05.09.20

 

 

Le pacte Dunant - bin Laden

 

De quoi s'agit-il ? De mettre fin au terrorisme. Entendons-nous bien ; "terrorisme" désigne beaucoup de choses et, comme je l'ai déjà dit (Le terrorisme), ce qui fait l'originalité du nouveau terrorisme, c'est sa composante irrationnelle, individualiste, suicidaire, pathologique. On ne passe pas de pactes avec des fous et l'on ne mettra donc pas fin par un pacte à tout terrorisme. On ne mettra pas fin à tout terrorisme tant qu'on n'aura pas mis en thérapie tous ceux qui n'ont plus rien en perdre et qui rêvent d'une apothéose. Ce n'est pas pour demain.

On ne peut pas mettre fin à tout terrorisme, mais on peut en limiter la prévalence et les effets en faisant un pacte avec le Diable. Le Diable est méchant, mais il n'est pas fou. On peut tenter une réinterprétation de la Convention de Genève, dont Jean-Henri Dunant avait été l'inspiration. Le même Dunant qui a aussi été à l'origine de la Croix-Rouge. Le même Dunant à qui l'on a donné le premier prix Nobel de la Paix.

Dunant aurait préféré qu'on mette fin à la Guerre. À toutes les guerres; ce serait aussi mon premier choix. Mais quand Dunant a vu et entendu des milliers de blessés agoniser sans soins dans les champs après la bataille de Solferino, il s'est résigné à proposer un pacte avec le Diable. Que les combattants combattent - puisque rien ne les en empêchera - mais qu'on tienne au moins les civils indemnes de leur folie. Qu'on mette aussi les blessés hors-jeu, qu'on les évacue et qu'on les soigne. Au moins ça. On aura fait un premier pas vers l'humanité.

Il en est sorti la Convention de Genève. Quand, durant le siège de Paris, on a brandi le drapeau de la Croix-Rouge et que l'artillerie prussienne a interrompu ses bombardements pour permettre l'évacuation des blessés, l'humanité a remporté une victoire autrement plus significative que l'issue du siège de Paris lui-même. Les exigences de base de la Convention de Genève ne sont pas toujours respectéees;, car il est difficile de faire confiance à des gens qui font la guerre... Mais dirait-on pour autant qu'il n'aurait pas fallu la signer ? Chaque petit pas vers l'humanitéest un acquis. Si on faisait un autre pas en avant ?

On n'empêchera pas que s'entretuent ceux qui ont une vision différente du monde et de son avenir, mais si on faisait un autre pas en avant et que l'on convenait de nouvelles balises ? Supposez qu'on mette vraiment hors du coup les non-bélligérants et qu'on interdise les « dommages collatéraux »? Supposez que l'on convienne qu'il est aussi inacceptable de brûler les enfantss au napalm dans un bombardement ou par l'explosion d'une bombe artisanale que de les faire frire à la poêle ? On n'arrêterait pas toutes les atrocités, mais peut-être quelques-unes.

Surtout, on saurait mieux de quel côté est le bien. Ce qui n'est pas sans intérêt pour ceux qui font la guerre. Dans le monde d'interdépendance qui est à se créer, chacun de nous a de plus en plus d'importance.(Rick et le char d'assaut) Il n'est pas nécessaire d'être un héros pour saboter le mal, souvent une omission suffit ; mais il faut savoir où est le bien. Aujourd'hui, ce n'est pas clair et le mal est partout.

On ferait un grand pas en avant, si les forces de la coalition en Irak et toutes les autres forces d'occupation, où que ce soit, s'engageaient à ne JAMAIS bombarder des civils. À ne JAMAIS ouvrir le feu sur des gens désarmés, même sous prétexte que quelques ennemis bien réels se cachent parmi eux et, à plus forte raison, si ceux-ci prennent ceux-la en otages ou s'en servent comme boucliers. Ne tirez pas : attendez. Assiégez. Comme on le fait dans les prises d'otages, dans les pays civilisés. Une supériorité technique ne devrait pas servir à élargir le carnage, mais permettre une totale sélectivité des cibles.

On ferait aussi un grand pas en avant si Al Qaeda - et éventuellement tous les autres groupes qui pratiquent un terrorisme indiscriminé - annonçaient urbi et orbe, par tous les moyens de communication dont il semble qu'ils disposent, que, dorénavant, ils ne s'attaqueront plus aux populations civiles, mais réserveront leurs attaques à leurs adversaires : ceux qui portent un fusil et ceux qui commandent ceux qui portent un fusil. S'ils le font, en évitant eux aussi tout dommage collatéral, ils deviendront des belligérants comme les autres. Aussi bêtes et méchants que les autres... mais pas plus.

Dans un monde où l'opinion publique a une importance cruciale, au palier des politiques, mais surtout des omissions qui découlent de la vision du bien de chacun, le Diable et son cousin gagneraient plus à se refaire une image qu'à faire couler un peu plus de sang sur les trottoirs du monde. Un pacte Dunant-bin Laden n'empêchera pas des aliénés de se faire exploser. N'empêchera surtout pas que le Diable signe des attentats du nom de son cousin et vice-versa. Mais on aura enlevé l'aura d'institutionnalisation du terrorisme qu'a créée la mythification de Al Qaeda. On saura qu'on a affaire parfois à des méchamts, mais aussi parfois à des fous. Et que ce sont deux défis qui exigents des réponses différentes.

Pourquoi parler d'un pacte Dunant-bin Laden ? En hommage à Jean-Henri Dunant, qui l'a bien mérité, mais en souvenir aussi, d'autre part, de tous ces prix Nobel de la paix qu'on a donné si souvent conjointement, sans distinction, à une figure de proue représentant l'agresseur comme à une autre représentant l'agressé. Qui signera ce pacte ? Personne, puisque Dunant est mort et que, même si le mythe bin Laden est bien vivant, on se demandera certainement un jour si l'homme a bien joué le rôle que le présent lui prête.

Personne ne signera ce pacte, lequel ne peut être que l'apposition de l'expression anonyme de deux bonnes intentions. Personne n'en assurera le respect, pas plus, d'ailleurs, que des autres pactes qui devraient aujourd'hui protéger les innocents. On jugera de la sincérité des parties selon leur comportement par la suite. Nous pourrons ainsi, malgré les astuces du Malin, trouver plus facilement, dans chaque cas de conflit, où diable le bon droit peut bien s'être caché.

 

Pierre JC Allard



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