98.02.04
UN «AMI» QUI VOUS VEUT DU BIEN
Si vous suivez un peu l'actualité et les commentaires des auteurs
de sites sur le Web, vous savez déjà qu'il y a une levée
de boucliers contre le MAI - AMI en français. L'AMI est un accord
multilatéral sur les investissements concocté avec discrétion
depuis déjà longtemps à l'Organisation pour la coopération
et le développement économique (OECD) et dont on prévoyait
la signature en avril prochain.
Le problème des levées de boucliers, c'est que dans le fracas
de la bataille on oublie vite de quoi il retourne et pourquoi l'on se bat.
Un mot d'explication, donc, sur l'AMI, ses motifs et ses conséquences.
Présentement, chaque pays du monde a ses propres politiques concernant
les investissements et, en particulier, les investissements faits sur son
territoire par des étrangers. Ainsi, les États-Unis sont réticents
- c'est un euphémisme - concernant les investissements étrangers
dans tous les domaines qui touchent la défense nationale. Beaucoup
de pays restreignent les investissements étrangers dans les secteurs
d'exploitation de leurs ressources naturelles, et la majorité des
pays ne permettent pas que les étrangers puissent soumissionner sur
un pied d'égalité avec les nationaux pour l'obtention de contrats
gouvernementaux.
Ce que veut l'AMI, c'est que tous les financiers du monde puissent être
traités de la même façon quand ils investissent où
que ce soit, qu'ils soient citoyens du pays ou étrangers. Concrètement,
ça veut dire que Bell Canada, ALCAN - ou Petro-Canada et Hydro-Québec
privatisées pour l'occasion - peuvent devenir la propriété
d'Américains ou de Japonais sans que l'État canadien ou québécois
puisse y mettre de contraintes. Et ce qui est vrai pour le Canada est vrai
pour la France, la Russie, l'Allemagne. Mercedes peut devenir chinoise,
Michelin koweitienne....
A plus forte raison, TOUTES les entreprises rentables des pays du tiers-monde
peuvent devenir ainsi rapidement la propriété de capitaux
des pays développés. On s'assure que les riches resteront
toujours riches et que les pauvres resteront pauvres. Évidemment,
il y en a qui protestent. Tellement, qu'on se prépare a reporter
l'échéance de l'AMI. Il semble que le sacre du capitalisme
global triomphant ne sera pas célébré en avril...
Bon... et alors? Est-ce qu'on doit pavoiser? Est-ce qu'on s'imagine qu'en
l'absence de cet accord le capitalisme global est tenu en laisse? Croit-on
que les États souverains démocratiques assurent maintenant
le développement harmonieux de la planète? La vérité,
c'est que le capitalisme triomphant fait déjà de façon
détournée tout ce que l'AMI lui aurait permis de faire directement.
Les grandes multinationales sont déjà aux mains de capitaux
apatrides dont on ne connaît plus les vrais propriétaires,
et les acquisitions d'entreprises nationales rentables dans chaque pays
sont faites selon toutes les règles: par des entreprises nationales
qui appartiennent à d'autres entreprises nationales... dont les actionnaires
sont domiciliés au Luxembourg, au Liechtenstein, à Grand-Cayman...
Mercedes n'est probablement pas chinoise; son actionnariat réel,
toutefois, n'est sans doute pas plus allemand qu'Unilever est hollandaise
ou Nestlé suisse... ses actionnaires, quels que soient leur(s) passeport(s),
n'ont qu'une patrie: le capitalisme global. Et ce qui n'est pas acheté
est contrôlé. Il n'y a pas une seule entreprise du tiers-monde
qui ne soit pas déjà à la merci d'une multinationale,
soit qu'elle en dépende pour ses fournitures, pour son expertise,
pour ses brevets d'exploitation, pour la distribution de ses produits. L'AMI
rendrait les choses plus claires et plus simples, mais pas différentes
Le contrôle de la planète par l'économique au détriment
du politique - et donc la réduction de la démocratie à
un spectacle pour les naïfs - est déjà un fait accompli.
L'AMI n'arrivera pas tambours battant en avril... Victoire ! Mais les multinationales
ont déjà pris possession de la maison sans qu'on ne dise mot.
Je me méfie des pseudo-victoires ostentatoires qui résultent
de levées de boucliers tardives.
Je m'en méfie, parce qu'à nous faire croire que nous avons
réussi a empêcher une invasion, on réussit trop bien
à nous faire oublier que nous sommes déjà en pays conquis.
L'AMI reviendra plus tard, sous un autre nom... ou peut-être qu'on
ne se donnera pas la peine de le faire. La réalité n'en sera
pas changée. Il ne s'agit plus de protéger la liberté
et la démocratie: elles sont mortes. Le défi, c'est de les
ressusciter
Pierre JC Allard
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