99.04.28
COLORADO
Encore une fois, la presse américaine - et même étrangère,
car ce qui touche les USA intéresse tout le monde - a délaissé
un temps le Kosovo, les Khmers Rouges repentis et même les nouveaux
sommets de la bourse de New-York pour accorder ses manchettes à la
tuerie du Colorado. Des jeunes tués par d'autre jeunes, sans autre
motif que le désir de tuer. Une tragédie qui devient de plus
en plus monnaie courante.
Et c'est bien ça le plus dramatique: la banalisation de ce genre
d'événements. La banalisation et, dans un sens, l'acceptation
de la possibilité omniprésente que quelqu'un vous tue, vous,
votre femme ou vos enfants sans aucune raison. Pas pour vous voler, pas
parce qu'il vous déteste, pas dans un accès de folie meurtrière,
pas pour créer un climat de terreur propice à quelque marchandage,
mais pour rien. Simplement parce que tuer brise la routine et n'a, en fait,
aucune importance.
Les auteurs de la tuerie du Colorado ne défendaient pas une cause,
ils n'entendaient pas des voix, il ne voulaient rien obtenir. Ils avaient
prévu de s'enfuir... - et de recommencer en plus gros! - mais ils
avaient un plan B qu'ils ont mis en pratique qui était de se suicider
et qui ne leur apparaissait que marginalement moins satisfaisant que le
premier. Comme si tout ça ne les concernait qu'indirectement, comme
un film à la TV.
Ceux qui ont tué n'étaient pas fous selon les critères
usuels. Ils voyaient la même réalité que nous, ils établissaient
des rapports de cause à effet, ils étaient efficaces. Ils
n'accordaient simplement pas la même importance que la majorité
des gens à certaines valeurs. Parce qu'ils étaient peu nombreux
et que les conséquences de leur gestes ont été spectaculairement
négatives il est facile de se dissocier de leur vision du monde.
Parfois c'est apparemment moins clair. Selon les circonstances, selon le
tapage que fait la société et qui rend inaudible la voix de
la conscience.
En 1917, Le général Pétain faisait fusiller des officiers
qui avaient négligé d'abattre sur le champ des soldats qui
avaient refusé de sortir des tranchées pour faire une sortie
contre l'ennemi et gagner 20 mètres de terrain, ajoutant ainsi quelques
victimes aux 700 000 autres tombées à la seule bataille de
Verdun. Félicité pour son courage par Clemenceau, Pétain
allait devenir Maréchal de France, avec les résultats qu'on
connait.
En 1938, en Allemagne, un membre du parti Nazi qui avait tué un Juif
sans raison a été acquitté en alléguant qu'étant
d'origine aryenne absolument pure la présence d'un Juif lui était
si intolérable qu'il ne pouvait résister à la pulsion
de le tuer. Il faut se souvenir que ce jugement a été publié
dans les journaux et qu'à l'époque des milliers de gens ont
trouvé cet argument raisonnable.
En 1945, confronté à la difficile opération d'envahir
le Japon, Truman décidait de laisser tomber deux bombes atomiques
qui allaient faire plus de 100 000 morts. Il était réélu
l'année suivante, bien sûr.
Au cours des années 50, alors que l'inquisition McCarthy battait
son plein aux U.S.A., le cinéaste Elias Kazan trahissait sans vergogne
tous ses amis, brisant leur carrière et les condamnant à la
pauvreté ou à l'exil. On vient de lui remettre un prix pour
l'ensemble de son "oeuvre".
Les Marines américains envahissent Panama pour régler quelques
comptes avec un président présumé trafiquant et tuent
quelques centaines ou milliers d'innocents "en passant". Pas de
problèmes. On brûle les villages vietnamiens au napalm pendant
des années, on bombarde l'Iraq, on envahit Granada, une minuscule
île des Antilles, parce qu'elle est une "menace pour la sécurité
des Etats-Unis"...
On se fait l'Iraq, le Ruanda, la Somalie, le Kosovo ... comme si tout ça
ne nous concernait qu'indirectement, comme un film à la TV. Le Dow
Jones va vers 11 000 pendant que 60 000 enfants dans le monde meurent de
faim TOUS LES JOURS. Le Système n'est pas fou. Il voit la même
réalité que nous, il établit des rapports de cause
à effet, il est efficace. Il n'accorde pas la même importance
que la majorité des gens à certaines valeurs. Vous n'aimez
pas la vision du monde du Système? Qu'importe, le vacarme médiatique
est tel qu'on n'entend plus rien.... Sauf quand des jeunes qui n'ont rien
à perdre le disent à leur façon.
Pierre JC Allard
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