99.05 26
En sursis
Shawn, 20 ans, a été condamné à 18 mois
d'emprisonnement "avec sursis". Concrètement, ceci veut
dire que Shawn est libre. Il est quelque part aujourd"hui, marchant
peut-être derrière vous sur le trottoir. Déambulant
peut-être devant l'école que fréquentent vos enfants.
Il est peut-être retourné sur la piste cyclable du Canal Lachine.
C'est la, en mai 1998, que Shawn, avec d'autres jeunes, a battu trois personnes
à 15 minutes d'intervalle. Pour rien.
On dit "battu" mais on ne parle pas d'une paire de taloches. On
ne parle pas d'une rixe. On parle de trois (3) agressions sauvages, gratuites,
à sens unique, pour le plaisir de cogner. L'une des victimes a passé
quatre semaines dans le coma, plus de deux mois à l'hôpital.
Une autre a subi un affaissement crânien et portera désormais
en permanence une plaque de métal à la tête. Ils ont
été battus pour rien. Pour le plaisir de cogner.
Les complices de Shawn ne sont pas en liberté. Pas encore. Stéphane
a été condamné à un an de détention.
En fera-t-il six mois? Quatre? Deux? Quand le mettra-ton à la porte
de la prison pour laisser la place à un autre? Cet automne, il sera
certainement libre lui aussi. L'an prochain, à cette date, Shawn
et Stéphane pourront tout à fait légalement se revoir
. Avec un peu de chance, Michel, le troisième larron, aura "servi"
le tiers de sa peine de 26 mois et pourra se joindre à eux. Ils pourront
parler du bon vieux temps.
Shawn - a dit le Juge - méritait "une chance" parce qu'il
semblait désireux de se réhabiliter. Espérons que la
Providence accorde la même chance aux victimes qui sont certainement
tout aussi désireuses d'être réhabilitées. Espérons.
Mais il n'est pas sûr que l'an prochain, à cette date, les
victimes aient retrouvé toutes leurs capacités d'antan. Il
est tout à fait possible qu'elles ne les retrouvent jamais.
Shawn avait déjà un casier judiciaire. C'est comme ça
qu'on l'a trouvé: il avait laissé ses empreintes digitales
sur la scène du crime. Quand on l'a arrêté, il a "collaboré"
avec la police en dénonçant ses complices. C'est un peu beaucoup
pour ça, aussi, qu'on lui a accordé le sursis. Violent, malhabile
et déloyal, je ne trouve pas Shawn bien sympathique. Ceci dit, ce
n'est pas de sympathie qu'il s'agit. Je ne déteste pas Shawn, pas
plus que je ne déteste tout autre bête féroce. Je ne
crois simplement pas qu'il soit raisonnable de remettre Shawn et ses complices
en liberté.
La majorité de ceux qui ont commis deux (2) crimes de violence grave
en commettront au moins un troisième et 71 % des crimes de violence
graves au Canada sont commis par des récidivistes qui ont déjà
des crimes de violence grave à leur dossier. J'ai dû chercher
pendant des mois pour avoir ces chiffres. On les cache. On prétend
que les "données ne sont pas compilées de façon
à fournir ces renseignements". Tiens donc ... ! À quoi
on joue ?
Chaque fois qu'on remet un Shawn en liberté on crée un mort
ou un blessé grave "en sursis". On sait qu'il y aura probablement
un jour un innocent quelque part qui sera attaqué, meurtri, tué
par la bête fauve qu'on a laissé échapper. Et pourtant,
on leur ouvre la porte. Nous sommes prisonniers de ce "probablement"
qui n'est jamais une certitude en aucun cas individuel, même s'il
est aussi incontournable, statistiquement parlant, que le lever du soleil.
Parce qu'on doit accorder à Shawn et à ses complices le bénéfice
du doute qu'ils s'amenderont, je sais que, d'ici deux ou trois ans, je lirai
dans un entrefilet du journal que l'un ou l'autre d'entre eux - ou les trois
- auront agressé, blessé, laissé pour morte une autre
victime. C'est vous, moi, nous tous qui sommes en sursis. En sursis de rencontrer
Shawn le jour où il aura le goût de tuer. Est-ce qu'il n'y
a pas une solution?
La solution passe par la redéfinition du psychopathe et l'acceptation
de la notion bien chrétienne du pardon. Que l'on accepte dans un
premier temps que la violence est un désordre mental. La violence
"en soi" ne profite pas au criminel; elle est toujours gratuite
dans la mesure où un criminel habile aurait toujours pu y substituer
une alternative plus astucieuse. La violence est l'expression d'une folie.
Si la violence est une folie - donc une maladie et non un crime - il faut
renoncer à punir celui qui s'en rend coupable; il faut se limiter
à le mettre hors d'état de nuire et lui assurer les traitements
requis. Ce qui change tout, car on n'a pas à donner à un malade
le "bénéfice du doute" qu'il ne subira pas une autre
attaque du mal; au contraire, il faut se prémunir, pour son bien
comme le nôtre, contre la possibilité d'une rechute. En fait,
s'il existe une probabilité raisonnable de rechute, c'est le devoir
de la société de prendre les mesures préventives qui
s'imposent.
Si on parle d'un malade quand on parle d'un récidiviste et de violence
grave, les données dont nous disposons laissent croire à une
haute probabilité de rechute: il faudrait garder sous observation
ce malade. Indéfiniment. Pas pour le punir, mais pour le soigner.
Et pour nous assurer qu'il ne sera plus en mesure de blesser ou de tuer
d'autres innocents. C'est un non sens de laisser en liberté des récidivistes
comme Shawn. Notre société qui feint de le faire par pitié
ne montre en le faisant que sa propre irresponsabilité. Elle mériterait
que les futures victimes lui demandent des comptes.
Pierre JC Allard
EPILOGUE: En juillet 2001, Shawn a agress� et mortellement bless� un vieillard. pjca
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