05.09.10
THE SHOAH MUST GO ON ?
C'est un ami juif qui m'a trouvé ce titre. Attention ! Je n'ai
pas dit que j'avais des amis juifs ; ça, c'est bien connu, c'est
une excuse d'antisémite avant de dire des horreurs. J'ai dit qu'un
de mes amis qui fait dans le show business et qui incidemment est juif
- même s'il est juif comme je suis chrétien, ce qui veut dire
qu'il porte l'étiquette du produit, mais sans suivre les instructions
- m'a sorti ce jeu de mot tout à fait spontanément, pendant
qu'on parlait de Palestine. Cachère ou pas cachère ? Allez
donc savoir....!
Comment dit-on aux Juifs qu'on les aime ? Qu'on ne les aime pas toujours,
mais qu'on les aime parfois, comme les autres ? Comme Jean Ferrat aime parfois
la marine, quand c'est Potemkine qui est en vedette ? J'ai souvent peine
à dire à certains Juifs que je les aime, parce qu'il est si
difficile de leur dire quoi que ce soit sans leur faire de la peine. On
lui dit qu'il est intelligent, il entend roublard ; on lui dit qu'il est
gentil (sans jeu de mot, cette fois), il entend simplet. On lui donne raison
? C'est un piège... Je comprends qu'à être flagellé
longtemps on a la peau qui devient sensible, mais comment s'y prend-on pour
embrasser un écorché vif ? Problème pratique, car j'ai
des Juifs à embrasser.
Il y a quelques jours, 8 500 Juifs ont été déportés
de Gaza. Une goutte d'eau dans la Shoah, mais ces gens, depuis des décennies,
s'étaient bâti non seulement une maison, mais un espoir. Une
vie. Ce n'est pas rien. Le départ de Gaza n'est pas un sacrifice
banal. Pour montrer l'échelle, la Déportation des Acadiens,
qui a marqué de façon indélébile, depuis des
siècles, les relations entre anglos et francos au Canada, a touché
7 000 personnes. !
Le départ de Gaza n'est pas un sacrifice banal. Je voudrais dire
qu'au nom de la paix et de la justice, j'apprécie ce sacrifice. Le
monde entier l'apprécie, d'ailleurs. Je suis très connecté
sur ce que les gens pensent et ressentent et je sais que l'image d'Israël
a pris du mieux depuis cette opération. Beaucoup de mieux. On n'en
est pas encore aux années 60, quand il suffisait, sur un bateau croisière,
de dire qu'on venait d'Israël pour être applaudi, mais on est
sorti de la spirale descendante qui, depuis des années et au rythme
des événements palestiniens, semblait vouloir recréer
inexorablement une dynamique d'hostilité envers les Juifs.
Le sacrifice de Gaza a eu son effet. Pas seulement pour la paix au Moyen-Orient,
mais pour la perception que l'on se fait partout d'Israël et des Juifs.
Je suis sûr que ceux qui suivent la courbe de l'antisémitisme
vont en voir les résultats tangibles. Seulement eux, d'ailleurs,
puisque c'est quand il n'y a rien à voir que l'antisémitisme
est jugulé. On ne verra plus rien et tout ira bien. Gaza a été
un beau geste et le résultat sera positif. Tout le monde y gagne...
Tout le monde, sauf, bien sûr, les 8 500 déportés
de Gaza. Parce que j'aime bien les Juifs - pas toujours, mais souvent
- je pense à ceux de Gaza. Comme je pense à ceux dr Baghdad
ou de New Orleans, mais avec une dimension de plus. Une dimension de constance
dans le malheur. Faut-il vraiment que la judéité ne survive
que de sacrifices en sacrifices ? Quand je demande de façon rhétorique
si la Shoah doit continuer, je ne fais évidemment pas allusion à
l'extermination ; je pense à la souffrance. J'ai l'impression troublante
que le monde n'applaudit les Juifs que quand ils souffrent. Comme si c'était
le seul rôle dans lequel ils soient exceptionnels.
Les tragédies grecques sont des escarmouches avec le destin ;
elles ont un commencement et une fin, puis, comme le disait Melina Mercouri,
« dimanche, tout le monde part pour la plage ». La tragédie
juive a un air de permanence. 40 ans dans le Sinaï pour entrer, des
générations à Babylone, 2 000 ans pour revenir ...
C'est une tragédie qui a un air de projet à long terme. Quand
votre Dieu en personne vous interpelle, pour vous dire, d'abord qu'il vous
a choisi et, tout de suite après, qu'il va vous « éprouver
impitoyablement dans le creuset », est-ce qu'on peut se préparer
à une partie de plaisir ?
Le creuset, c'est de l'or et c'est du feu. L'or est bien là.
Il est absolument indéniable, m[eme pour leurs pires détracteurs
que, compte tenu de leur nombre, les Juifs ont contribué beaucoup
plus que quelque autre groupe à l'évolution de l'humanité.
Le feu aussi, toutefois, car le plaisir n'a pas été souvent
de la partie. Bénédiction ou malédiction, la promesse
été tenue. Est-ce que les Juifs - ceux qui y croient -
peuvent et veulent poursuivre un destin qui soit axé sur autre chose
que le malheur ? DEVRAIENT-ils le faire ? Sarah Bernhardt - qui était
aussi de la famille - aurait-elle dû laisser la tragédie
pour jouer Bécassine et faire les Boulevards ?
Je n'ai pas de réponse à cette question. Une question
qu'on ne me pose pas, puisqu'à moi l'on n'a rien promis.... Je n'ai
pas de réponse. Je veux seulement dire merci à ceux qui ont
organisé le sacrifice de Gaza et exprimer ma sympathie envers ceux
qui en ont été les victimes expiatoires. Je souhaiterais sincèrement
que de temps en temps, ne serait-ce qu'en rappel, on leur laisse ajouter
quelque chose de plus gai à leur répertoire.
En attendant, leur malheur n'a pas été inutile. Comme
on le fait aux grands acteurs qui nous touchent vraiment, je veux souffler
un baiser de loin à ceux qu'on vient encore d'écorcher. Leur
envoyer cette accolade, de loin pour ne pas leur faire mal, et leur dire
que je les aime bien, même pendant les entractes.
Pierre JC Allard
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