Avant de corrompre, le pouvoir suscite une grande passion.
Ceux qui commandent aiment commander. En tout. Ce qui donne à l'État
une bien fâcheuse tendance à se mêler non seulement des
affaires qu'on veut lui confier - assurer la paix, l'ordre, certains services
et un minimum d'équité entre les gens - mais aussi d'une foule
de choses qui ne le regardent pas.
Tous les prétextes sont bons pour que l'État s'arroge le droit
de mettre son nez partout; de sorte que si les mauvais gouvernements traitent
leurs citoyens comme des esclaves, les "bons" gouvernements, traitent
bien souvent les leurs comme des enfants.
Ce n'est pas nouveau. Au Moyen-Age, on brûlait les hérétiques
et les blasphémateurs - comme si le Bon Dieu ne pouvait pas régler
ses comptes tout seul! - et ici même, il n'y a pas plus de vingt ans
que le citoyen canadien peut s'éparpiller sur son grabat de la façon
qui lui plaît avec n'importe quel adulte consentant.
Et c'est pas fini; on continue toujours à traiter comme des crimes
une foule de choses qui sont peut-être contre la morale, mais dont
on ne voit pas très bien pourquoi elles serait illégales,
puisqu'elles ne font de mal qu'à celui qui les fait et ne regardent
donc strictement que lui.
Je veux que l'État me protège et me fournisse certains services:
l'éducation et la santé, une infrastructure routière,
des lois pour promouvoir plus d'équité. C'est pour ça
que je paye des taxes. Pas pour qu'on me fasse le catéchis-me. Une
Nouvelle Société va montrer à l'État à
se mêler de ses affaires.
Protéger, ça veut dire non seulement que
personne n'ait froid et que per-sonne n'ait faim, mais aussi que personne
n'agresse personne, et que chacun puisse chercher et trouver le bonheur
à sa façon, dans la mesure où il ne fait de mal à
personne. Si l'on fait, ou si on risque de faire du mal ou du tort à
quelqu'un, il y a crime, délit ou infraction, et il faut que l'État
inter-vienne pour protéger celui qui est ou risque d'être la
victime. S'il n'y a pas de victime, réelle ou potentielle, l'État
n'a pas à intervenir. C'est tout.
L'État n'a pas à se faire gardien de la morale; la morale
est l'affaire de chaque individu et de sa conscience. Il y a une génération,
dire "condom" dans un bon collège voulait dire se faire
foutre à la porte; aujourd'hui, on organise des concours pour faire
la publicité des condoms. Il y a une génération, c'était
une honte de vivre "accoté"; aujourd'hui, un couple sur
cinq n'est pas marié, et parler de filles-mères et d'enfants
illégitimes fait rétro.
Il y a une génération, à peu près tout acte
sexuel, sauf le "missionnaire" entre mari et femme, était
un crime; il resterait combien de gens en liberté, aujourd'hui, à
surveiller dans leurs prisons le monde ordinaire, si ces lois étaient
encore appliquées?
Il reste encore aujourd'hui des lois qui n'ont pas plus de raison d'être.
Des "crimes" sans victime, dont on poursuit les auteurs comme
s'ils avaient tué ou volé, alors qu'ils auraient peut-être
besoin d'aide, mais surtout qu'on respecte leur liberté. Il faut
supprimer ces lois, mettre un terme à cette tutelle morale de l'État
sur ses citoyens, et traiter enfin le monde ordinaire comme des adultes.
S'il y a un point où l'ingérence de l'État
est totalement abusive, c'est bien quand il s'agit de ma vie et de ma mort.
C'est là l'ultime question à régler entre l'individu
et son Créateur, et quand la loi dit que le suicide est un crime,
c'est dans le meilleur des cas une mauvaise plaisanterie. Quant à
vouloir condamner quelqu'un pour tentative de suicide - et pourquoi pas
à mort, pendant qu'on y est! - on est alors aux plus hauts niveaux
du sadisme absurde et du surréalisme.
Le suicide n'est plus un crime mais garde une image d'illégalité.
L'illégalité du suicide devient un problème sérieux
quand on pense aux cas d'euthanasie. Tout adulte devrait avoir le droit
de mettre fin à ses jours pour autant qu'il soit sain d'esprit, et
il devrait être considéré sain d'esprit à moins
qu'il ne soit déclaré fou pour d'autres raisons que celle
de vouloir mettre fin à ses jours.
Non seulement tout individu devrait-il pouvoir mourir quand et comme il
lui plaît - pour autant que le moyen choisi ne mette pas en cause
la sécurité d'autrui - mais il devrait aussi pouvoir à
tout moment, par "pré-testament", donner les "instructions
finales" à appliquer si une maladie ou un acci-dent le rendait
inconscient. Ce pré-testament devrait être obligatoire pour
tout adulte.
Si, par la suite, la maladie devait le rendre inconscient pour plus de 12
heures sans qu'on prévoit son réveil, son pré-testament
serait ouvert en présence d'un juge et d'un médecin, et ses
instructions seraient appliquées, traitées avec tout le respect
dû à la volonté la plus sacrée qu'un être
humain puisse sans doute exprimer: décider lui-même d'être
ou de ne pas être, selon sa propre conscience.
Il n'y a pas pire hypocrisie que les lois contre le jeu;
c'est vraiment, dans toute sa saveur, la parabole de la paille dans l'oeil
du voisin.... Et de quelle méchante poutre on parle ici dans l'oeil
de l'État! Pas un tripot n'oserait proposer un jeu où la chance
de gagner serait aussi faible que celle qu'offre Loto-Québec.
Une roulette, jouée selon les règles de Monte Carlo, laisse
moins de 2% de marge à la maison. La Quotidienne prend 55% et d'autres
jeux encore plus! On dit que le jeu est immoral; ce qui l'est, c'est de
traquer un tenancier de maison de jeu qui n'est coupable que de faire concurrence
à l'État. Une concurrence bien inégale, il est vrai,
puisque l'État n'aurait sans doute pas un seul client s'il existait
quelque part une maison de jeu légale et honnête...
Qui nous parle du joueur qui a ruiné sa famille? Le jeu vraiment
organisé - c'est-à-dire celui qu'organise la Régie
des loteries et courses - a causé plus de ruines que toutes les "barbottes"
réunies. Le jeu qu'organise l'État est partout, s'annonce
au grand jour, et vise sciemment les couches les plus pauvres de la société,
celles qui ne voient pas les "odds", mais dépensent un
dernier dollar reçu du BS pour acheter un peu plus d'illusions. Vous
connaissez bien des gens riches qui achètent régulièrement
la 6/49?
Le jeu n'est pas un péché et encore moins un crime: c'est
une erreur. On doit prémunir les gens contre le jeu, mais un adulte
qui veut parier devrait pouvoir le faire, où et comme il veut. Qu'on
s'occupe de garder le jeu honnête; c'est tout ce qu'on demande à
l'État. Et de moins jouer la faiblesse humaine pour remplir ses coffres...
Le moins qu'on puisse dire, c'est que ce concept de prostitution
est ambigu. Pourquoi serait-il interdit de vendre, à la journée
ou à l'heure, ce qui peut faire l'objet d'un contrat de mariage en
bonne et due forme dont on sait qu'il n'a plus rien d'éternel? Et
est-ce un crime si on "paye" en accordant un contrat, ou une promotion?
Si une femme ou un homme adulte, sain d'esprit, libre et sans contraintes,
veut faire l'amour (ou quelque chose qui y ressemble) et en demander un
prix pour services rendus, de quel droit veut-on l'en empêcher?
Si quelqu'un a le droit d'être payé sans discussions pour procurer
un plaisir aux clients en chantant, en dansant, en donnant un massage, ou
pour avoir fait du bien à autrui en replaçant ses vertèbres,
en enlevant ses amygdales, ou que sais-je, au nom de quel vieux puritanisme
veut-on priver quelqu'un de faire ce qu'il veut de son corps et d'en tirer
profit?
Ce qu'il faut, s'est protéger les prostitué(e)s de la violence
de leurs clients et de leurs souteneurs. C'est voir à ce que la prostitution
ne soit pas source de maladies ou de chantage. C'est mettre fin à
la traite des blanches en mettant définitivement hors de nuire ceux
qui s'y livrent. C'est empêcher la prostitution des enfants en étant
d'une sévérité exemplaire pour ceux qui en profitent,
et en apportant un soutien à ceux et celles qui en sont victimes.
Pour le reste, qu'on demande aux p... de ne pas solliciter, mais plutôt
de s'afficher par un béret rose marqué d'un gros coeur - ou
n'importe quoi! - et qu'on leur fiche la paix.... Et qu'on cesse d'être
ridicules en voulant inter-dire le "plus vieux métier du monde".
La vie n'est pas toujours très drôle pour
tout le monde. Il y en a qui ont la force de lutter seuls. D'autres qui
se réfugient dans la prière, dans une grande passion, dans
un idéal. Il y en a pour qui une cigarette ramène le soleil,
d'autres à qui il faut un verre d'alcool... ou plusieurs. Si c'est
le corps qui souffre, notre société dit oui à la morphine,
non à l'héroïne. Quand c'est l'âme, elle dit oui
au Vallium et au Haldol, non au pot, à la mescaline ou à la
coke. Pourquoi? D'autres sociétés disent autre chose. Affaire
d'habitude, de culture, de trafic et de contrôle des changes. Vous
saviez qu'on avait fait la guerre aux Chinois pour les forcer à
acheter de l'opium?
Parfois certaines drogues sont interdites: l'alcool durant le Prohibition
aux Etats-Unis, par exemple. Alors, le prix monte, le commerce devient un
crime, des fortunes sont faites, et ceux qui en ont besoin recourent au
crime pour pouvoir se la payer. Des gens tuent et sont tués pour
une poudre qui ne coûte que quelques cents à produire. Aujourd'hui,
on consacre plus d'efforts à lutter contre la drogue que contre tous
les autres crimes. Pourquoi?
Une drogue, légale ou illégale selon le temps ou le lieu,
c'est un truc pour modifier la conscience de la vie. Une façon de
rendre supportable le fait d'avoir un bras coupé ou le coeur brisé,
des os en miettes ou des rêves en lambeaux. Qui a le droit de dire
à un autre être humain à quelle aide il a droit pour
transiger avec sa condition humaine? Ne vaudrait-il pas mieux tuer le trafic
par la baisse des prix, protéger les mineurs par une extrême
sévérité en tout ce qui les concerne... et laisser
chacun vivre sa vie avec la béquille dont il a besoin?
Quand on veut partir en croisade contre le jeu, la prostitution,
la drogue ou l'euthanasie, on parle de l'ordre public et de la morale "chrétienne"
des citoyens. Mais, qu'on soit d'accord ou non, la morale des citoyens n'est
plus chrétienne. Pas avec 6% d'assistance à l'Église,
un mariage sur trois qui finit en divorce, un avortement pour deux naissances
et la contraception érigée en politique officielle contre
le sida. Quant à l'ordre public, quand il n'y a pas de victime, l'ordre
public n'est pas en cause ou ne devrait pas l'être.
Une Nouvelle Société doit être inflexible quand il s'agit
d'éviter la violence et la souffrancele; elle doit être permissive
en ce qui concerne le droit sacré des adultes à vivre ce qu'ils
veulent, et à chercher le plaisir comme ils l'entendent, seuls ou
avec quiconque est d'accord. On a parlé des quatre "non-crimes"
les plus évidents, mais il y en a d'autres.
La nudité en public, par exemple; est-ce qu'il faut en faire une
infraction, ou est-ce que la simple esthétique ne suffirait pas?
Et la pornographie? peut-être ne faut-il supprimer que la pornographie
qui met en cause des enfants, ou qui met l'accent sur la violence et le
sadisme.
Nous sommes déjà une Nouvelle Société, et cette
société y gagnera si, au lieu de pourchasser des gens qui
ne font mal à personne, nos corps policiers peuvent retourner à
leur vrai rôle: protéger la population et faire respecter l'ordre.