"Se réunir pour s'aider". La devise du Mouvement Desjardins, bel exemple de ce qu'on peut
faire quand on s'unit. Il y a beaucoup à dire sur le coopérati-visme,
et nous y reviendrons. Ici, nous parlerons d'une seule des façons
de s'unir: pour construire et/ou louer des logements et y vivre. Ensemble.
Ce n'est pas nouveau. Mais, jusqu'à présent, les coopératives
d'habitations ont été presque le monopole d'une clientèle
bien pauvre et de quelques groupes de branchés. Or c'est une solution
pour une foule de groupes minoritaires qui, tous ensemble, sont presque
la majorité. Il faut en parler.
Commensalisme. Un nom pour les habitudes de vie de certaines espèces
mais aussi, dans le sens où nous allons l'employer, le fait de partager
la même table, ce qui est bien ce que le mot veut dire. Un commensal,
c'est celui avec qui on partage la même table. Aujourd'hui que 23
% des gens vivent seuls, 15 % seuls avec des enfants, et qu'une bonne partie
du reste ne tient pas à tenir maison, il y a pas mal de gens qui
auraient intérêt et plaisir à dîner ensemble.
Et intérêt à partager les autres frais d'un ménage.
Il n'y a pas d'avantage à payer seul le coût de l'équipement
de cuisine - et de l'espace pour loger tout ce fourbis! - non plus qu'à
perdre son temps à faire seul le marché, le ménage
et toutes les autres corvées domestiques. Ce n'est donc pas une grande
surprise si ceux qui vivent seuls préfèrent manger au restaurant
quand ils en ont les moyens. Le commensalisme, c'est une façon de
donner à tout le monde les moyens de manger tous les soirs au restaurant.
Mais c'est aussi bien plus que ça...
Le commensalisme, c'est une façon de réduire
d'un bon tiers la dépense d'un ménage ou, alternativement,
d'améliorer d'environ 50% son niveau de vie. C'est aussi une solution
au problème de la sécurité, et une des façons
de remédier à la solitude.
Le principe est simple: à chacun son espace privé, mais on
se partage les espaces communs et le coût des services... dont bien
des services qu'on n'aurait pas autrement les moyens de se payer. On cohabite,
mais dans le plus parfait respect de la vie personnelle de chacun.
Distinction importante donc, on ne parle pas ici de vie commune, ni de communauté.
Chacun a sa propre chambre, chacun garde sa plus entière liberté,
et le choix de ses amis propres comme de ses activités. Personne
ne demande au commensal d'adhérer à une vision du monde, ou
de chanter des mantras avec le voisin de palier.
On partage des dépenses, on se traite en amis, et c'est tout. C'est
tout, mais c'est beaucoup; car pour l'individu, la vie commensale veut dire
s'offrir la gardienne, le cuisinier et même l'aide domestique dont
on aurait besoin, et pour un prix dérisoire.
Idéalement, les commensaux vont se réunir par groupes d'une
trentaine de personnes; mais un groupe qui demeure ouvert à grandir
est sans doute viable dès qu'il compte une douzaine de membres. C'est
la taille d'un groupe où on peut maintenir des relation personnelles
efficaces, sans trop de risques de voir se former des clans et de perdre
contact avec la pensée et les intérêts de chacun.
Pour vivre "à la commensale", il faut
trouver des gens qui ont des intérêts communs et désirent
mener un style de vie similaire. Les trouver est un problème majeur,
et c'est là que l'État peut aider. Quand les participants
ont été réunis, ils passent une entente précisant
ce qu'ils désirent faire et mettre en commun, puis trouvent un espace
adéquat.
Cet espace, on peut le construire ou prendre un bail à long terme.
Dans un cas comme dans l'autre, en acceptant d'être solidaires, les
participants obtiendront des conditions de finan-cement bien supérieures
à ce que chacun aurait pu obtenir seul: c'est un des avantages du
coopérativisme.
Cet espace, c'est autant de chambres que d'individus ou de couples dans
le groupe, chacune assez grande pour qu'on puisse y recevoir deux ou trois
amis; c'est un salon pour se réunir entre commensaux, un autre que
l'on peut réserver à tour de rôle pour y recevoir, une
cuisine avec équipement de petit restaurant et salle à manger.
Calculez 25 m2 par commensal adulte pour un espace minimal. Donc, un prix
aussi bas que 20 000 $ à l'achat, ou un loyer mensuel inférieur
à 200 $. pour chaque participant. S'il y a des enfants, il faut prévoir
pour eux un réfectoire, un ou deux dortoirs et une salle de jeux.
Le prix par tête baissera, disons à 300 $ par mois, pour une
mère et deux enfants.
On peut aussi se payer le grand luxe, s'offrir la chambre de 35 m2, les
salons multiples, et tout le bazar. Un groupe s'en tirera encore pour moins
de 500 $ par mois.! Et payer les services à une fraction du prix...
Il - ou elle - est parti(e). Bon. Il reste un ou deux enfants,
et le problème du modèle, maternel ou paternel, dont on sait
qu'il devrait être présent, mais qui n'est pas là. Le
problème du "chaînon manquant", dans une éducation
tradi-tionnelle qui a été pensée pour deux.
Et le problème du gardiennage - dont une récente enquête
a révélé qu'il est - et de loin! - devant la nourriture,
les vêtements et les frais de scolarité uni-versitaires, le
coût le plus important de l'éducation d'un enfant. Ce n'est
pas la pension alimentaire de l'ex-conjoint qui suffira.
Et en sus de la tâche à plein temps qui consiste à élever
des enfants, il y a le travail.... et enfin les repas et le ménage.
C'est beaucoup. C'est trop. Comment, penser à se faire des amis,
à recommencer une relation?
Si une douzaine de familles monopa-rentales se réunissent, tout devient
plus facile. Les services de garderie et d'entretien qu'on peut partager;
la cuisine pour laquelle on peut engager quelqu'un ou qu'on peut même
faire à tour de rôle. La présence d'amis des deux sexes
avec lesquels on peut communiquer. Les enfants des autres qui deviennent
les compagnons des enfants de chacun, et qui assurent que, socialement,
l'enfant de la famille monoparentale ne sera pas défavorisé
par rapport aux enfants d'une famille traditionnelle.
Chacun sa chambre, les enfants en dortoir, le repas de type restaurant au
prix de chez-soi; la gardienne en permanence à 1/12 ème du
prix, et des ami(e)s qui n'envahissent jamais mais qui sont là quand
on est seul. Qui dit mieux ?
La résidence pour personnes âgées est
encore souvent un endroit où les vieux sont garés. On s'en
occupe comme on l'entend. Selon les besoins du service, selon la bonne volonté
du personnel, selon les budgets. Même dans les meilleures résidences,
le vieillard est encore en état d'infériorité.
Supposons un autre cas de figure. Une dizaine de couples et une dizaine
de célibataires d'environ 65 ans se portent acquéreurs d'un
immeuble adéquat. Solidaires, ils financent sans difficulté
la corporation qui sera propriétaire de l'immeuble, et administratrice
d'une résidence qui jouira de tous les avantages que l'État
accorde. Ils engagent un directeur, puis le reste du personnel, et négocient
avec des médecins les services médicaux.
Quelle différence! Maintenant, ce sont eux qui embauchent, évaluent
et congédient. Ils ont repris, face au système, une position
dominante. Bien sûr ils vieilliront, mais des amis plus jeunes viendront
combler les iné- vitables départs. Le groupe vieillira, mais
les statistiques disent que dans un tel groupe qui se renouvelle par des
arrivants de 65 ans, il y aura presque toujours, une solide majorité
de commensaux qui ne seront pas en perte d'autonomie.
Il y aura naturellement des cas où un groupe ne pourra plus s'autogérer;
mais une inspection annuelle de l'État pourra déceler ces
cas et intervenir avant que la situation ne dégénère.
On aura créé, entre des commensaux partageant des intérêts
communs, une unité sociale et économique viable... et on aura
apporté la meilleure réponse au problème social extrêmement
urgent des personnes âgées.
Les jeunes - étudiants, travailleurs ou assistés
sociaux n'ont pas les moyens de vivre seuls. La tendance actuelle, bien
malsaine, est qu'ils s'incrustent chez leurs parents. D'une génération
dont on a fait en grande partie des chômeurs, on risque donc de faire
une génération de parasites. Ce n'est pas ainsi qu'on préparera
la relève.
Le commensalisme est un système parfait pour les jeunes. Une trentaine
de 20-30 ans, vivant en commensaux, peuvent se donner un niveau de vie auquel
ils ne pourraient jamais aspirer s'ils vivaient seuls, ou par deux, ou par
trois, dans des appartements dont eux-mêmes - ou plus probablement
leurs parents - assumeraient les frais.
Et ceci avec l'avantage d'un milieu sur mesure, selon leurs propres goûts,
où on peut plus facilement se faire des amis et lutter contre l'ennemi
insidieux qu'est la solitude. Si on les aide, ils ne demanderont pas mieux
que d'aller vivre ensemble.
Bien sûr, il y aura des abandons. Il ne faut pas demander au jeune
d'être stable, ce n'est pas la loi de la nature; exigeons seulement
qu'il respecte ses engagements. Condition de départ, qu'il s'engage
solidairement à la hauteur des obligations communes; mais, en revanche,
que l'entente type lui permette, dans le respect des droits des tiers, de
céder sans difficulté ses droits à d'autres jeunes.
Le recrutement des jeunes commen-saux et la constitution
des groupe peut se faire à partir de l'université, des bureaux,
des usines; à partir des syndicats mêmes, pour lesquels ce
serait l'occasion rêvée d'assumer une nouvelle responsabilité
sociale.
Le commensalisme sert bien ceux qui y participent, mais
il est aussi un avantage énorme pour la collectivité. Parce
qu'il est facteur d'amélioration du niveau de vie et de stabilisation,
et parce qu'il solutionne - en partie - les problèmes épineux
de l'entretien des personnes âgées, du standard de vie des
monoparentales et de l'autonomie des jeunes.
Une Nouvelle Société doit encourager un essor du commensalisme,
et elle peut le faire de deux façons. D'abord, par une campagne de
sensibilisation qui en explique les avantages aux groupes sociaux les plus
concernés. Ensuite, par la mise en place d'une structure qui permette
à ceux qui veulent se réunir de se rencontrer, et qui leur
facilite le regroupement.
Un Secrétariat au Commensalisme qui faciliterait les contacts
initiaux, aiderait à la rédaction et à la conclu-sion
des ententes, ferait le suivi des relations établies et, au besoin,
agirait un peu à la manière des conseillers matrimoniaux pour
aider les groupes à survivre aux moments difficiles.
Par la même occasion, le Secrétariat devrait analyser en profondeur
le phénomène, en évaluer les bénéfices
pour la société, et en tirer des recom-mandations quant aux
avantages fiscaux et autres qui pourraient être accordés à
ceux qui acceptent de partager la table des autres, à leur profit...
mais aussi pour le plus grand bien de la société.