L'éducation gratuite nous coûte bien cher.
Et encore, il y a l'enseignement privé qui porte une bonne part du
poids au primaire, au secondaire et même au collégial. Quand
à l'université, nous avons flirté avec la gratuité,
mais nous l'avons aujourd'hui moins que jamais.
Non seulement l'État dépense-t-il une fortune pour
l'éducation universitaire, mais l'étudiant aussi investit
des sommes énormes en livres, en trans-port, et en manque à
gagner. Et ça ne sera pas mieux, ça sera pire! Le ministre
Ryan, dont personne ne met en doute la rectitude ni la fermeté -
il est à la fois le sabre et le goupillon du régime Bourassa
- a mis à profit son passage à l'éducation pour faire
passer le dégel des frais de scolarité et équilibrer
un peu mieux le budget de l'État... en déséquilibrant
un peu plus celui du monde ordinaire. Il en coûtait, il y a cinq ans,
225 $ par trimestre pour faire la Médecine à Laval; en 1990,
575 $; dans 5 ans, il en coûtera sans doute le double.
Les diplômes vont coûter de plus en plus cher. Valent-il cet
investissement pour ceux qui auront mis à les obtenir des milliers
de dollars durement gagnés et des années de leur vie? Si on
compare le salaire moyen annuel d'un universitaire, un médecin par
exemple, à celui du travailleur ordi-naire, ça ne fait aucun
doute: on parle de 138 000 $ au lieu de 28 000 $ !
Ceci est d'autant plus vrai qu'il n'y a pratiquement pas de médecins
sans travail, alors que les travailleurs ordinaires, quand on tient compte
du chômage et du BS, il y en a un sur 5 qui n'a pas d'emploi! Le parchemin
coûte cher, mais il vaut son prix..
Il le vaut: c'est le nouveau titre de noblesse. Avant la
Révolution Fran-çaise, on se vendait et on se léguait
des charges; on n'était pas seulement duc ou marquis de père
en fils, mais aussi, bien souvent, fermier général ou percepteur
d'impôts parce que son père l'avait été. Il n'y
a pas que la noblesse qui était héréditaire, mais aussi
la pauvreté. C'est d'ailleurs en grande partie pour ça qu'il
y a eu la Révolution Française...
Un branle-bas un peu futile sur ce plan, puisqu'au lieu de léguer
la noblesse, ou les charges qui permet-taient de devenir riches, on se conten-te
maintenant de transmettre l'argent. L'argent qui permet d'en faire d'autre...
et aussi d'accéder à cette nouvelle noblesse: la connaissance.
Aujourd'hui, deux siècles après la Révolution Française,
Y % des universitaires sont fils d'universitaires alors que seulement Z
% des fils d'ouvriers le sont. C'est la connais-sance, la nouvelle noblesse,
qui est devenue héréditaire. Tant que notre éducation
universitaire ne sera pas devenue accessible également à tous,
pauvres commes riches, cette égalité des chances dont on parle
tant dans notre société restera une fumisterie.
Pour que notre société soit juste, il faudrait donc non seulement
éliminer entièrement les frais de scolarité, mais aussi
fournir tous les livres gra-tuitement et payer un salaire à l'étu-diant!
Or l' État - (c'est à dire en bout de comptes, vous et moi)
- n'avons pas les moyens de prendre en charge ces milliards de dollars supplémentaires
qu'il faudrait pour assurer un véritable accès à l'éducation
aux pauvres comme aux riches.
Nous n'avons par l'argent nécessaire pour assurer
cet accès aux jeunes qui sont présentement aux études
univer-sitaires. Encore moins à tous les autres jeunes qui n'ont
pas d'emploi et qui décideraient de revenir aux études si
nous offrions ce service, pour obtenir à la fois un salaire et un
statut pas mal plus intéressant que le B.S.
D'ailleurs, de quel droit nous limiter aux jeunes? Pourquoi les adultes
sans emploi ne viendraient-ils pas eux aussi frapper à la porte de
l'université pour acquérir, tout en touchant un salaire, qui
une maîtrise en art étrusque, qui un doctorat en littérature
médiévale? Créer l'égalité des chances
par un salaire étudiant universel est une solution irréaliste.
La solution n'est pas de donner la formation universitaire, mais
de mettre à la disposition de ceux qui y trouvent profit - c'est-à-dire
aux étudiants eux-mêmes - les sommes dont ils ont besoin pour
en absorber le coût, de sorte que même le plus pauvre, s'il
a du talent, y ait accès aussi facilement que le plus riche des fils
de familles.
Prêt étudiant, dites-vous? On peut dire... mais en soulignant
que nous parlons d'une somme suffisante pour que l'étudiant puisse
étudier à plein temps, assumer le coût réel
de sa formation universitaire - (13 000 $ par année en moyenne) -
être autonome, et ne pas vivre en-deça du seuil de la pauvreté.
Nous parlons donc de 27 500 dollars par étudiant par année.
Un prêt à la grosse aventure...! Qui, sauf un bon père
de famille (riche!), ferait confiance à un étudiant pour cette
somme? Et offrir un tel prêt à nos 124 000 étudiants
à plein temps, c'est 3 500 000 000 $ par année!
Qui sauf un bon père de famille... Amusant, car
la loi exige justement des administrateurs de nos institutions financières
qu'ils agissent "en bons pères de familles", dans le sens
d'une gestion prudente mais diligente des capitaux qu'ils ont en mains....!
Il y a bien longtemps que le monde ordinaire sait qu'il n'y a pas de meilleur
placement que de payer des études à ses enfants. Mais sait-on
ce que vaudrait, pour un investisseur, un prêt qui lui accorderait
une participation dans les revenus à venir d'un universitaire? Voyons
le passé.
12 500 dollars, investis il y a 35 ans en obligations du Canada, au taux
de cette époque, vaudrait 98 000 dollars aujourd'hui. Le même
argent, placé alors dans une propriété immobilière
à Montréal, vaudrait aujourd'hui en moyenne 197 000 $, soit
un retour de 8,2 % sur l'investissement.
Mais si en 1956, un généreux mécène avait offert
à un étudiant en médecine de lui verser 2 500 $ par
année pendant 5 ans - (somme alors bien suffisante pour vivre et
étudier) - moyennant quoi celui-ci aurait accepté de verser
à son bienfaiteur pendant 10 ans, commençant 25 ans plus tard,
un montant annuel égal à 20 % de son revenu, quel aurait été
le résultat?
Sachez que le généreux mécène, qui aurait financé
à l'époque le jeune étudiant a la hauteur de 2 500
dollars par année de 1956 à 1961 aurait touché 280
000 $ entre 1981 et 1991, soit un retour bien supérieur sur son argent!
C'est le mécène qui aurait fait vraiment un placement de "bon
père de famille". Rien ne vaut le placement sur matière
grise: l'or gris.
Mais oublions le mécène et parlons des financiers.
Aucun investisseur sérieux ne financera un étudiant.
Pour s'intéresser à l'or gris, il faudra que, comme un assureur,
il ait les grands nombres de son coté. On ne financera donc pas nos
petits génies un à un... mais en gerbes.
Parce qu'on ne sait pas si ce jeune adolescent charmant, premier de sa classe
et en bonne santé, ne mourra pas dans 5 ans d'un cancer ou d'un accident,
ne deviendra pas un escroc, ne fera pas banqueroute, ne décidera
pas de consacrer sa vie aux lépreux ou ne deviendra pas tout simplement
paresseux. On ne sait pas ce que fera Jean Dupont. Pas assez, en tout cas,
pour lui prêter un quart de million!
Mais ce que nous ne savons pas pour Jean Dupont, nous le savons avec une
certitude raisonnable en ce qui a trait à sa classe de première
année de médecine. Nous ignorons combien nos médecins
gagneront dans 30 ans, mais nous savons que leur revenu moyen sera bien
plus élevé que celui de la moyenne des travailleurs; à
moins qu'on n'ait alors supprimé toutes les inégalités...
auquel cas tout autre investissement serait encore plus précaire
qur l'or gris, car nous aurons toujours besoin de ceux qui savent. Placer
à 30 ans est toujours risqué; mais miser sur le savoir est
le plus sûr des risques à long terme.
Que les génies s'offrent en gerbes, et on ne manquera pas de "bons
pères de famille" pour financer tous ceux qui n'auront pas eu
la chance d'avoir des pères investisseurs. Il suffira que le gouvernement
fasse un minimum pour favoriser la mise en marché de cette nouvelle
valeur refuge.
L'État doit faire un minimum d'efforts. D'abord,
édicter une loi d'exception, excluant de toute faillite éventuelle
la part du revenu futur de l'étudiant assignée au financier;
il ne faut pas que celui-ci soit à la merci d'une manoeuvre d'évasion.
Aussi, une loi qui limite - par exemple à 25% sur 15 ans - la part
de son revenu futur qu'un étudiant peut ainsi céder: il ne
faut jamais, en effet, que celui-ci cesse d'être le principal intéressé
à sa propre réussite.
Ceci fait, encourager les activités de "courtiers" dont
le rôle consistera à réunir un certains nombre d'étudiants,
à monter le dossier psychosocial et académique de chacun,
et à former ainsi des groupes dont les revenus futurs constitueront
en bloc la "valeur" dans laquelle le financier achètera
une participation.
Certains groupes seront composés uniquement d'étudiants en
médecine, ou en génie, d'autres d'individus de formations
variées. Certains groupes offriront une part minime du revenu futur,
d'autres voudront le maximum autorisé. Mais le but sera le même:
offrir un revenu fixe à l'étudiant au cours de ses années
d'études, en échange d'une participation à son revenu,
au cours des années de sa carrière durant lesquelles nous
savons qu'il touchera les plus forts revenus.
La participation du financier sera un titre négociable qui, au cours
des ans, pourra prendre de la valeur ou en perdre, comme n'importe quelle
autre obligation à terme, selon la façon dont évoluera
la carrière des profession-nels participants. La bourse des cerveaux
sera un marché actif.
Le marché de l'or gris établira aussi de
façon pragmatique la valeur d'une formation. Etre étudiant
en Lettres, ou en Droit, vaudra un revenu immédiat qui sera le résultat
de l'opinion qu'on aura des espérances de gains futurs d'un titulaire
de ce type de parchemin. Même chose pour les étudiants de toutes
les autres disciplines, et certains ne trouveront pas facilement preneurs.
Un indice que le besoin social pour ce genre de diplômés n'est
peut-être pas évident.
Mais il ne faut pas penser que seuls médecins et ingénieurs
trouveront preneurs. Quand on parle d'or gris, comme d'or noir ou de l'or
tout court, il y a des placements risqués mais qui rapportent gros.
Un seul "gagnant", dans le domaine des arts ou du sport, rapportera
bien plus que toute une promotion d'ingénieurs! Il n'y a pas que
sur les denrées "utiles" qu'on peut gagner: on peut aussi
faire un fric fou sur les orchidées...
Comme dans tous les autres secteurs de l'investissement à long terme,
il faudra du flair pour trouver le bon filon d'or gris. Mais les investisseurs
ne manqueront pas et, avantage non négligeable, on aura créé
un lien d'intérêt commun entre ceux-ci et ceux qu'ils auront
financés: une bonne occasion de ramener un peu d'aide et de paix
entre les générations.