USA sont apparus comme un pays sans chef, un bateau à la dérive
dont tous les officiers sont en goguette. A rêver jazz, bourbon, julep...
ou Irak, Afghanistan, Al Qaeda, ce qui, quand le navire est en péril
est une distraction tout aussi condamnable. La crédibilité
de l'Amérique ne redeviendra pas ce qu'elle était. Pas avant
que l'on n'ait tout changé, ou que ne soit arrivée à
l'âge mûr une génération qui n'aura pas connu
Katrina.
On peut blâmer Bush, la FEMA, le Gouverneur ou le Maire, mais
la réalité, c'est que tous ces gens et tous les autres autour
d'eux, tous ces gens qui ensemble constituent l'ÉTAT se sont défilés et que, sapée par les bêtises et le manque d'éthique de l'administration
Bush, cette digue d'autorité et de compétence
qui doit protéger une nation, a simplement cédé. Quand
on en avait le plus besoin, elle a été emportée par
les événements.
Personne ne s'est préoccupé d'évacuer New-Orleans.
On leur a dit de partir, puis l'on s'en est remis à la pensée
magique. La pensée magique que QUELQU'UN, QUELQUE PART allait s'en
occuper. Pas soi, un autre. Chacun a rempli le bout de rôle de sa
description de tâche, puis s'est empressé de prouver aux médias
qu'il avait fait sa part, mais personne n'a cherché une solution,
personne n'a tenté de FAIRE quelque chose.
Peu de gens sont morts dans la tempête ; à 19 heures, on
annonçait que le pire était passé ! Les digues ? Quelles
digues ? Puis l'eau a monté et, pendant des jours, on a eu ce spectacle
hallucinant de quelques hélicoptères rescapant quelques personnes
sous les caméras de CNN, pendant que les autres crevaient. Alors
que n'importe quel Indien de l'Amazone aurait pensé à construire
des radeaux de fortune et à quadriller la ville en ramassant tout
le monde. La haute technologie ne peut pas remplacer l'intelligence ; elle
peut la faire oublier
Pour le transport des réfugiés, personne n'a pensé
à réquisitionner les autobus de la Greyhound. Pas plus que
les taxis : ils n'ont jamais entendu parler de la Marne. Pas plus que de
lancer un appel aux simples citoyens, lesquels conduisent pourtant bien
plus d'un million de grosses voitures dans un rayon d'une heure de route
de la catastrophe. L'auraient-ils fait, d'ailleurs, qu'il est bien improbable
qu'ils auraient eu la compétence logistique de gérer l'opération.
L'ineptie et la désorganisation de ceux qui sont intervenus après
Katrina ont été stupéfiantes. L'Amérique a été
incapable de gérer une simple distribution de cartes de débit.
Pour l'hébergement, personne n'a pensé à ouvrir
les bases militaires, les écoles, les églises, les édifices
publics. Personne n'y a pensé, ou a-t-on simplement craint que tous
ces noirs et ces pauvres salissent les parquets ? Comme il semble bien que
l'aient craint les citoyens de la petite banlieue bien blanche et proprette
de Gretna, dont les policiers ont arrêté, les armes à
la main, les rescapés de New-Orleans qui voulaient se réfugier
chez eux. Charité chrétienne ? Fraternité ? Simple
humanité ? À la télévision, oui ; dans ma cour,
non. Alors Superdome, Astrodome... le scénario des Rwandais sur les
terrains de foot de Goma. On a violé et l'on a tué - toujours
des noir(e)s, bien sûr - dans les stades américains, pendant
qu'une Garde Nationale blanche rigolait et tirait des bouteilles d'eau dans
la foule comme des bananes dans un zoo.
Ce n'est pas seulement l'État américain qui a craqué.
Ce sont tous les lieux communs, les a prioris, les idées réconfortantes
d'une Amérique compétente, riche, organisée et surtout
SOLIDAIRE qui ont été balayés. Balayés à
la face du monde entier. L'Amérique croyait avoir exorcisé
les vieux démons du racisme, des inégalités de classe
et de richesse ; elle croyait avoir convaincu le monde qu'elle l'avait fait.
Mais l'Amérique bien pensante a réagi à la crise de
New-Orleans avec arrogance, intolérance et une abyssale incompétence.
Toutes les digues des formations réactionnelles soigneusement apprises
et politiquement correctes ont sauté et l'Amérique a vu qu'elle
vivait plusieurs metres sous le niveau de la plus élémentaire
décence.
Comment un citoyen américain noir, latino, autochtone peut-il
aujourd'hui se sentir protégé ? Comment peut-on lui demander
sérieusement d'aller se faire trouer la peau pour la patrie en Irak,
alors qu'il a vu l'Amérique de l'individualisme et de la religiosité
bigote l'ignorer totalement quand il en avait besoin ? Comment un Africain,
un Sud-américain un Arabe peut-il avoir du respect pour l'Amérique
? Même la dernière digue, celle de la crainte révérencielle
de la puissance américaine est battue en brèche.
Quand une administration décente sera revenue au pouvoir, l'Amérique
pourra reprendre le leadership des nations démocratiques. Pour que
l'Amérique retrouve sa dignité, il faudrait que Bush et des
douzaines d'autres qui l'entourent aient eux la dignité de se démettre.
Je n'ai aucun espoir qu'ils le fassent.
Pierre JC Allard
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