Les différences culturelles s'estompent dans le sillage des invasions
commerciales globales et des occupations culturelles; Pepsi défie
Coke, Heineken affronte Tuborg sur tous les marchés du monde et Disney,
comme Macdonald, est partout. On en vient à ne se sentir vraiment
chez soi nulle part... et presque chez soi n'importe où. Or, les
transports sont devenus plus commodes, les postes-frontière sont
abandonnés un à un, alors on bouge, on se déplace,
on émigre.
Ici on pleure, là on danse; ici on chôme, là on travaille;
ici l'on est pauvre, là ils sont riches. Vrai ou faux, le message
devient l'espoir de ceux qui n'en ont plus. Avant, on sautait un mur en
parlant de politique pour tripler son salaire; maintenant, on se presse
vers tout Rio Grande qui semble propice, pour passer le Styx à gué
et à rebours, On vole vers des paradis qu'on croit connaître
par l'image qu'on en a eue d'un film ou de la télévision,
convaincu qu'ailleurs on mangera le même gâteau, seulement mieux
réussi.
Et parce que nous vivons dans un monde violent où les êtres
en dérive abondent et les havres sûrs sont bien peu nombreux,
l'accueil des réfugiés est devenu moralement incontournable.
Peu de pays prétendent fermer totalement leurs frontières,
même si, dans les faits, la Chine et l'Arabie Saoudite ont des politiques
plus restrictives que, disons la France, et que l'on ne se bouscule pas
pour immigrer en Guinée équatoriale.
Le monde est plein de gens qui s'invitent à partager le gâteau
du voisin et que leurs voisins accueillent... mais ce n'est pas vrai que
tous les gâteaux soient devenus semblables... et le voisin veut rarement
changer sa recette.
L'immigration est une réalité planétaire: le Québec
n'y échappera pas. D'ailleurs, il ne doit pas y échapper.
L'immigrant nous apporte non seulement le nombre - qui nous fait de plus
en plus défaut parce que notre natalité est insuffisante,
- mais aussi une expertise individuelle, une diversité culturelle,
voire un apport génétique dont nous avons bien besoin. Il
y a des &laqno;plus» à l'immigration.
Il y a aussi des désavantages à l'immigration. L'immigrant-type
n'est pas toujours en mesure d'apporter sur le champ sa contribution à
l'effort collectif, et il peut donc devenir une lourde charge pour les systèmes
sociaux du pays d'accueil. Surtout, il en change visiblement le paysage
culturel, ce qui est un problème partout, mais au Québec plus
qu'ailleurs.
Plus qu'ailleurs, parce que quand vous et moi disons "Québec",
nous savons bien que c'est à une culture que nous pensons, à
"nous-autres" au sens de Parizeau le soir du référendum:
à des blancs, francophones, étant ou ayant été
catholiques et comptant au moins un ancêtre établi ici avant
1760. Nous ne pensons pas à un million d'Autres qui cohabitent avec
nous sur le territoire du Québec et dont l'immense majorité
ne se sentent pas du tout "québécois".
La nation québécoise "territoriale" est encore en
gestation. Et cette nation à venir de Québécois - au
sens territorial du terme, qui est le seul correct - ne naîtra que
si elle intègre les Autres. Les Québécois de demain
ne seront plus tout à fait "nous-autres", c'est certain;
mais ils garderont une culture que nous leur transmettrons et qui les gardera
semblables à nous-mêmes... si nous choisissons bien nos invités.
Parce qu'il est vital pour le Québec de bien choisir ses invités,
l'impossible est fait pour affirmer le droit du Québec à faire
la sélection des immigrants. Ce qui mène à bien des
escarmouches d'opérettes avec Ottawa et bien des coups d'épée
dans l'eau, puisque rien n'empêche qui que ce soit d'immigrer à
Vancouver et de s'installer à Westmount, ou vice-versa. Quelle que
soit la politique d'immigration du Québec, elle ne peut s'appliquer
que dans le cadre de la politique d'immigration du Canada.
Et le problème ne serait pas résolu si on mettait une frontière
sur l'Outaouais. On ne pourrait pas plus surveiller cette frontière
que les USA peuvent surveiller leur frontière avec le Mexique - ceci
dit en se souvenant humblement que, compte tenu des niveaux de vie respectifs
de l'Ontario et du Québec, c'est dans l'autre direction que s'établirait
le flux des clandestins. La réalité c'est que, commerce international
obligeant, les postes-frontières sont désuets.
Dans la nouvelle Europe, on passe désormais les frontières
sans ralentir. Ce n'est plus à l'entrée qu'il faut faire la
sélection, mais au moment où un service est rendu. Comment
contrôler l'immigration? En excluant l'étranger au moment où
ça compte: au moment où il REÇOIT de la société.
Le meilleur atout de l'État, c'est qu'il donne.
Si une carte universelle "Québec" est indispensable pour
avoir accès à un emploi, aux services de santé, à
l'éducation gratuite, il n'y a plus d'immigrants illégaux.
Il n'y a que des touristes dont le visa est expiré et qu'on expulse
après leur avoir imposé une amende, ou des malfaiteurs qu'on
déporte quand ils ont purgé leur sentence. C'est dans cette
voie qu'il faut s'engager. C'est ça qu'il faut régler avec
Ottawa.
Pour le moment, laissons de coté le qui et le quoi des relations
Québec-Ottawa et voyons comment nous choisissons nos immigrants:
c'est ça qui importe. Nous recevons en principe quatre (4) types
d'invités.
D'abord, nous facilitons l'entrée des experts, scientifiques et travailleurs
spécialisés dont nous avons besoin. Nous prétendons
ajouter les chaînons manquant à notre structure de production.
C'est un critère qui n'est pas bête, dans le mesure où
l'on estime correctement nos besoins,que personne ne triche,que l'on ne
prenne pas excuse de cet apport pour ne pas former nous mêmes les
ressources humaines requises et, surtout, qu'on ne limite ensuite pas à
travailler comme pompiste l'immigrant qu'on a accueilli parce qu'il était
médecin !
On privilégie aussi la réunion des familles, l'accueil de
ceux qui ont des liens familiaux avec des gens qui vivent déjà
parmi nous. Bonne idée, puisqu'il vaut certainement mieux confier
la responsabilité de l'intégration des nouveaux arrivants
à des particuliers qui se sentiront concernés par leur sort
plutôt qu'aux mécanismes impersonnels de l'État.
Ensuite, nous acceptons les réfugiés qu'en bonne charité
il semble inacceptable de refouler là d'où ils viennent parce
que ce serait mettre leur vie ou leur santé en péril. Un beau
geste, mais il est clair qu'on en abuse souvent.
Il y a enfin les immigrants-investisseurs, ceux qui reçoivent leur
billet d'admission au club "Canada" en y mettant le prix, soit
en investissant de 350 000 $ à 500 000 $ On peut discuter l'opportunité
d'accepter cette main tendue qui offre un pourboire plutôt que son
amitié, mais ces immigrants existent, il faut en tenir compte.
Nos critères de choix sont-ils si mauvais? Non, c'est le résultat
qui souvent est aberrant, parce que le processus de choix n'a vu que la
forme et non l'essentiel. Vous connaissez l'affaire des frères Sivanantham?
L'an dernier, Piratheep et Seeralan non qui nous étaient arrivés
comme réfugiés du Sri Lanka, fuyant une situation difficile,
ont vu leurs destins prendre des cours différents, gracieuseté
d'Immigration Canada. Nos Incohérents de service ont décidé
que le premier pouvait rester au Canada, le deuxième non. Pourquoi?
Il ne s'agit pas ici de différences professionnelles ni comportementales:
Piratheep et Seeralan sont deux adolescents, de 14 et 16 ans, ce sont deux
frères issus du même patelin, ayant des dossiers similaires
et faisant face à des problèmes rigoureusement identiques.
Naturellement une décision comme celle-là mène tout
droit à un appel. Puis l'appel au Ministre; les communautés
d'accueil vont prendre parti, les médias vont compter les coups...
Il se perdra bien du temps, il coulera bien des larmes; il se dépensera
beaucoup d'argent.
Piratheep et Seeralan sont des réfugiés. Mais qu'en est-il
de ceux qui s'inscrivent dans la trajectoire "normale" de l'immigration?
Que vaut un contrat de travail qui dit qu'Ahmed ou Manuel est indispensable?
A combien de frères, de cousines, de nièces peut-on étendre
le concept de réunification des familles? En 1972, j'ai vu arriver
deux immigrantes qui depuis, leurs parrainés devenant parrains à
leur tour, ont permis que deux douzaines de leurs compatriotes viennent
s'établir ici. J'en suis heureux pour eux, mais à quelle logique
a-t-on obéi ? Pourquoi ne pas aller à l'essentiel?
L'essentiel, c'est d'abord d'être sérieux. Accueillons ceux
qui sont recrutés pour leur compétence et ont en main un contrat
de travail, mais cessons de badiner: celui qui donne ce contrat de travail
devrait être solvable et fournir une caution égale à
trois mois du salaire de l'immigrant. Si le contrat est rompu,que l'immigrant
touche la caution pour assurer sa subsistance... mais qu'il signe un autre
contrat aux mêmes conditions durant ces trois mois, ou qu'il parte.
Acceptons à des conditions similaires ceux qui sont parrainés,
car chacun sera bien reçu par tous s'il est l'invité de quelqu'un
et que celui qui l'invite s'en occupe. Mais que celui qui invite soit solvable.
Qu'il fournisse une caution de trois mois si le nouvel arrivant est apte
au travail, ou un engagement de le prendre en charge indéfiniment
s'il ne l'est pas. La collectivité offrirait à l'immigrant
l'accès à l'éducation et au réseau de la santé,
mais pas d'aide au revenu avant la citoyenneté, ce qui est une autre
affaire.
L'essentiel, c'est aussi d'admettre avec candeur qu'il y a un autre critère
qui doit toujours s'appliquer: nous voulons des immigrants qui peuvent et
qui veulent devenir partie prenante de notre culture. Pas parce que notre
culture est supérieure aux autres, mais parce que c'est celle qui,
sur un petit coin du globe qu'on appelle chez nous, devrait avoir le droit
et la chance de prévaloir.
Donnons donc la priorité aux immigrants investisseurs et aux réfugiés
dont la culture nous est familière. Ce n'est pas de la vertu mais
de l'inconscience de vouloir intégrer indistinctement tout le monde.
Partager notre gâteau, soit, mais nous avons le droit d'inviter ceux
qui aiment la recette de grand' mère.
Les réfugiés? Il n'y a pas de meilleure façon de faire
notre part pour les réfugiés de ce monde que de prendre en
charge les plus faibles et les plus démunis d'entre eux, les enfants.
Le monde déborde d'enfants abandonnés, alors que le Québec
manque d'enfants - notre pyramide des âges a été bien
malmenée - mais est plein de foyers généreux qui voudraient
adopter ces enfants d'ailleurs qui nous manquent et à qui il manque
une famille.
Quel meilleur moyen d'ouvrir la conscience de la population à l'immigration
que de lier ce phénomène à des milliers de décisions
personnelles d'adopter un enfant, faisant de l'immigration non seulement
une affaire d'intérêt bien compris mais, surtout - comme l'hospitalité
devrait toujours l'être - une affaire de coeur?
N'est-il pas évident qu'Il n'y a pas de meilleur immigrant qu'un
enfant, lequel est intégré dès de le départ
à nos coutumes? Un enfant qui, quels que soient sa race et son lieu
d'origine, s'il est éduqué dès l'enfance par des Québécois
dans la culture québécoise, grandira pour devenir un Québécois
tricoté aussi serré que si la laine en avait été
tissée sur place?
Pourtant, l'adoption internationale n'est pas soutenue par l'État;
on semble plutôt faire l'impossible pour la rendre complexe et onéreuse,
au seul profit de quelques avocats et "courtiers" spécialisés.
C'est une incommensurable bêtise de nos gouvernants de mettre des
obstacles à l'adoption internationale, alors qu'il faudrait en multiplier
l'ampleur au profit de tous. L'État devrait prendre à sa charge
les démarches d'adoption internationale de tout Québécois
qui établit qu'il est moralement et financièrement apte à
adopter.