99.04.07
LE PRIX DU SANG
Un million de Kosovars errent sur les routes. On vient aux U.S.A. de
voter six milliards de dollars pour continuer de "pacifier" le
Kosovo et on pense à envoyer sur le terrain 33 000 réservistes
américains, faisant mine d'oublier que la Wermacht - qui n'était
pas une troupe d'amateurs - n'a jamais pu venir à bout des partisans
de Tito même en laissant sur place une armée de plus de cent
mille hommes. Si on met le pied sur ce nid de fourmis rouges on va le regretter.
Pour le moment, on bombarde Belgrade, ce qui est moins dangereux. C'est
l'Iraq qui recommence.
L'Iraq, mais avec le pétrole en moins, de sorte qu'on n'a même
pas ici l'explication de la cupidité; il ne reste que celle de la
bêtise. La bêtise criminelle d'une coterie de gens bien intentionnés
qui ne veulent pas que les Serbes et les Kosovars divorcent. Il y a à
peu près huit siècles que s'affrontent dans les Balkans les
cultures slave, islamique et occidentale. Il n'y a pas de raison pour que
ces gens s'aiment; ils n'ont même pas besoin de raisons pour se haïr!
Je ne sais pas qui d'eux a raison: je crois qu'ils ont tous tort, chacun
à la mesure de sa haine et de sa violence. Les Serbes ne veulent
pas vivre avec les Croates, les Bosniaques ou les Albanais et ceux-ci veulent
encore moins vivre avec des Serbes. Je ne pose pas de jugement de valeur
sur leurs motifs respectifs mais je constate que quand ils sont ensemble
ils s'égorgent. Je crois que c'est une raison suffisante pour les
séparer.
Comme je ne le ferais pas exprès pour mettre dans une même
cage un berger allemand et un pit-bull qui ne s'aiment pas. Tito, comme
un dompteur de fauves, les a bien forcés à vivre un temps
ensemble mais il n'y a plus de dompteur de fauves à l'Est. Nous avons
apporté la démocratie et la démocratie, c'est la liberté.
La liberté, entre autres, de divorcer. Comme les Tchèques
et les Slovaques, comme les Ukrainiens et les Russes, etc. Quand les conjoints
n'ont pas les moyens de payer leur divorce, parce que le partage du patrimoine
est complexe - comme en Bosnie ou ou Kosovo - l'intervention intelligente
de la communauté internationale devrait être de faciliter le
divorce, pas de les garder dans la même cage.
Comment on pourrait le faire? En y mettant le prix au départ. Justement
parce que la situation en Yougoslavie n'est pas, comme en Iraq, une simple
question de fric, on aurait pu la régler avec du fric. Imaginez une
commission des Nations-Unies identifiant sur une carte du Kosovo la zone
continue - pas d'enclaves - où les Kosovars forment la majorité
de la population. Proposons qu'à l'intérieur de cette zone
les Kosovars retrouveront tous les droits et l'autonomie que leur avait
accordés Tito et dont ils étaient satisfaits.
Que faire de la minorité des habitants de cette zone, Serbes ou autres,
qui ne voudraient pas vivre dans un territoire où les Kosovars seraient
l'ethnie et la culture dominantes? Allons voir individuellement tous les
résidants minoritaires et offrons d'acheter leur maison à
sa valeur réelle plus 20 %. Garantissons à chacun le transport
gratuit vers un autre territoire yougoslave de son choix et, au point d'arrivée,
une résidence de transition gratuite pendant 6 mois, un "parrain"
volontaire qui recevra une petite provision pour ses frais et facilitera
son insertion sociale, un cours de formation professionnelle selon les besoins
du site d'accueil... A ceux qui ne sont pas propriétaires, offrons
les mêmes avantages, le prix de la maison en moins mais avec un montant
égal à la moyenne des 20% de surprime incitative payés
aux propriétaires.
A ces conditions vous croyez qu'il y en a beaucoup qui refuseront? Si les
offres sont discrètes et que ceux qui les acceptent ne sont donc
pas victimes de représailles de la part de démagogues et de
la racaille que ceux-ci ameutent, une immense majorité des membres
des ethnies minoritaires accepteront cette offre. Une bonne campagne de
sensibilisation et même les démagogues ne pourront pas s'interposer
efficacement.
Certains resteront mais ceux-ci ne poseront pas de problèmes car
ils seront trop peu nombreux pour être remarqués et les règles
du jeu seront claires que rester c'est choisir l'assimilation. S'ils causent
des troubles, ils seront traités comme tout autre fauteur de troubles.
Ni plus, ni moins.
Simultanément, faisons la même proposition en sens inverse
aux Kosovars qui habitent les régions où ils sont minoritaires.
Quand le double transfert de population entièrement pacifique et
VOLONTAIRE est terminé - disons en deux ans - le "nettoyage
ethnique" est accompli. Personne n'est mort; il ne reste qu'une certaine
envie - chez ceux qui n'ont PAS été invités à
migrer - envers les chanceux qui ont pu recevoir un bon prix - le plus souvent
pour une mauvaise terre occupée d'une méchante cabane - et
partir vers un environnement où ils se sentiront vraiment chez eux.
Le prix de cette opération? Bien peu de chose si on compare aux 6
milliards de la guerre puisque les propriétés achetées
des uns seront en grande partie revendues aux autres . Pas toutes, pas au
même prix peut-être, mais revendues au prix d'un marché
que ces migrations auront rendu dynamique et à une clientèle
d'acheteurs que l'achat de leur propriété aura rendu solvables.
Qui payerait ce prix relativement modeste - disons un milliard de dollars?
En théorie l'Etat yougoslave, mais dans le cadre d'un prêt
à 50 ans sans intérêt consenti par le Fond Monétaire
International et qui, comme les autres prêts de ce genre ne sera en
fait jamais remboursé. Qui croit que la Yougoslavie aurait refusé
cet arrangement ou que les Serbes et Kosovars du Kosovo, à titre
individuel, auraient refusé de vendre et de partir ? J'aurais été
curieux de voir à quel prix l'hectare se seraient cédées
les terres ancestrales sacrées si on avait mis de vrais millions
sur la table.
Pourquoi on ne l'a pas fait? Parce qu'il y a dans les pays occidentaux un
lobby d'intellectuels qui ne veulent pas que les ethnies se divorcent. Ces
intellos qui donnent des cours, écrivent dans les journaux, font
de la politique et encombrent les organismes internationaux font plus de
mal que Hussein et Milosevic réunis. Parce qu'on les écoute
et qu'ils ne savent pas de quoi ils parlent. Parce qu'on leur a appris que
tous les hommes étaient égaux, ils en déduisent qu'ils
devraient tous vivre en bon voisins sans se préoccuper des odeurs
de couscous, de goulasch ou de sardines. Le monde n'est pas ainsi fait.
Je n'aime pas ces théoriciens intellos qui vivent dans des enclaves
protégés d'Arizona ou des quartiers de Paris où il
n'y a pas d'Algériens mais qui donnent des leçons de morale.
De quoi se mêlent-ils, ces gens qui font leur propre lavage ethnique
à la pièce mais qui demandent aux autres de mélanger
les couleurs? Ils sont ceux par qui le sang coule.
Il est maintenant trop tard au Kosovo. Mais il faudrait se préparer
pour la prochaine - car il y aura une prochaine fois - et agir de la sorte
en Macédoine, en Roumanie, au Cachemire, au Nigeria... Quelque part,
bientôt, il y aura des ethnies que l'Histoire a mariées et
entremêlées sur un même territoire et qui voudront divorcer.
Il faudrait leur faciliter le divorce AVANT que le sang coule. En payer
le prix qui est celui de la paix.
Tout ça est cynique, indigne, mercantile, déshonorant, en
contradiction avec nos principes de fraternité humaine, notre sens
du sacré et la mission civilisatrice de l'Occident? Si vous voulez...
mais chacun son sens de la dignité. Je trouve dégueulasse
qu'on laissent les gens s'entretuer pour se donner bonne conscience. J'aimerais
mieux qu'on ait fait quelques échanges de terres plutôt que
de bombarder des innocents et de mettre un million de réfugiés
sur les routes.
Pierre JC Allard
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