98.01.14


GUERRE ET PAIX



Étant encore enfant, alors que les nouvelles de la guerre mondiale faisaient toutes les manchettes et occupaient à peu près tout l'espace des journaux, je me souviens de m'être souvent demandé de quoi diable on pourrait bien parler quand la paix serait revenue. Quand la guerre s'est terminée, bien sûr, j'ai eu ma réponse. Quand la guerre est finie, on dit des niaiseries.

Quand la guerre est finie, on parle de hockey, de base-ball, de la vie privée des vedettes du sport et du cinéma, de crimes crapuleux qu'on ne fait rien pour empêcher, de trafics qu'on fait tout pour encourager, de pseudo problèmes économiques qu'on pourrait régler d'un trait de plume mais qu'on laisse pourrir, comme le chômage et la dette publique, parce que l'essence d'une politique de temps de paix, c'est de ne pas faire de vagues. Rester tranquille en espérant que la situation demeurera supportable le temps de vivre une carrière de politicien sans envergure. En temps de guerre, c'est autre chose....

En temps de guerre, il y a de vrais problèmes à régler et on prend des décisions. En temps de guerre, on sait que c'est le travail qui produit, qui enrichit et qui fait gagner les guerres... et tout le monde travaille. En temps de guerre, on sait que l'argent est un papier commode pour reconnaître le travail effectué et faciliter les échanges... et on en imprime selon les besoins. En temps de guerre, on sait que c'est la solidarité qui fait gagner les guerres. Pendant la guerre, on reprend contact avec la réalité.

Je dis "la guerre", mais il faut comprendre "crise", "urgence", "catastrophe". Au Québec, pendant deux semaines, nous avons vécu la guerre. L'ennemi, c'était la neige, le froid, le verglas. Nous avons fait la guerre. Nous allons gagner cette guerre parce que nous nous battons contre de vrais ennemis. Le froid est une réalité; un fil brisé est un vrai problème pour lequel il y a une vraie solution - le réparer - et avec lequel on ne peut pas tricher: le courant passe ou ne passe pas.

Si nous avions réagi à cette crise comme nos gouvernants réagissent à nos problèmes de "temps de paix" - chômage, éducation, justice, santé, etc. - c'est le froid et le verglas qui auraient gagné. Si nous avions procédé par commissions d'enquête, griefs, injonctions, si nous avions lancé un "vaste débat public", si nous avions pensé d'abord aux coupures budgétaires, aux privilèges syndicaux et au profit des investisseurs, nous serions morts de froid. Dieu merci, on a repris contct avec la réalité et on a fait ce qu'il fallait. Le temps d'une guerre.

Mais après? Quand la guerre à la glace et au froid sera bientôt finie, faudra-t-il vraiment qu'on revienne au spectacle navrant des politiciens de "temps de paix"? Ceux qui se gargarisent de mots et préfèrent se battre contres des fantômes, pour pouvoir dire de temps en temps qu'ils ont gagné quand ils choisissent de changer de moulin a vent ? Ceux à qui il faut 30 ans pour digérer une mise à jour de l'éducation... dans un monde où une technique qui a cinq ans est désuète? Ceux qui trouveraient "naturel" un taux de chômage de 9%, sans vouloir voir qu'il cacherait encore une réalité de 22 % de sans-travail? Des politiciens qui ne voient rien de scandaleux à ce que le monde ordinaire n'ait plus d'accès efficace au système judiciaire, trop lent et trop coûteux?

Pourquoi les gouvernements qui peuvent réagir avec célérité à une crise naturelle imprévue comme celle que nous venons de vivre ne peuvent-ils pas réagir avec la même promptitude pour résoudre les problèmes cruciaux permanents - et bien connus - de notre société? Il n'y a, hélas, qu'une seule réponse à cette question: nos gouvernants NE VEULENT PAS régler les problèmes de notre société.

Ils feignent de lutter contre le chômage, mais, en réalité, ça arrange bien les marchés financiers que près d'un travailleur sur quatre ne travaille pas; ça diminue la pression à la hausse sur les salaires, et il faut bien que les ouvriers cèdent la place aux machines si on veut des investissements rentables et une production concurrentielle. Ils feignent de lutter contre le crime organisé, mais ça fait bien l'affaire du pouvoir en place que les marginaux et délinquants les plus doués trouvent plus attrayant de régler leur problème individuel en s'enrichissnt dan le crime plutôt que de devenir les leaders d'une révolte collective dont ils seraient les Guevara et les Mao potentiels.

Nos gouvernements feignent de vouloir réduire la dette publique, mais tout le monde sait bien que le volume de la dette dépend fondamentalement d'une série de décisions quasi-quotidiennes de recourir à de nouveaux emprunts portant intérêt - plutôt qu'à la prese à billets, gratuite - pour financer les investissements de l'État. Des décisions dont chacune transporte un peu plus vers les riches l'argent qu'on ira chercher chez les moins fortunés de notre société.

Et le reste de l'action de l'État est à l'avenant. Des feintes, des escarmouches, pour soutenir l'image d'une volonté - qui en fait n'existe pas - de changer la situation actuelle, de créer une société plus équitable. Tous nos gouvernants constituent, quel que soit le parti dont ils se réclament - un bloc monolithique opposé au changement. Nos gouvernants sont en paix, bien intégrés dans les rangs de ceux à qui la situation actuelle profite. Rien ne presse. Il n'y a pas de catastrophe...

Quand la guerre est finie, on dit des niaiseries. On dit que nous sommes les meilleurs parce que Villeneuve a des nerfs d'acier et une bonne bagnole, parce que Céline a une jolie voix et un bon manager. On dit qu'il est plus important de rembourser la dette publique que d'avoir une population en santé. On fait comme s'il n'y avait pas d'autres solutions que de donner plus à ceux qui sont déjà pleins aux as et de laisser sur le bord de la route ceux qu'on ne prend pas le temps d'éduquer, de former, de mettre au travail. La solidarité? C'est pour les jours de tempêtes, pour les jours de guerre contre le froid et le verglas.

Il faudrait insuffler à ceux qui nous dirigent la volonté ferme de traiter avec le sérieux qu'ils méritent les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Il faudrait qu'ils comprennent que la crise actuelle justifie qu'on lui fasse la guerre. Il faudrait que le temps de la paix ne soit plus le temps de l'exploitation mais le temps de bâtir.




Pierre JC Allard



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