99.03.24
Le Québec en ballottage
C'est facile de devenir une vedette d'Hollywood. N'excédez pas votre
poids normal de plus de 25 livres et faites le minimum d'exercice physique
pour qu'à 60 ans vos chairs ne ballottent pas - littérallement
- quand vous marchez d'un pas normal ou que le vent dépasse 10 noeuds;
vous pourrez alors déambuler fièrement le long du Boardwalk
d'Hollywood sous les regards envieux de tous ceux qui ne l'ont pas fait.
Je parle d'Hollywood en Floride, naturellement. Le site du film "Florida"
qui, il y a quelques années, nous faisait bien rire des aventures
de ces Québécois en villégiature prolongée,
épouvantés à l'idée qu'une vacherie du destin
pourrait les forcer à émigrer ... au Québec. Une scène
du film montrait cette procession de bedaines et de côtes levées,
dorées à point, portant chacune la cicatrice de "son
opération". Très drôle.
Ce n'est pas très drôle de vieillir, et je sais de quoi je
parle. Mais il faut faire la part des choses entre ce qui est inévitable
et ce qui ne l'est pas. La Floride est pleine de retraités de tous
les âges et de toutes les couleurs; compte tenu du climat, c'est inévitable
et mes vieux os sont bien contents qu'on leur fasse leur place au soleil.
Mais quand tous les commerçants de la plage peuvent du premier coup
oeil identifier la majorité des Québécois à
leur condition physique déplorable et les aborder en Français,
ça ne me fait pas tellement plaisir.
En fait, ça m'attriste et ça me fait peur. Assez peur pour
que je me sois remis à faire quelques flexions matinales. Assez peur
pour que je vous en parle, car ce n'est pas inévitable. Je ne crois
pas que nos ancêtres coureurs-des-bois nous aient légué
une hérédité d'obèses et des vésicules
biliaires tout juste bonnes pour trente ans. Je pense que les Québécois
choisissent de renoncer à leurs abdominaux comme Ésaü
à son droit d'aînesse et qu'il faut que ça cesse. Parce
que la base d'une société qui fonctionne, c'est une population
saine et en bonne condition physique.
Nous ne sommes pas en bonne condition physique. Sur la plage d'Hollywood,
les Québécois sont visiblement plus ammochés que les
autres. On vit dix ans de moins, en moyenne, dans le Centre-sud de Montréal
qu'à Westmount. Différence de revenu, disent les sociologues,
et ils ont raison, mais ils n'ont raison qu'à moitié. Parce
que la pauvreté, au niveau où on la trouve au Québec,
est indubitablement un facteur de mauvaise santé mais les conséquences
n'en sont pas insurmontables.
On peut se vouloir en bonne santé et en bonne condition et faire
ce qu'il faut pour l'être. Ça demande plus d'effort, mais c'est
ça le défi et c'est de relever ce défi qu'on aurait
le droit d'être fier. Continuons le combat pour changer les règles
du jeu social, mais souvenons-nous que ce ne sont pas les "pauvres"
qui passent l'hiver en Floride et ne négligeons pas l'importance
d'inculquer à chacun la volonté et les habitudes requises
pour "garder la forme". On ne demande pas à tous les vieillards
d'avoir la belle gueule de Gratien Gélinas, mais ils pourraient faire
pour le mieux...
On pourrait enseigner à nos enfants que le bonheur n'est pas vraiment
de bouffer des chips en regardant des bandes dessinées et introduire
une composante prioritaire de conditionnement physique au programme scolaire.
Pas du ballon-chasseur, du vrai conditionnement physique; comme celui dont
ils parleront sans le faire, 40 ans plus tard, sur la plage d'Hollywood,
en allumant une cigarette et en se versant un autre bière.
Si on montrait à nos enfants - en supprimant du programme quelques
unes des insignifiances qui l'encombrent - à s'entretenir eux-mêmes
comme ils voudraient que soit entretenue leur bicyclette, ça pourrait
mener à des adultes pour qui le bonheur ne serait pas de bouffer
des chips en riant des blagues de nos innombrables comiques. Nos humoristes
qui sont pour la plupart très drôles, d'ailleurs, mais dont
on ne sait plus trop parfois s'ils ont bien du talent où si c'est
nous qui leur offrons des sujets bien faciles.
Pierre JC Allard
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