99.08.04
OMBELIX AU PAYS DES CHIMÈRES
À la fin du XXème siècle, l'Amérique au
nord du Rio Grande est tout entière soumise à l'hégémonie
anglo-saxonne, à l'exception, au Nord-est, d'une vaste taïga,
peuplée de caribous, d'autochtones, d'une myriade de métèques
et de deux peuples fondateurs, dont "nous-z'autres" qui ne nous
en tirerions pas mal si nous n'avions pas à porter continuellement
sur le pavois deux clans d' irrépressibles totons, les Peurdurix
et les Ombelix.
Les Peurdurix se sentent tout petits. Ils peuvent avoir le cheveu plat à
la Bourassa ou bouclé à la Charest, ils peuvent être
riches - style "Conseil du Patronat" - ou misérabilistes
genre "ma pension de vieillesse et rien d'autre", mais leur caractéristique
essentielle est d'avoir peur. Le plus grand nombre d'entre eux ont surtout
peur que l'indépendance leur tombe sur la tête, mais il y a
aussi des Peurdurix dont la seule phobie est l'inflation et une minorité
non négligeable d'entre eux qui ont peur de parler anglais. Leurs
pères ont voté "non" à la conscription puis
se sont enrôlés volontaires, ont été pour les
curés sous Duplessis... puis pour la révolution pour autant
qu'elle soit "tranquille".
Le mot d'ordre des Peurdurix est de passer le risque, la responsabilité
et le blâme éventuel aux autres, parce qu'ils ont surtout peur
d'eux-mêmes. La majorité d'entre eux sont fédéralistes
parce que c'est rassurant, mais il y en a beaucoup au contraire qui sont
souverainistes - mais avec association, bien sûr et en souhaitant
au fond que ça n'arrrive pas - parce qu'ils ont encore plus besoin
d'avoir Ottawa comme bouc émissaire que comme parapluie. Les Peurdurix
sont férocement opposés au changement parce que le changement
est un risque et qu'ils se sentent trop petits pour courir des risques.
Les Ombelix sont très gros. Ou plutôt, regardant sans cesse
leur nombril, ils se voient très gros. Ils sont nés d'une
race fière, ils savent que nous avons une culture alors que les anglos
sont des Béotiens et que Toronto est une ville ennuyeuse où
les bars ferment le dimanche. Riches ou pauvres ils sont convaincus que
la Gaspésie est mieux que la Côte-d'Azur, que notre train de
vie est bien supérieur à celui des Européens, comme
en 1945, que Montréal est la "deuxième ville française
du monde" et que le "modèle québécois"
est un succès boeuf qui ne doit rien aux modèles scandinaves
des années soixante.
Les Ombelix ont l'identification facile. ils sont fiers des succès
de Plamondon en France, de Celine Dion aux Etats-Unis et du Cirque du Soleil
partout, comme s'il s'agissait là de produits du terroir. La plupart
se disent sociaux-démocrates, mais ils sont fiers de Bombardier,
de Desmarais et de Québec Inc. La plupart, sont pour l'indépendance,
mais on ne manque pas d'Ombelix fédéralistes qui sont bien
fiers aussi que l'Unesco dise du Canada que c'est le meilleur pays du monde.
Les Ombelix sont férocement opposés au changement parce qu'ils
sont gras, qu'ils se croient gros et qu'ils veulent le rester.
De telle sorte que nos Peurdurix - dont la "sage prudence" n'est
qu'une profonde lâcheté - et nos Ombelix - dont la complaisante
"fierté" repose trop souvent sur une ignorance crasse -
constituent, depuis des lustres, une alliance solide contre tout ce qui
pourrait être un véritable changement. Au Québec, comme
des choeurs de tragédies antiques , on peut toujours s'attendre à
ce qu'un "Ne changeons pas, nous sommes parfaits!" vienne donner
la réplique à un " Ne changeons pas, c'est dangereux!"
.
Quand on écoute les Peurdurix et les Ombelix et que'on regarde leur
gesticulation, on ne voit plus la réalité et on perd le sens
même du drame. Les Peurdurix et les Ombelix sont des livreurs de chimères,
aussi inutiles que des ménhirs et qui pèsent très lourd
sur l'avenir d'un peuple.
Car pendant qu'on rêve, le tiers des Gaspésiens n'ont pas de
travail, notre niveau de vie est inférieur à celui d'une bonne
demi-douzaine de pays d'Europe et il y a pas mal plus de francophones à
Kinshasa ou à Casablanca qu'à Montréal. Est-ce qu'il
ne serait pas temps de comprendre que nos deux grands ennemis sont la peur
et l'arrogance, les deux se prêtant main forte, depuis des décennies,
pour nous priver de la lucidité qui nous permettrait de poser le
diagnostic de nos problèmes et du courage d'y apporter de vraies
solutions?
On peut lire depuis des semaines, dans le journal Le Devoir, des articles
dont on souhaitait qu'ils "pensent la nation" québécoise
et qu'ils nous proposent un avenir. Je n'ai sauté aucun de ces articles
et je n'ai de querelle avec aucun des auteurs, ni aucun des messages qu'on
y a livrés... mais je reste sur ma faim. Je vois des rangées
de chimères, en enfilades et en cercles, parfois les unes supportant
les autres comme des dolmens. Il me semble que notre avenir est plus vaste,
plus complexe que l'image qu'en donnent ceux qui le limitent à un
débat linguistique et à ses conséquences étroitement
politiques.
J'aimerais qu'on se sorte du duo Peurdurix - Ombelix et qu'on passe à
autre chose. Je voudrais que, si on a peur, on ait au moins des raisons
d'avoir peur et que si l'on est "fier" on nous dise précisément
de quoi l'on est fier. Parce que je pense que la peur ça se domine
et que la fierté ça doit rester discret. Je pense que le véritable
avenir du Québec passe d'abord par une prise de conscience de ce
que notre démographie, la géopolitique et le sens que semble
se donner l'Histoire contemporaine feront inexorablement du Québec.
La lucidité; c'est ça, la potion magique qui donne le courage
et qui fait grandir
Notre avenir, il passe ensuite par l'acceptation de cette réalité
et la décision de définir notre évolution en fonction
de cette réalité. Sans peur et sans complaisance. Je crois
que nous pouvons le faire. Je suis persuadé qu'il y une majorité
de Québécois qui ne se pensent pas si petits qu'ils ne puissent
survivre ni si gros qu'ils ne puissent encore grandir. Ils ne demanderaient
pas mieux que de travailler simplement, sereinement à devenir "plus"
et "mieux" que ce qu'ils sont réellement, comme un arbre
qui grandit.
Il n'y a pas de honte à grandir. Est-ce que ceux qui nous gouvernent
ne pourraient pas nous proposer un but et nous en montrer le chemin? Et
nous offrir une bonne lampée de cette lucidité qui fait grandir?
Pierre JC Allard
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