99.05 12
BAVURES ET BAVEUX
Il y a six (6) ans un homme d'affaires tout à fait respectable a
demandé poliment au Ministère de l'agriculture, des pêcheries
et de l'alimentation du Québec un permis pour créer à
Tourelle, en Gaspésie, une usine de transformation de poissons. En
soi, c'est une bonne nouvelle: on ne se presse pas aux portes pour créer
des industries en Gaspésie. Il me semble que le Ministère
concerné aurait dû s'empresser de donner son accord, faciliter
la tâche à l'entrepreneur et peut-être lui accorder une
subvention.
Ça, c'est ma première réaction, mais je n'y connais
rien. Peut-être existait-il de bonnes raisons de ne PAS accorder ce
permis: épuisement des stocks, concurrence déloyale, manoeuvres
financières douteuses... Après tout, c'est pour ça
qu'on a des fonctionnaires qui, en principe, y connaissent quelque chose:
pour dire OUI ou NON, rapidement et avec de bonnes raisons à l'appui.
Dans le dossier de Tourelle, ils ont dit non.
Fin de l'aventure? Que non, car, comme nous l'avons dit, on s'attend à
ce que les fonctionnaires aient de bonnes raisons pour appuyer leurs décisions.
Dans l'affaire de Tourelle ils n'avaient pas de bonnes raisons. Ils on pris
une décison arbitraire, injustifiée. Ça, ce n'est pas
mon opinion de quidam qui n'y connaît rien: c'est l'opinion de la
Cour du Québec, de la Cour Supérieure, de la Cour d'appel
et du Protecteur du Citoyen.
Ça fait beaucoup de monde qui croient qu'il y a eu une bavure. Beaucoup
de gens qui croient que les fonctionnaires ont eu tort, et que le promoteur
du projet - qui a dépensé pas mal de fric pour monter un projet
valable et sans doute encore plus pour suivre le long chemin de croix des
poursuites judiciaires - devraient être dédommagé. Qu'est-ce
qu'on attend pour le faire?
On attend que le temps passe, que le promoteur se lasse, que la bavure soit
oubliée. Qu'est-ce qu'on veut prouver? Que les fonctionnaires sont
au-dessus de la loi? Que le pouvoir judiciaire et la justice au bras lent
ne peuvent rien contre l'administration au gros bras? Ce n'est pas la première
fois que l'État et ses fonctionnaires font le coup. J'ai moi-même
oublié le nom de ce fonctionnaire fédéral, limogé
sans motif il y a des années, à qui tous les tribunaux ont
donné raison mais qu'on a toujours négligé de payer.
Pensez à ces fonctionnaires de la protection de la jeunesse refusant
de se présenter devant la Juge Andrée Ruffo... et dont on
a vu par la suite, pourtant, à quel point elle avait raison de dire
que leur travail laissait à désirer. Et souvenons nous de
cette prise de position scandaleuse du gouvernement fédéral
qui prend tous les moyens pour retarder le paiement à ses employées
les plus mal rémunérées des montants que le tribunal
l'a condamné à leur verser en compensation des salaires inéquitables
qu'il leur a payés pendant des années.
Un gouvernement n'est légitime que s'il se plie à ses propres
lois. Un fonctionnaire n'est respectable que s'il respecte les normes qu'on
l'a chargé d'appliquer et si, dans l'hypothèse où une
bavure a été commise, il se hâte de la corriger. Ce
n'est pas ce qu'on fait dans l'affaire de Tourelle. C'est de plus en plus
souvent ce qu'on ne fait pas; le fonctionnaire étouffe, camoufle,
s'entête, se bute et gaspille en litiges injustifiés l'argent
du contribuable pour avoir raison du contribuable lui-même.
Quand Louis XIV vous envoyait à la Bastille "parce que tel était
son bon plaisir" il ne prétendait pas gérer un État
de droit. Il ne prétendait pas respecter une Charte des droits et
libertés: il était roi de "droit divin". Le fonctionnaire
qui manie l'arbitraire comme un privilège l'a, lui, cette prétention.
Jusqu'où ira l'arrogance de cette engeance de petits maîtres
qui nous encadrent au nom de la loi mais n'obéissent à cette
loi que quand elle leur donne raison?
Une bavure ça se corrige. C'est ceux qui s'obstinent à nous
postillonner au visage qu'il serait urgent de corriger. N'y aura-t-il pas
un juge pour faire le constat du mépris dont les Cours comme la population
sont victimes quand les fonctionnaires n'obéissent pas à un
jugement?
Pierre JC Allard
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