INNOCENTE HOMOLKA
2005/06/19
LA PLANCHE À DESSEINS
La France a dit non. Sage décision, car pourquoi monter dans
un train dont on ne connaît pas vraiment la destination, quand on
sait qu'il ne sera pas facile d'en descendre ? Pourtant, tous les sondages
démontrent que les Français veulent plus que jamais aller
quelque part et que, pour une vaste majorité d'entre eux, c'est encore
l'Europe qui est au bout du voyage.
Il faudrait qu'on libère vite la voie, et qu'arrive en gare le
train en partance pour une Europe à laquelle on dira oui. Hop ! Retour
à la planche a dessins. Mais pour faire mieux, il faut d'abord comprendre
à quoi les Français ont dit non, car ils n'ont pas dit non
à l'Europe, mais à tout autre chose En fait, ils ont dit NON
à trois (3) choses.
Ils ont dit non, d'abord, à une question de confiance. On a voulu
profiter d'un engouement pour l'Europe et présenter à la population
un texte long et dense, une liste touffue d'hypothèses procédurales
- dont on savait fort bien qu'elle ne serait pas lue - pour lui arracher
son aval aveugle et un blanc seing. « Suivez-nous sans discuter »
- ont dit les politiciens en place et les technocrates - « nous
allons vous conduire à l'Europe ». C'est cette confiance que
les Français, puis les Hollandais, viennent de refuser de leur accorder.
La répudiation des élites politiques est parfaitement claire.
La population ne fait pas confiance à ceux qui la gouvernent pour
la conduire vers l'Europe. Mandat refusé.
Ils ont dit non, aussi, au concept d'une Europe en expansion indéfinie.
Non au postulat implicite, hérité de l'époque de la
CECA et du Traité de Rome, d'une Europe-Zollverein, d'une Europe
qui ne soit qu'un « Marché Commun » et à laquelle
on peut donc inviter, si le commerce y trouve son compte, aujourd'hui les
Turcs, mais pourquoi pas aussi, demain, les Japonais, les Bantous et les
Patagons. Les Français ont dit non à la notion d'une Europe-Bazar.
Les Français ont prouvé qu'ils avaient de l'Europe une
vision moins réductrice que leurs élites, lesquelles, hélas
n'y voient encore trop souvent qu'un espace où l'on ne paye pas de
frais de douanes. Ils veulent une Europe que fondent une histoire, une culture,
une tradition largement communes et où s'est forgée une même
vision ou des visions au moins similaires - de ce que sont l'éthique,
la justice, la liberté. Ils veulent bâtir une Europe qui pourra
et DEVRA susciter le développement d'un sentiment d'appartenance.
C'est cette appartenance embryonnaire qui justifie aujourd'hui que les Européens
veuillent se préparer un avenir commun ; c'est la réalisation
progressive de cette vision de leur avenir qui rendra un jour l'Europe une
et indivisible
En troisième lieu, les Français ont dit non à une
Europe en simple attente d'homogénéisation. Une Europe dans
laquelle on pourrait un jour passer de la Hollande à la Grèce
sans s'en apercevoir, comme en va aujourd'hui sans s'en apercevoir de l'lowa
au Nebraska et au Missouri. Ils ont montré, sans fausse pudeur, une
certaine nostalgie pour les frontières qui séparent ce que
l'on est de ce que sont les autres et qui permettent ainsi à chacun
de demeurer soi-même et intéressant.
Ce refus d'une Europe monochrome de l'Atlantique à l'Oural -
qui n'était certes pas la vision gaullienne de l'Europe ! - c'est
l'essence du message de Bové qui a été accueilli. Ce
n'est pas seulement qu'il est juste et bon que le risotto soit meilleur
à Milan qu'à Marseille, le hareng à Copenhague et la
sardine au Portugal; derrière la diabolisation du Big Mac, il y a
tout le refus d'une perte d'identité, sur tous les plans et à
tous les niveaux.
Que l'on parle de commerce, de migrations ou de modèles sociaux,
c'est toujours la volonté ferme de maintenir une IDENTITÉ
française qui est au coeur du débat. Sur le plan social, en
effet, il ne va pas de soi qu'un « oui » aurait entraîné
une détérioration de la situation sociale actuelle et le camp
du non n'a rien mis de l'avant pour améliorer la situation. Le non,
sur le plan social, tient tout entier à une méfiance a priori
de la population envers un modèle qui ne soit pas français
et dont elle craint qu'il n'évolue vers un modèle de type
USA que, majoritairement, elle juge répugnant.
C 'est à ça que la France a dit non : à la confiance
aveugle, à une Europe qui, pouvant être tout, risque de ne
plus être rien et au nivelage du paysage culturel européen
au profit de valeurs exclusivement mercantiles, ce qui met en péril
son identité. À quoi la France dirait-elle « Oui »
?
Dans un prochain référendum, c'est un texte fondateur
de l'Europe qu'il faut soumettre, non seulement aux Français, mais
à tous les Européens. Ce texte doit être court et signifiant.
Il doit avoir la forme et la portée d'une Déclaration des
droits de l'Homme. Ce n'est pas de nouveaux croquis que l'Europe a besoin,
c'est de grands desseins. Un idéal doit animer l'Europe. L'accord
sur ce texte fondateur doit marquer d'abord une étape dans le désir
d'intégration. Il faut que ce référendum pose au départ
la question d'un désir d'appartenance et c'est un texte dans lequel
doivent se reconnaître tous ceux qui se savent Européens.
Dans ce texte fondateur, les impacts matériels ne doivent pas
occuper toute la place, ni même la première place. Le négoce
doit être une fonction de l'unité européenne, mais ce
n'est en pas l'essentiel. Les Européens ne veulent pas voter sur
des astuces de bureaucrates, mais sur un projet de société.
Des considérations pratiques pourront peut-être convaincre
certains pays européens de ne pas participer à cette «
Europe » que l'on veut créer, comme suggérer que cette
Europe accorde des conditions économiques privilégiées
à des pays qui ne sont pas européens, mais ce n'est pas ça
qui doit fonder l'Europe. Faisons l'Europe. Du négoce, on pourra
discuter ensuite. Entre Européens, d'abord, entre les Européens
et les autres ensuite.
Le prochain référendum doit obtenir aussi un accord sur
deux points. Accord, d'abord, sur une structure qui maintienne la diversité
européenne, car cette diversité ne doit pas être sacrifiée
à la recherche d'un optimum économique. Accord, ensuite, sur
un mécanisme référendaire permanent. Toutes les politiques
qui encadreront les grands volets pratiques de la construction européenne
ne doivent pas être prises à Bruxelles ou en vase clos, mais
soumises à la population, une à une, dès que les États
se seront mis d'accord quant à la probabilité que l'une ou
l'autre de ces politiques puisse faire l'objet d'une large approbation populaire.
Accord sur une structure et cette structure européenne ne peut
être que confédérale. La Confédération
Européenne doit exercer les pouvoirs qu'on lui transporte. Il semble
efficace que l'Europe ait UNE charte des droits et devoirs du citoyen, UN
code de lois, UNE politique étrangère, UNE armée, UNE
police et UNE politique du commerce entre États confédérés,
et entre ceux-ci et le reste du monde.
Il faut déléguer à un pouvoir confédéral
tout ce qu'il est efficace de lui déléguer, mais sans
mettre en péril l'identité et la spécificité
des États confédérés. Il faut que ces États
- et aussi les autres entités culturelles qui constituent l'Europe
- disposent ce qui est nécessaire à leur soutien et à
leur développement. Il ne faut pas permettre que le pouvoir confédéral
s'immisce dans la gestion des éléments culturels. Mieux, il
ne faut pas permettre que l'exercice même des pouvoirs qui sont consentis
à la Confédération, puisse porter préjudice
aux cultures nationales. Il ne s'agit pas de préserver indéfiniment
une « Europe des patries », mais il faut certainement conserver
une Europe des cultures
Une monnaie européenne ? Oui à l'euro, bien sûr,
mais l'émission de cette monnaie, comme la politique financière
et fiscale de la Confédération, doit être sous le contrôle
de son gouvernement confédéral démocratiquement élu.
De tous les pièges qui guettent l'Europe, il n'y en a pas de plus
dangereux que de laisser le contrôle de sa politique financière
à cette Banque Centrale Européenne qu'on a créée
et qui ne rend de comptes qu'aux shylocks qui en ont obtenu la création. Une guerre qu'il faut faire et gagner
Une politique sociale européenne ? Évidemment, mais en
comprenant que l'égalité qu'on souhaiterait entre tous les
citoyens de l'Europe ne peut pas être une condition de départ,
mais un but à long terme. Il faut accepter que vingt ou trente ans
au moins s'écoulent avant que l'effet de vases communicants ne réduise
significativement les écarts de richesse entre pays pauvres et pays
riches de l'Europe.
Tant qu'une quasi-égalité ne sera pas acquise, les droits
sociaux de chaque Européen ne peuvent être que ceux de son
pays d'origine OU de son pays de résidence, selon son choix mais
dans le cadre d'accords bilatéraux entre les pays membres. Que les
Européens circulent partout en Europe, soit. Mais il est contreproductif
de permettre que quiconque puisse travailler n'importe où et bénéficier
des avantages sociaux offerts par les structures nationales bâties
à grand frais et dont il faut maintenir l'équilibre budgétaire.
La période d'accession à l'égalité au sein
de l'Europe peut être abrégée, si la solidarité
prévaut et qu'une forme de péréquation permet aux pays
moins bien nantis de se rapprocher plus vite des meneurs, mais cette politique
sociale doit être formulée clairement et faire elle-même
l'objet d'un référendum ad hoc. Comme tout changement significatif
doit faire l'objet d'un référendum populaire paneuropéen
ad hoc et ne doit s'appliquer que dans les États confédérés
où une majorité l'aura accepté.
Pierre JC Allard
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