99.04.14


LA VILLE NATURELLE

La Commission Bédard vient de remettre un rapport sur la fiscalité municipale. Bonne idée, car rien ne va plus de ce coté: tout le monde est d'accord que le pelletage de responsabilités dans la cour des instances locales qu'a effectué l'an dernier le gouvernement du Québec ne peut aller sans compensation fiscale. Tout le monde est d'accord, aussi, que Montréal porte un fardeau exorbitant dont bénéficient injustement les municipalités qui l'entourent. Il y a des choses à changer.

La Commission Bédard veut changer des choses. Elle recommande, entre autres, la fusion en trois (3) entités de la vingtaine de municipalités qui se partagent l'île de Montréal. Elle fait aussi allusion à une augmentation des pouvoirs des villes qui confierait à celles-ci les responsabilités présentement dévolues aux commissions scolaires. La Commission ouvre ainsi la porte à d'autres transferts de tâches dans le domaine des services sociaux.

La Commission est ainsi des citoyens qui souhaitent qu'un maximum de pouvoir social soit détenu et exercé le plus près possible de ceux qui y sont soumis. Partout dans le monde, en déléguant vers les instances locales on veut équilibrer la nécessité de confier à des organismes lointains, internationaux, impersonnels l'arbitrage des échanges économiques globaux ainsi que gestion des fonctions d'ordre et de sécurité qui ne peuvent pas connaître de frontières.

La Commission va dans la bonne direction. On ne comprend pas très bien, toutefois, pourquoi elle a décidé d'un itinéraire plutôt que d'un autre. Pourquoi, par exemple, trois (3) villes sur l'île de Montréal, alors qu'il y a bien au moins trente ans qu'on parle de n'en créer qu'une seule? Pourquoi, d'ailleurs, limiter à une île l'identité d'une cité qui a dépassé depuis bien longtemps cette frontière géographique? Les deux-tiers de ceux qui, travaillent, achètent, se divertissent à Montréal - et qui à l'étranger se présentent comme Montréalais! - n'habitent plus sur l'île de Montréal.

On parle de "rationalisation" de l'encadrement municipal. Bravo. Mais avant de rationaliser, il faudrait d'abord raisonner. Il faudrait définir et préciser la rationalité et la raison d'être d'une ville ou de toute instance de pouvoir local. Qu'est ce qu'une ville? Pourquoi UNE ville et non pas deux? Pourquoi trois et non pas vingt-et-une? Pourquoi introduire des instances locales au lieu de n'être tous que citoyens et contribuables du Québec, du Canada ou du monde?

Qu'on ne me fasse surtout pas dire que je suis contre la délégation à des instances locales ! Je ne dis pas qu'il n'y a pas de bonnes raisons à l'existence d'une structure de gouvernement par paliers; au contraire, non seulement suis-je totalement convaincu de l'importance de rapprocher le pouvoir décisionnel de l'individu mais je crois que la restructuration à tous les niveaux de la pyramide du pouvoir est l'essence même de l'avènement d'une Nouvelle Société.

C'est justement pour ça que je suis un peu choqué par une démarche qui escamote le vrai débat que devrait poser la fiscalité municipale. Le vrai débat qui doit toucher trois (3) aspects. L'impact politique des instances locales, leur taille et les fonctions qu'il faut leur confier.
L'impact politique crucial de la fiscalité municipale vient de ce que celle-ci n'est que l'aspect le plus visible d'une question infiniment plus vaste: l'équilibre social à maintenir entre les deux tendances "dynamisme/individualisme/liberté" et"sécurité/bien-commun/solidarité". On perçoit parfois la recherche de cet équilibre comme un conflit entre la Droite et la Gauche mais il faut comprendre que ce conflit ne peut mener à la victoire d'un parti; seulement à rétablir selon les circonstances le point d'équilibre qui permette qu'une société existe.

Créer une instance locale ou lui accorder des pouvoirs accrus, c'est une occasion offerte à certains citoyens de se différencier des autres. La fiscalité n'est pas toute la réalité de cette différenciation mais elle en est le symbole: le droit ou la permission concédée à certains citoyens de prélever LEURS taxes à LEUR guise pour réaliser LEURS projets au vu de LEURS intérêts. Bien sûr c'est un pas vers la Droite et un accroc à la solidarité mais c'est aussi une manière de responsabiliser les citoyens et de les intéresser à la chose publique. Il y a le pour et le contre de chaque décision de déléguer. Il y a un équilibre à trouver; il faut laisser de coté les vieilles querelles doctrinaires et chercher cet équilibre.

Les aspects "taille" et "fonction" sont imbriqués. Il existe des normes techniques évidentes qui déterminent la taille idéale des entités qui doivent gérer les divers éléments de la vie en société et les services qui sont offerts à la population. Ainsi, il semble normal que la responsabilité de gérer une école soit confiée à une entité administrative qui gère un bassin de population apte à fournir à l'école une masse d'élèves permettant son fonctionnement efficace.

Mais les normes techniques ne sont pas tout. Il faut aussi créer des entités administratives "naturelles" - c'est-à-dire qui correspondent à des sentiments d'appartenance réels - et ce sont ces entités naturelles qui doivent exercer les pouvoirs que permet et que techniquement suggère leur taille. Ce qui crée une difficulté, puisque une instance locale ne doit pas, en bonne logique, devenir plus importante que l'instance de palier supérieur dont elle dépend.

Concrètement, au Québec, c'est la "conurbation" montréalaise - la ville naturelle - qui pose problème, constituant une masse si importante que sa reconnaissance risquerait de créer un État dans l'État du Québec. Alors on hésite... Mais la solution n'est pas de nier que le Grand Montréal existe, ni de le priver des pouvoirs nécessaires à son développement; ce serait plutôt d'identifier d'autres "appartenances" au sein du Grand Montréal, limitant par les pouvoirs des quartiers ce qu'aurait d'exorbitant le pouvoir de la métropole.

Ces appartenances sont déjà là au palier des quartiers - elles sautent aux yeux - et seront encore plus présentes au sein d'un éventuel Grand Montréal. Il s'agit donc de créer - comme Jean Doré le souhaitait, reconnaissons-le - des entités administratives qui correspondent à ces appartenances. Ceci fait, le défi est de préciser les décisions qui doivent être prises au palier du Grand Montréal, celles qui peuvent l'être au palier des quartiers, celles qui pourraient peut-être même l'être par des collectivités encore plus restreintes que le quartier et auxquelles on pourrait accorder une existence légale.

Il faut bien, par exemple, que le transport en commun soit géré au palier d'une métropole... mais le stationnement pourrait être une responsabilité du quartier, de même que le zonage qui n'affecte pas le plan d'urbanisme global, l'école primaire, les mini-garderies, les cliniques d'urgence... Et un partage habile entre métropole et quartiers garantira que l'on puisse garder au palier du Québec les décisions de solidarité qui doivent être prises par et pour tous les Québécois s'ils veulent rester une collectivité.

 

Pierre JC Allard


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