97.02.11
10 000 000 $ POUR UN EMPLOI
Alléluia! Alcan investit 2,2 milliards à Alma! 225 emplois
créés, c'est la reprise!
Ah oui? Bon..., si vous le dites....
Il n'y a rien de plus désolant que de se sentir un trouble-fête.
Être le rabat-joie. Être l'empêcheur de danser-en-rond-en-se-pétant-les-bretelles.
Celui qui dit que le bonheur n'est pas dans l'absinthe, que l'amour vrai
ne se vend pas dans les hôtels de passe et que la création
d'emplois à 10 000 000 $ par postes de travail n'est pas la solution
au chômage... Croyez-moi, je suis désolé.
Je regrette, mais il faut le dire: investir 2,2 milliards (2 200 000 000
$) pour créer 225 emplois supplémentaires n'est pas une solution
au problème du chômage. Ce n'est pas ça qui va remettre
les Québécois au travail, qui va faire renaître la solidarité
entre travailleurs et qui va ramener la justice sociale.
Oh, la raffinerie d'Alma est une bonne nouvelle. Une bonne nouvelle, parce
que la construction, pour un temps, va prendre du mieux dans la région
d'Alma; parce que la position concurrentielle du Québec sur le marché
de l'aluminium va se maintenir; parce que la production d'hydroélectricité
en est encouragée; parce qu'Alcan est plus proche de nous que la
Minière des Grands Lacs et paye des taxes; parce que 225 emplois
c'est autant de chômeurs de moins.
Une bonne nouvelle, mais pas une solution. Créer des emplois de haute-technologie
est une bonne chose. C'est une NÉCESSITÉ absolue, si nous
voulons rester dans la course, demeurer un pays (relativement) riche. Mais
il ne faut pas confondre développement économique et création
d'emplois. Ce sont deux problèmes différents. Ce n'est pas
en créant des emplois de haute technologie qu'on va remettre la population
au travail. Pourquoi? Faites un calcul simple. S'il faut investir 2,2 milliards
de dollars pour créer 225 emplois, combien faut-il investir pour
remettre au travail les 800 000 et quelques chômeurs et assistés
sociaux du Québec ?
La réponse, c'est 8 000 000 000 000 $ HUIT TRILLIONS DE DOLLARS.
Pour que vous compreniez bien ce que représente cette somme, dites-vous
que c'est de l'ordre de grandeur du produit intérieur brut des Etats-Unis
ou, si vous préférez, à peu près ce qu'on peut
s'attendre à investir au Québec, en dollars constants, au
cours des quatre prochains siècles... ! Disons qu'il s'agit d'une
solution à long terme.
Voyons le problème autrement. Si vous investissez habilement aujourd'hui
10 000 000 de dollars - et ceux qui investissent dans des raffineries d'aluminium
ne sont généralement pas "malhabiles" - vous en
sortez directement ou indirectement, immédiatement ou en différé,
au moins un million de retour par année. Or combien tirera par année
le travailleur du poste de travail de haute technologie qu'on lui aura créé
en investissant 10 millions de dollars? 50 000, 60 000 dollars ? Combien
iront en salaires aux travailleurs des secteurs en aval et et en amont?
En moyenne, dans l'état actuel du système de production, 38%
du revenu national résulte du paiement de salaires: c'est trois fois
la contribution des paiements d'intérêts. Si vous ne produisez
pas 3 000 000$ de salaires annuels récurrents quand vous investissez
10 000 000 $, vous n'êtes pas en train de régler le problème
du chômage mais de l'aggraver.
Comprenons-nous bien. L'investissement dans la haute technologie est NÉCESSAIRE:
c'est ça qui, peu à peu, va augmenter notre niveau de vie.
Mais, simultanément, si on veut que le pourcentage de ceux qui travaillent
augmente au lieu de diminuer, il faut que l'on crée des emplois qui
ne demandent pas ou presque pas d'investissements matériels. Il en
faut beaucoup.
Comment y arriver? Par la création de postes de travail dans le secteur
des services et par le partage du travail dans le secteur industriel. C'est
ça, que l'on devrait faire et que l'on ne fait pas. La solution est
là. Elle est connue. Elle est négligée. L'investissement
dans la haute technologie est absolument nécessaire - (je le répète,
parce que je suis sûr qu'il y aura un "expert" de mauvaise
foi pour prétendre que je suis contre la haute technologie!) - mais
ce n'est pas la haute technologie qui va absorber la main-d'oeuvre disponible
et réduire le chômage. Par définition, la haute technologie,
c'est ce qui produit beaucoup avec un minimum de travail. C'est se moquer
de la population que de présenter les projets comme celui d'Alcan
comme une solution au chômage.
Pierre JC Allard
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