98.03.25
LES PAPARAZZITES
"Ils" l'on fait à Diana, "Ils" vont le faire
à Maurice. The Gazette , qui ne saisit pas toujours les subtilités
de l'âme québécoise, a appris la dernière mais
a réussi à dire avant tout le monde que le Rocket était
malade. Triana a découvert l'Amérique, Chantecler a réussi
à faire lever le soleil. Ah, ces Anglais... !
Il n'y a, en effet, pas grand honneur à proclamer l'évidence;
raison de plus pour ne pas s'attarder sur les impairs de The Gazette
. Parlons plutôt de tous les colporteurs de ragots. Parlons de
tous ces paparazzites qui semblent croire que si on a motif de les blâmer
pour ce qu'ils disent on en oubliera de les blâmer pour ce qu'ils
ne disent pas .
Les parasites "mangent ou vivent aux dépens d'autrui".
Les paparazzites aussi; mais, alors que les parasites prennent bien soin
de ne pas trop nuire à leur hôte, sauf en cas d'intérêts
irréconciliables, les paparazzites, eux, se délectent des
états morbides et se complaisent donc à les fomenter.
Au premier niveau, le paparazzite cherche le sang et les larmes. Le sang
et les larmes des Grands. Il est là pour satisfaire le désir
des petits de participer en spectateurs à la "vraie vie"
de ceux qui sont riches et célèbres... et de le faire en partageant
leurs douleurs, puisque leurs plaisirs leur demeurent inaccessibles. Le
paparazzite satisfait à ce besoin individuel de pathétique.
S'il en restait là, le paparazzite aurait un rôle malsain mais
sans doute nécessaire. Le problème, c' est que le paparazzite
passe vite de la satisfaction d'un besoin individuel de pathétique
à une fonction sociale de héraut de la souffrance et de la
méchanceté. Tout ce qui est affreux, malsain, dégueulasse
fait la manchette, comme s'il y avait une oeuvre méritoire à
faire en racontant chaque jour à tout le monde les événements
les plus sordides de la journée. Où est l'intérêt?
Quel bien en sortira-t-il? Que l'exceptionnel, même dans le crime,
soit une nouvelle, on peut le comprendre; mais faut-il vraiment que chaque
attentat à la pudeur et chaque cassage de gueule soit rapporté?.
Le paparazzite s'est donné la mission de peindre un monde en noir.
A ce titre, il est nuisible.
Là où le paparazzite est encore plus odieux, c'est quand il
peint en noir sur noir. Quand il salit pour voiler la saleté. Quand
il devient évident qu'il écornifle et rapporte les petits
travers de notre société pour en cacher les vices. C'est quand
nos journalistes nous détournent de l'essentiel qu'il sont vraiment
le plus haïssables.
Quand un journaliste de The Gazette révèle à
tout le monde la maladie de Maurice Richard, il manque de tact et de délicatesse.
Quand un journaliste de La Presse constate ce manque de tact - mais
donne l'absolution au maladroit sous prétexte que c'est la mission
de la presse d'informer - c'est déjà plus grave, car il confond
la mission des médias de dire ce qui doit être dit avec leur
mauvaise habitude de dire n'importe quoi.
Ce qui est bien plus grave encore, cependant, c'est quand les journaux,
d'un commun accord, ne disent rien des gestes politiques d'un Chartrand
ou d'un Lauzon mais tout de la moindre mimique de Charest..., quand ils
accordent un entrefilet aux Chiliens qui font la grève de la faim,
mais de pleines pages à la construction d'un stade de base-ball au
centre ville..., quand ils consacrent la moitié de leurs feuillets
aux faits divers et au sport, mais réduisent à un éditorial
biaisé toute analyse sérieuse de la maladie dont souffre la
société.
Le crime des journalistes, c'est que constituant la seule opposition efficace
au système ils se taisent; leur lâcheté,c'est qu'ils
devraient être le rempart de la démocratie mais qu'il sont
récupérés par le système; leur turpitude, c'est
qu'ils se prétendent les gardiens de nos valeurs... alors que de
pitreries en compromissions, en glorifiant l'insignifiance et en occultant
les vrais problèmes et les vraies solutions, ils sont de ceux qui,
de l'intérieur, rongent l'arbre et le font pourrir.
Ceux dont les paparazzites font connaître les vices et les malheurs en
sont les premières victimes; mais nous sommes TOUS les victimes d'un
journalisme parasitaire qui se nourrit de NE PAS dénoncer les vices
du système et les malheurs qui nous en échoient.
Pierre JC Allard
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