99.03.10
GOTT MIT UNS ?
Les Anglais parlent de tenir le "haut du pavé" moral
(Moral high ground) et les Français d'être "du coté
des anges"; les Allemands, qui ne font pas dans les demi-mesures, disent
plus ambitieusement: GOTT MIT UNS ! Dieu est avec nous!. Ouff! Ça
rassure d'être sûr qu'on est dans son bon droit... Mais il demeure,
n'en déplaise à Mgr Turcotte, que c'est une sale histoire,
cette affaire des enfants maltraités dans les crèches et les
orphelinats.
Une sale histoire, parce qu'il n'y a pas de vraie solution. Une pension,
peut-être, pour chacun selon les sévices qu'il a subis? (Le
gouvernement dit qu'il ne veut pas régler "au cas par cas",
mais c'est ça qui serait juste; j'ai toujours honte quand l'État
n'a pas le temps de faire justice et est trop occupé pour s'occuper
des victimes.) Mais une sale histoire, quoi qu'on leur donne, car les "orphelins
de Duplessis" n'avaient qu'une vie et on la leur a gâchée.
On ne peut pas la leur rendre... et enrichir leurs avocats n'y changera
rien.
Des excuses? C'est gentil, mais qui demande à être excusé
de quoi ? Les Québécois en bloc d'avoir été
gouvernés à la diable il y a deux générations?
Le gouvernement péquiste qui s'excuse du gouvernement Duplessis?
Ce n'est ni moi ni mes ancêtres qui avons fait le coup: c'est "ma
soeur". Ma soeur ou le frère machin. Mais des milliers et des
milliers de "frères" et de "soeurs" - avec abnégation
et générosité, comme l'a dit le Premier Ministre -
nous ont donné pendant des décennies les ministères
de l'Education et des Affaires sociales que nous n'avions pas. De quoi doivent-ils
et doivent-elles s'excuser?
Sont-ils et sont-elles collectivement responsables des abus qui ont eu lieu?
L'Église toute entière doit-elle demander pardon du 1% ou
0,1% de névrotiques et de pédérastes sados en son sein
qui ont abusé d'une position d'autorité? Comme tous les Allemands
seraient responsables d'Auschwitz, les Américains du massacre de
Maï Laï et les Anglais de la déportation des Acadiens?
Ou vous et moi des gestes de l'armée canadienne en Somalie?
On a aujourd'hui l'excuse bien facile; je vois des gens échapper
leur serviette au restaurant et demander pardon... Au lieu de présenter
du bout des lèvres des excuses dont on fera monter la valeur en feignant
longtemps de ne pas vouloir les offrir, l'Église devrait réfléchir
à ce qui a permis que ces choses arrivent et en tirer des conclusions
CONSTRUCTIVES pour l'avenir.
Si certains religieux, ici comme ailleurs, ont pu abuser des enfants sans
être inquiétés, ni même dénoncés
pendant si longtemps, c'est à cause de l'énorme capital de
respect et de sympathie que 99% ou 99,9% des gens d'Église ont bâti
par leur "abnégation et leur générosité".
Même les Québécois qui n'ont plus la foi et dont la
pratique religieuse se résume à un souvenir d'enfance conservent
en grande majorité un préjugé favorable envers l'Église.
Un préjugé souvent inconscient, mais tenace.
Bien sûr, quand les faits sont indéniables, on acceptera que
le religieux ait pu commettre des actes sordides; mais on accueillera la
rumeur avec plus de réserve, l'accusation avec plus d'incrédulité
et la preuve avec plus de stupeur - et de colère - que s'il s'agissait
d'un avocat, d'un policier ou d'un politicien. Même incroyants, beaucoup
de nous Québécois avons gardé cette l'impression que
Dieu est aux cotés de l'homme d'Église ... et que ce que l'Église
nous dit porte une parcelle de la Vérité.
Et c'est pour ça que le grand scandale de l'Église de notre
temps, ce ne sont pas les crimes qu'on commis certains de ses membres -
elle en a vu d'autres - mais son refus de se commettre du coté des
pauvres et des déshérités comme elle en a reçu
le mandat. Le refus de l'Église de mettre en jeu le potentiel énorme
de crédibilité dont elle dispose encore pour dénoncer
les horreurs du système néo-libéral: c'est ça
son "péché contre l'Esprit".
J'en ai parlé à des prêtres. A des évêques.
J'ai reçu deux réponses contradictoires. La première,
c'est : "Nous le faisons déjà; voyez notre manifeste
Responsables et solidaires ". C'est vrai. J'ai pu en distribuer
des extraits comme propagande NPD lors de la dernière campagne électorale!
Mais l'Église en parle sans avoir l'air d'y croire. On est loin de
Mgr Charbonneau levant des fonds dans les églises pour les mineurs
d'Asbestos... et limogé l'années suivante pour sa peine.
La deuxième réponse est: " On ne nous écouterait
pas..." C'est faux. Voyez les "preachers" américains
amener leurs auditoires au bord de la transe. Voyez les fanatismes islamiques,
hindous, chrétiens faire leur bonne part pour faire de ce monde un
enfer... L'Inquisition et les Croisades sont toujours à un peu plus
de pouvoir près de redevenir la politique des églises; le
pouvoir de la religion pour le mal est un fait. Mais j'ai vu, aussi, l'Église
prendre position pour les faibles en Amérique latine et contribuer
à l'espoir.
L'Église n'est pas écoutée quand elle rabâche
un discours anti-sexe et anti-plaisir d'un autre âge qui est devenu
aujourd'hui non-signifiant. Mais l'Église est écoutée
quand elle apporte un message chrétien. L'Église pourrait
utiliser son potentiel de crédibilité et son organisation
pour devenir le point de ralliement et le principal foyer de résistance
au néo-libéralisme: elle n'aurait qu'à citer les Évangiles.
On lui pardonnerait alors bien des choses. Et nous qui voulons que les choses
changent serions heureux que "Dieu soit avec nous"
Pierre JC Allard
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