98.08.12


L'HYDRE

Ceux qui me connaissent ou qui ont lu quelque unes de ces Pages de l'Outrage savent que je ne suis pas un grand admirateur des banques. Je vais donc vous étonner, comme j'ai déjà étonné plusieurs de mes amis, en vous disant que je suis tout à fait d'accord avec ces projets de fusion bancaire qui soulèvent pourtant tout un tollé ces jours-ci. La Banque Royale veut absorber la Banque de Montréal? Je dis: bravo ! La CIBC veut faire de même avec la Toronto-Dominion? Je crois que c'est une bonne nouvelle. Un pas dans la bonne direction.

Je crois que l'erreur de ceux qui montent aux barricades pour s'opposer à ces fusions tient à ce qu'ils ne voient pas les choses dans la bonne perspective et que, ce faisant, ils sont à se faire rouler dans la farine par les néo-libéraux et à mettre en péril la cohérence de l'argumentaire de la Gauche.

Ils voient deux banques gourmandes en train de se taper un festin... alors qu'il serait plus près de la vérité de voir deux banques qui se croyaient invulnérables se faire dévorer. Plus de Banque de Montréal, plus de Toronto-Dominion, ça fait déjà deux bandes de pirates de moins à piller les ressources du pays. Bon débarras.

Oh, je sais bien que nous ne serons pas moins dépouillés... pour l'instant. Les deux "gagnantes" vont prendre la relève et continuer la rapine. Au lieu de 5 banques qui font chacune un milliard et plus de profit par années, nous en aurons 3 dont deux ferons plus de deux milliards. Alors pourquoi se réjouir?

Pour deux raisons. La première, c'est que les raisons invoquées pour justifier les fusions sont en totale contradiction avec les balivernes que racontent généralement les néo-libéraux pour expliquer l'impérieuse nécessité de laisser le secteur privé braconner sur les terres publiques. Pourquoi les fusions, nous disent aujourd'hui les banquiers ? Parce qu'il vaut mieux pour le pays avoir de GROSSES banques, efficaces, capables de prendre leur place sur les marchés mondiaux que de "petites" banques incapables de faire des économies d'échelle et dont la première préoccupation est de se faire concurrence les unes aux autres.

Pardon ? Est-ce que j'ai bien compris? Est-ce que nos hypercapitalistes banquiers néo-libéraux sont en train de nous dire qu'il vaut mieux atteler les chevaux au même char et partir dans la bonne voie que de les laisser tirer dans toutes les directions en faisant l'acte de foi néo-libéral que le meilleur ira plus loin plus vite et que de la compétition naîtra un pays plus riche et une société plus juste ? Il semble bien que ce soit ça. Mieux vaut donner un objectif commun aux ressources de la Banque Royale et à la Banque de Montréal, nous disent maintenant les banquiers, que de les mettre en situation de libre-concurrence.

Parfait. C'est bien ce que j'ai toujours pensé. J'ai toujours pensé, comme l'immense majorité des gens dans l'immense majorité des situations de la vie, qu'il vaut mieux coordonner les efforts pour atteindre un but commun que de se tirer mutuellement dans le pied. Je suis heureux que les banquiers et leurs amis soient tout à coup obligés d'admettre que la concurrence a parfois des mérites mais n'est pas la panacée universelle.

Parfait, mais il faudrait aller jusqu'au bout de la logique des fusions. Si le pays se portera mieux d'avoir deux banques qui auront chacune près de 500 milliards de dollars d'actifs, parce qu'ainsi elles auront le "poids" suffisant pour lutter sur les marché internationaux... Je pense que le pays se porterait encore mieux d'avoir une seule banque qui "pèserait" 1,25 trillion et qui serait VRAIMENT de la taille des grandes banques transnationales.

Et si nous avions cette banque unique qui ferait correctement le poids, ne serait-il pas encore mieux qu'elle soit "nationale" et que ce soit tous les citoyens qui en soient les actionnaires, récupérant du coup 7 à 8 milliards par année de profit qui aujourd'hui vont aux riches? La première raison pour laquelle j'adore cette idée de fusion c'est quelle vient justifier l'intégration de TOUTES les banques au profit de TOUS les citoyens.

La deuxième raison, c'est que les banques qui se fusionnent facilitent grandement le processus de leur nationalisation éventuelle. Elles font une partie du chemin, elles offrent un modèle pour compléter l'opération. Dans la légende, Hercule avait eu bien du mal à venir à bout de l'Hydre de Lerne, une repoussante créature en forme de pieuvre qui, au lieu de tentacules, était pourvue de multiples têtes dont chacune, lorsqu'on la tranchait, donnait naissance à deux nouvelles têtes. Il lui fallait les trancher toutes d'un seul coup.

Imaginez la joie du Héros si l'Hydre, dans un mouvement de totale arrogance, avait décidé de "fusionner" ses têtes au lieu de les multiplier... Ne hurlons pas au scandale quand les banques se fusionnent, de peur d'effaroucher la Bête. Réjouissons nous, au contraire, qu'il va bientôt suffire de nationaliser et d'intégrer DEUX (2) entreprises seulement pour redonner aux citoyens le contrôle de 70 % de leur système bancaire. Affûtons nos épées...



Pierre JC Allard




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