98.09.02



LA CRISE ? PARLONS EN...

J'ai assisté en fin de semaine dernière à l'assemblée annuelle d'Alternatives. Alternatives, c'est un de ces carrefours où se rencontrent ceux qui ne sont pas d'accord avec la façon dont nos gouvernements gèrent la société. En principe, participent à Alternatives un large éventail de ceux qui veulent un changement, allant, de droite à gauche, de militants syndicaux progressistes... conservateurs à certains groupes qui encouragent la désobéissance civile.

Ça, c'est en principe. En pratique, Alternatives c'est d'abord une structure bien établie et huilée, avec 4 millions de dollars de budget, in Conseil d'Administration de 11 membres, des employés qui revendiquent, non sans résistance, un maximum d'autogestion d'un organisme dont l'autogestion fait pourtant partie du credo de base ... et des douzaines de projets. Des projets à l'étranger: en Angola, en Inde, au Brésil. . Ailleurs, pas ici. Pas en Gaspésie, pas dans Hochelaga-Maisonneuve.

Pourquoi cette fixation sur l'Ailleurs? Parce que le plus clair du budget d'Alternatives est fourni par le gouvernement fédéral, plus précisément par l'Agence canadienne de développement international (ACDI). Disons qu'Alternatives est un programme d'aide à l'exportation. On facilite l'exportation de la contestation et du désir de changement. Changer le monde? D'accord, mais pas dans ma cour...

Une astuce bien transparente de récupération et qui ne fonctionne qu'à moitié. On n'empêche pas les habitués d'Alternatives - professeurs et autres intellectuels de gauche d'une part, militants de la rue d'autre part - de continuer à penser à la crise de chez-nous tout en posant les gestes, bien louables au demeurant, qu'exige une mission d'entreprise ciblée sur les problèmes des autres.

"On ramasse les subventions et on n'en pense pas moins..." nous dit presque mot-à-mot la Direction d'Alternatives. C'est vrai qu'on n'en pense pas moins, mais est-ce assez? Attention, je ne jette la pierre à personne. J'étais à cette réunion, personne ne m'y a traîné de force et j'y ai collaboré de mon plein gré. Je n'adresse à personne d'autres reproches que ceux que je m'adresse à moi-même. Mais je m'en adresse beaucoup.

J'étais à cette réunion sans avoir un véritable agenda, après une année durant laquelle je n'ai participé que bien peu aux activités de l'organisme; je n'ai personne que moi à blâmer si je n'en ai retiré que de frotter mes velléités aux velléités des autres. Mais, ceci dit, il faut tout de même regarder sans complaisance ce que représente Alternatives.

Quand une structure incite ceux qui réfléchissent à la crise à se limiter à en faire le diagnostic - et canalisent vers des drames du bout du monde l'action de ceux qui pourraient agir, pour les détourner de ceux que nous vivons ici - l'opération n'est pas innocente. Les uns continuent de dire ce qu'ils aiment dire et les autres touchent salaire pour parler de faire ce qu'ils aiment faire, mais toute cette énergie ne produit pas de mouvement. Elle se dissipe en lumière et en chaleur.

En "lumière", le premier jour des débats, quand les penseurs ont dit et redit, de plus en plus subtilement, pourquoi le monde ne tournait pas rond, avec une unanimité qui faisait la preuve que le répéter n'était pas aussi indispensable que le croyaient ceux qui nous livraient leur discours.

En "chaleur", le lendemain, jour des rapports et des élections, quand, les penseurs ayant cédé la place aux administrateurs, les intrigues byzantines ont remplacé les constats de l'évidence de la veille, prouvant encore une fois, s'il en était besoin, que les luttes de pouvoir ne sont pas moins féroces quand les enjeux sont dérisoires.

Le bilan? Bien de la bonne volonté se perd, ce n'est pas innocent. On voit à Alternatives un dialogue de sourds entre la tête et les bras; un membership qui est reparti sans avoir reçu de directives. On a vu les non-dits prudents des revendicateurs institutionnalisés comme les syndicats qui, pour en retirer la légitimité d'un embryon d'activisme, ont invité à ce garden-party de la Gauche tranquille les vrais contestataires comme ceux de l'Opération Salami ... mais se sont bien gardés d'avaliser leur action.

Ces vrais contestataire croient-ils avoir un impact sur les premiers et les réanimer? Il n'est pas dit que ça n'arrivera pas et cette récupération de la contestation par le pouvoir que constitue Alternatives ne réussît donc qu'à moitié. Les jeux ne sont pas encore faits. La tentative de récupération a été un succès total, hélas, quand il s'est agit d'escamoter les solutions et de détourner les participants de toute planification concertée pour mettre des solutions en pratique. Agir contre la crise? ... Mais non, voyons, parlons en...


Pierre JC Allard




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