99.08.11
LOTO-POLICE
J'ai passé quelques jours chez un ami qui habite le Plateau Mont-Royal.
Chaque matin, j'ai vu le manège des résidants et non-résidants
déplaçant leurs voitures, chacun selon ses privilèges,
pour obtempérer à des interdits de stationner aux libellés
fantaisistes et souvent contradictoires. Les jeux se font puis... rien ne
va plus; les croupiers de l'ordre passent et distribuent les contraventions.
La Banque gagne toujours. Il y en a toujours qui vont payer, puisque le
nombre de places de stationnement offertes est toujours inférieur
à la demande. Il ne s'agit pas de faire respecter un règlement
mais de percevoir une taxe. Faire payer les moins patients, les moins malins...
et ceux qui peuvent se permettre de payer l'amende. Je présume qu'on
a calculé que les amendes, même en tenant compte des coûts
de perception, rapportent plus que des parcomètres. Peut-être.
Peut-être qu'on n'a rien calculé du tout et qu'on joue au chat
et à la souris par simple bêtise. Une bêtise plus grave
qu'elle n'en a l'air. Car, quand on réduit ainsi la réglementation
à un truc fiscal, on grave dans la tête des gens que la loi
n'a pas de valeur absolue mais n'est qu'un piège à éviter,
un traquenard qu'on contourne quand on a l'astuce requise, un prix à
payer quand on a les moyens de le faire. Or, la rue est pleine de gens qui
peuvent risquer 35 dollars pour se garer où ils veulent et envoyer
au diable leurs concitoyens. Ils le font.
J'ai déjà proposé. il y a bien longtemps, que les voitures
patrouilles assignées aux autoroutes ne se mettent pas en embuscade
mais circulent simplement, tous clignotants allumés, à la
vitesse maximale permise. Personne ne les dépasserait et tous les
automobilistes circuleraient en deçà de la limite. Est-ce
que ce n'est pas ce qu'on souhaite quand on établit une limite de
vitesse ?
Mais non, voyons, ne soyons pas naïfs. On veut des sous. Le prix des
amendes -excès de vitesse ou stationnement interdit - est fixé
de façon à ne pas être dissuasif, mais à maximiser
le rendement de la perception, faisant en quelque sorte de toute l'opération
une roue de fortune. Chanceux, malchanceux... est-ce bien sérieux?
Évidemment, le message que la loi n'est pas sérieuse n'est
pas perdu. Si un entrepreneur veut couper des arbres centenaires, pourquoi
encourir des frais significatifs à demander des permis et attendre?
On coupe, on paye une amende dérisoire... et au diable lois, règlements
et autres tracasseries. On veut détruire un immeuble historique -
comme la maison Van Horne, par exemple, sur Sherbrooke, il y a quelques
années ? On démolit, on paye et on rigole. Au diable l'urbanisme,
le patrimoine et la qualité de vie des autres.
Même chose pour les déchets toxiques, les cimetières
de pneus, les polluants dans nos rivières. Même chose quand
Hydro Québec veut faire passer une ligne de transmission par monts
et pas vaux. Au diable le paysage, les études environnementales,
l'opinion et les droits des riverains. Au diable la loi. On tire d'abord,
on discute après. Compte tenu des chances d'être pris et du
coût des pénalités, l'illégalité est un
beau risque.
Même loterie chaque fois qu'un sinistre - comme l'incendie de la Place
Alexis-Nihon - risque de coûter un montant sérieux à
une compagnie d'assurance; on plaide sans égard au bon droit jusqu'à
ce que le temps et les coûts légaux aient eu raison des assurés
et ramené au plus bas les montants à verser. Au diable les
victimes, c'est de bonne guerre. Messieurs, faites vos jeux.
La loi feint seulement d'être dissuasive; elle n'est plus un impératif.
Dans le monde des affaires, respecter la loi est devenu une option parmi
d'autres. Une option qui a ses avantages et ses désavantages dont
on peut discuter "raisonnablement" dans les conseils d'administration.
Il n'y a plus d'opprobre à défier la loi: c'est un risque
calculé. Pour les individus, le mépris de la loi commence
au volant, il se poursuit au moment de rouler un joint, de payer ses impôts,
de travailler au noir. Un risque à courir.
Il fut un temps où l'on pouvait tuer son voisin et échapper
au châtiment en payant une indemnité à sa famille. On
n'en est pas là - même si dans l'affaire O.J.Simpson il y en
a beaucoup qui l'ont pensé - mais il reste que, dans la vie quotidienne,
légalité et moralité ont divorcé. Celui qu'attrape
le bras de la justice ne se sent plus tant honteux que victime de la deveine.
Est-ce qu'on peut respecter un système qui punit au hasard, comme
on décime une rangée d'otages?
Chaque fois que la loi est bafouée, même pour des vétilles,
c'est le signe d'un État qui n'a plus de légitimité.
Et ce n'est pas les gouvernements à magouille, élus eux aussi
au hasard des états d'âmes que suscitent leur manipulations,
qui lui rendront cette légitimité. La loi doit redevenir respectable
et être respectée.
Pierre JC Allard
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Et puisque l'on parle de loi...