De toutes les propositions du livre, la proposition #19 est peut-être
celle qui a inspiré le moins d'appuis solides et d'intérêt.
On ne peut pas parler d'un rejet du concept, puisqu'on a bien 70 % d'adhésion
quand on répartit les indécis; mais il y a beaucoup d'indécis,
justement, et peu de gens voit ici une priorité. J'aurais souhaité
plus d'enthousiasme et d'action... Pour le moment, il n'existe pas de mouvement
organisé qui milite pour la mise en place de cette proposition.
Depuis 1992, la tendance à d'abord été de constituer
des "guichets uniques". Puis, avant même que cette tendance
ait produit tous ses effets, est arrivée une déferlante vers
la droite qui a tout ramené à l'objectif d'élimination
du déficit. L'effort actuel porte encore sur cet objectif unique
de suppression de postes et de compression des coûts.
On pourrait penser que cet objectif de coupures de postes va dans le sens
de la proposition #19, puisque celle-ci vise à transformer en agents
économiques autonomes et motivés par le profit une part raisonnable
de ceux qui, au sein de l'appareil de l'État, gèrent et transmettent
l'information. Mais ce n'est pas le cas. Je me trompais en croyant que les
ennemis de la fonction publique actuelle seraient heureux de la remplacer
en partie par autre chose. La réalité, c'est que ceux qui
en ont ras-le-bol des fonctionnaires souhaiteraient surtout ne les remplacer
par rien.
Ce qui est bien dommage, car on peut "défonctionnariser"
les enseignants, les employés du réseau de la santé
et de l'appareil judiciaire, on peut même - et c'est le sens de la
proposition #19 - renvoyer au privé certains spécialistes
et professionnels, mais on ne peut simplement pas remplacer les guichets
par des boîtes vocales, comme on le fait présentement, et espérer
que les services en seront améliorés.
C'est la quadrature du cercle de vouloir maintenir une société
juste et démocratique ainsi que des programmes sociaux efficaces
et universels tout en disant qu'on va "dégraisser" l'appareil
de l'État et en ramenant ses effectifs en deçà du seuil
minimal requis pour son fonctionnement sans même mettre en place une
structure alternative d'interface avec la population.
La désaffection relative envers la proposition #19 m'apparaît
- suis-je un incurable optimiste? - comme un phénomène temporaire
liée à l'obsession actuelle par les aspects financiers qui
relègue à l'arrière-plan toute préoccupation
pour la qualité. Je crois que quand on assistera au retour du pendule
- et qu'il faudra bien trouver une solution de rechange plus acceptable
à la structure de fonctionnariat qu'on est à mettre en pièces
- on se souviendra de la proposition #19.
Car il ne faut tout de même pas oublier que même en 1996, au
plus fort de la rage de saccager sans discernement la structure de la fonction
publique et les réseaux de services de l'État, les deux-tiers
de la population étaient favorables à l'idée de créer
un corps professionnel de cicérones. Le faire n'est peut-être
pas la première priorité, mais je suis convaincu que cette
proposition aura son heure.