L'année dernière, Montréal, comme les autres villes
de la province, a reçu de Québec une autre fournée
de responsabilités. C'est une excellente décision. Le Gouvernement
a compris que, dans une société complexe moderne, il est plus
efficace de confier l'administration des services à l'autorité
qui est la plus proche du contribuable, celle à laquelle il s'identifie
le plus et sur laquelle il sens avoir le meilleur contrôle. En fait,
c'est devenu un principe reconnu de l'administration moderne, publique comme
privée, que les décisions doivent être prises "au
niveau le plus près de l'exécution où toute l'information
est disponible".
Ce fut une excellente décision de transférer des responsabilités
aux autorités locales, mais cette décision a été
prise avec les plus mauvaises intentions. Québec s'est simplement
déchargé de ses obligations traditionnelles sur les municipalités,
ce qui a évité au Gouvernement l'odieux d'avoir à choisir
entre réduire les services... ou augmenter la dette ou les impôts.
Ce sont les villes qui ont porté l'odieux. Et elles le porteront
de plus en plus - jusqu'à ce qu'on ait expliqué clairement
à la population la manipulation dont elle est l'objet - puisque la
tendance vers la décentralisation des services est irréversible
et que l'importance relative et le coût des services qu'il faut rapprocher
de la population augmentent aussi. La Cité reprend sa place historique
comme le lieu premier et privilégié de l'appartenance, mais
elle n'a pas les moyens de ses nouvelles responsabilités. On va le
lui reprocher jusqu'à ce qu'elle les aient obtenus. Elle doit les
obtenir.
Montréal ne peut pas, - et ne souhaite pas non plus ! - lever un
impôt sur le revenu ou une taxe à la valeur ajoutée,
ni spéculer sur la masse monétaire: ce n'est pas son rôle.
Montréal ne peut donc aujourd'hui taxer de façon pratique
que ses propriétaires fonciers et ses commerçants. Si ceci
ne change pas, une augmentation progressive des responsabilités de
Montréal ne peut se traduire que par une détérioration
continue des services ou une pression fiscale accrue sur une catégorie
bien précise de contribuables: les propriétaires et les commerçants
Accepter une détérioration des services, ou taxer davantage
les immeubles résidentiels, c'est consentir à une baisse injustifiée
de la qualité de vie des Montréalais. Taxer davantage les
immeubles commerciaux et le commerce lui-même, c'est chasser les nouveaux
investisseurs et faire obstacle au développement de ceux qui sont
déjà en affaires. Deux mauvaises solutions.
La seule bonne solution est un transfert de recettes fiscales des autres
paliers de gouvernement vers les municipalités et, surtout, vers
les villes qui, comme Montréal, ont la masse critique qui leur attirera
inéluctablement de nouvelles responsabilités. On pouvait financer
des trottoirs et des égouts avec une taxe foncière, mais on
ne financera correctement les activités sociales, sanitaires, éducatives
et promotionnelles des villes de demain qu'en leur octroyant une part des
recettes globales que tire l'État du revenu et des activités
des citoyens et des entreprises de ces villes.
Il serait ridicule de demander à Montréal de mettre en place
de nouveaux mécanismes de taxation. C'est l'État qui doit
percevoir des personnes physiques et morales résidantes de Montréal,
pour remise à la Ville, le montant déterminé par celle-ci.
Il importe peu que l'octroi consenti à Montréal provienne
des taxes directes ou indirectes de l'État, puisque c'est celui-ci
qui doit les percevoir. Montréal va faire ses comptes et estimer
ses besoins, étudier les services à rendre et calculer leur
coût, proposer ce qu'il semble équitable de tirer des taxes
que la Ville a le pouvoir de lever et demander au Gouvernement du Québec
de percevoir et de lui octroyer la différence. Cette demande n'est
pas négociable.
Cette demande n'est pas négociable. Par par intransigeance, mais
simplement parce que Montréal n'a aucun droit ni pouvoir formel pour
négocier quoi que ce soit avec le Gouvernement du Québec.
Il n'y a pas d'autonomie municipale: Montréal est une créature
du Gouvernement du Québec, lequel peut modifier à sa guise
la charte de la Ville de Montréal ou légiférer demain
que Montréal, comme entité légale, n'existe plus. Il
n'y a pas à parler ici de négociation, mais d'une requête,
d'une supplique.
Montréal va étayer sa supplique au Gouvernement du Québec
d'une enquête comparative auprès d'un échantillon adéquat
des grandes villes d'Amérique du Nord, établissant les services
que rendent celles-ci et, toutes choses étant égales, les
moyens fiscaux et financiers dont elles disposent.
Montréal présentera dans le plus bref délai une
demande d'octroi au Gouvernement du Québec, accompagnée d'une
étude comparative du statut et des moyens de financement des grandes
villes nord-américaines.
Montréal demandera qu'on lui accorde un potentiel effectif de financement
et un octroi complémentaire lui permettant, à responsabilités
égales et fardeau égal pour ses résidants, de disposer
d'un budget équivalent à celui dont jouit la grande ville
"moyenne" d'Amérique du Nord.
A partir de ce budget "moyen", Montréal assumera
la responsabilité d'instaurer plus de justice et d'atteindre l'excellence.
C'est ça le défi que Montréal veut relever. C'est une
demande équitable. Cette demande ne pourra pas être présentée
à temps pour que l'impact puisse s'en faire sentir en 1995, et personne
ne devrait avoir la témérité, aujourd'hui, de promettre
plus pour 1995 qu'un effort acharné pour augmenter l'efficacité
et maintenir les dépenses au niveau de 1994. La réponse des
autorités de Québec à la demande d'octroi de Montréal
sera connue, toutefois, avant l'automne 1995. 1996 sera l'année du
changement fiscal.
Montréal ne négociera pas les termes et conditions de l'octroi
demandé à Québec: une ville n'en a pas le pouvoir.
Montréal plaidera sa cause, et s'en remettra à l'équité
du Gouvernement du Québec, lequel jugera du bien fondé de
la requête qui lui sera présentée. Il appartiendra aux
Montréalais de juger de l'équité du Gouvernement du
Québec.