On vous a sans doute déjà dit que l'argent
ne faisait pas le bonheur. L'argent, ou pour être plus précis,
la monnaie, non seulement ne fait pas le bonheur, mais est en fait un embêtement
énorme. L'argent est un embêtement parce qu'il se perd, parce
qu'il se vole, et surtout parce qu'il se cache.
Parce qu'on peut le perdre et qu'il peut être volé, l'argent
est peu à peu en voie d'être remplacé. Chez les riches,
d'ailleurs, il y a déjà longtemps que l'argent ne sert plus
que pour les pourboires. Les riches paient par chèques, par traites
et par lettres de crédit; ils ne se servent du papier-monnaie pour
des montants significatifs que lorsqu'ils ont quelque chose à cacher.
Aujourd'hui, c'est au tour du monde ordinaire de laisser de plus en plus
l'argent de côté et d'utiliser plutôt les cartes de crédit
- au rythme de 60 milliards de dollars par année! - même pour
de petites transactions comme payer son compte de restaurant ou acheter
des billets d'avion pour les vacances. L'argent est en train de devenir
inutile.
Vous voulez quelques chiffres? Il y a en circulation, au Canada, environ
un milliard de billets de banques. Or, la somme des dépôts
du public auprès des banques atteint 296 milliards de dollars - ce
qui représente bien plus d'argent que la valeur totale des billets
de banques en circulation - et il se fait chaque année au Canada
pour 17 trillions de dollars de transactions bancaires ! Une partie minime
de ces transactions se fait avec du papier-monnaie. Les pourboires, quoi...
L'argent ne cause que des ennuis.
Mis à part quelques originaux et ceux qui sont trop
pauvres pour avoir le moindre crédit, les seuls qui préfèrent
encore l'argent comptant sont les trafiquants de drogues, les receleurs
et ceux qui veulent éviter de payer des impôts.
Si on décidait de remplacer l'argent par un système universel
de crédit, on règlerait bien des problèmes et d'abord
celui du vol. Non seulement parce qu'il n'y aurait plus d'argent à
voler, mais surtout parce que quiconque volerait quelque chose n'en tirerait
un avantage que dans la mesure où il pourrait l'utiliser lui-même
- ou l'échanger directement contre autre chose qu'il puisse utiliser
- ce qui ramènerait le "système économique"
des voleurs à des milliers d'années en arrière, sans
nuire en aucune façon aux échanges honnêtes.
Sans monnaie, fini le vol organisé à grande échelle,
car toute transaction passant désormais par une institution financière
et étant automatiquement enregistrée, les transactions honnêtes
se feraient facilement mais il serait gênant, pour un receleur, par
exemple, de verser au compte d'un voleur notoire un paiement pour des marchandises
volées. Dès qu'un voleur serait pris, c'est tout le réseau
qui serait démasqué.
Encore plus important, si tout paiement fait au pays devait être déduit
d'un compte en banque et ajouté à un autre, il serait bien
difficile pour un trafiquant de drogues ou tout autre commerçant
illicite d'expliquer la provenance de l'argent qui entre à son compte.
L'argent mal acquis devrait fuir vite le pays, illégalement et en
devises étrangères. Compliqué...
Très difficile aussi, pour qui que ce soit, de cacher
une part de son revenu si toutes ses entrées doivent être déposées
à un ou plusieurs comptes à son nom; la fraude fiscale serait
réduite dans des proportions incroyables, ce qui serait un avantage
énorme pour le monde ordinaire. Pas seulement un avantage pour ceux
qui touchent un salaire et subissent des déductions à la source,
mais un avantage pour tous ceux qui ne fraudent pas l'impot de sommes colossales..
A première vue, certains qui trichent un peu aujourd'hui sur leurs
rapports d'impôt pourraient croire qu'ils seraient perdants dans un
système qui mettrait clairement tous les revenus à jour. Mais
ils se trompent. Ils ne réalisent pas que leurs petites tricheries
ne représentent que des poussières, à côté
des baisses d'impôt spectaculaires que permettrait le fait de récupérer
la part de ceux qui trichent sérieusement, pour des dizaines et,
globalement, des centaines de millions, voire des milliards de dollars chaque
année.
N'était-ce que pour ces avantages de réduire le vol et de
rendre l'impôt honnête, il vaudrait déjà la peine
de remplacer notre "argent" par autre chose; mais, en fait, la
monnaie ne sert plus à rien: l'argent n'a plus d'avenir. Il y a quelques
siècles, il était bien commode, au lieu de troquer une poule
pour un sac de farine ou un fer à cheval pour une consultation médicale,
de s'échanger des bouts de papier dont l'État garantissait
la valeur et avec lesquels on pouvait ensuite acheter ce qu'on voulait.
Désormais, avec l'informatique moderne, cette méthode n'a
plus de sens.
Plus de sens, parce qu'au lieu de traîner des bouts
de papier qu'on peut perdre ou se faire voler, il vaut bien mieux avoir
un "crédit" à son nom dans une banque et exécuter
toutes ses transactions simplement en faisant des additions et des soustractions
entre les comptes. C'est une alternative qui est désormais possible
par l'électronique et l'informatique... et qui fait que l'argent
n'a plus d'avenir.
Se débarrasser du papier-monnaie serait un gain extraordinaire pour
le monde ordinaire. Comment, concrètement, peut-on en arriver à
ce résultat? D'abord, chaque institution financière de dépôts
reconnue au Québec - banque, caisse, trust - serait requise d'émettre
une "carte de virement" à tout Québécois
de 16 ans et plus qui en ferait la demande.
Cela devrait se faire sans difficulté, puisque cette "carte
de virement" ne créera aucun risque pour l'institution. Elle
ne fera que donner au détenteur de la carte accès à
l'argent qui est déposé à son compte, ainsi qu'à
la marge de crédit qui lui a déjà été
consentie par l'institution elle-même. Exactement comme les cartes
qui donnent maintenant accès aux guichets automatiques.
En fait, ce sera la même carte, à ceci près qu'elle
n'émettra pas de billets, mais virera la somme voulue sur le compte
de banque relié au lecteur de cartes de virement dans
laquelle elle sera introduite. Chaque vendeur de biens ou de services se
munira d'un de ces lecteurs, lequel permettra de communiquer directement
avec l'institution émettrice, d'effectuer immédiatement la
transaction et d'obtenir la confirmation du virement.
La mise en place de ce système ne dépend
pas de quelque miracle technologique: ces lecteurs existent déjà
sur le marché et le prix en est modeste. Il suffit de décider
de le faire. Que se passera-t-il lorsque chaque individu aura sa carte en
main et que les lecteurs seront en place?
L'acheteur, en insérant sa carte dans un lecteur, pourra transférer
la somme voulue de son compte au compte d'un marchand ou d'un autre individu.
L'appareil lui remettra une preuve de cette transaction, indiquant à
partir de quel compte et vers quel compte la somme a été virée.
Naturellement, on ne demandera pas pour ce genre de transaction la signature
du payeur, trop facile à imiter, mais un numéro de code qu'il
aura choisi lui-même et qu'il introduira discrètement dans
l'appareil. Il pourra modifier à tout moment ce code, en se présentant
à l'institution financière émettrice de sa carte. Exactement
comme pour les cartes de guichets automatiques actuelles.
Pour chaque individu ou société, il doit y avoir un seul numéro
d'identification de base; on doit savoir avec qui on traite. A partir de
ce numéro de base, toutefois, le détenteur pourra ouvrir autant
de comptes que le requiert sa propre comptabilité, chaque compte
étant identifié par un numéro supplémentaire.
Dès que chaque adulte aura sa carte et chaque marchand son lecteur
de cartes, l'utilisation du papier-monnaie pour des fins honnêtes
baissera rapidement, puisque la carte de virement est plus pratique pour
le marchand comme pour l'utilisateur.
Pour le marchand, la carte de virement est totalement sûre
et son usage est gratuit. Pour le payeur aussi la carte de virement sera
plus pratique, puisqu'il négociera son crédit en bloc auprès
de son institution financière et aura ainsi accès en tout
temps à toutes ses disponibilités.
Tout le monde commencera à utiliser la carte de virement parce qu'elle
est plus pratique, et l'État pourra donner un coup de pouce supplémentaire
en retirant de la circulation les billets de banques. D'abord les gros billets;
ce n'est pas une trouvaille, car bien des pays n'ont déjà
pas en circulation de billets de banque d'une valeur supérieure à
20 $.
C'est une première limite qui semble raisonnable, car il n'est pas
nécessaire d'être très musclé pour porter 100
billets de 20 $ dans sa poche, et il n'est pas facile de trouver une raison
honnête d'avoir plus de 2 000 $ sur soi, quand une carte de virement
vous donne accès, à quelques minutes d'avis, à tout
le crédit qu'on possède au monde.
Donc, élimination dans les trente jours de l'entrée en vigueur
du système, de tous les billets de 1 000 $, de 100 $ et de 50 $.
Ceux qui en possèdent n'auront qu'à faire créditer
leur compte en banque de la valeur de ces billets. Après trente jours,
on pourra encore le faire... mais il faudra alors donner des explications.
Quelques explications en perspective pour ceux qui détiennent des
sommes significatives non déclarées dans un coffret de sûreté.
Gênant, oui, mais croyez-vous vraiment que c'est le monde ordinaire
qui aura des explications à donner?
Que faire pour effectuer un paiement à quiconque
n'est pas vendeur de biens et services et ne s'est donc pas muni d'un lecteur
de cartes? Il sera facile d'utiliser le téléphone pour effectuer
par codes une transaction de compte à compte; la technologie pour
cela existe déjà. Il ne serait pas beaucoup plus compliqué
de modifier les téléphones publics pour qu'ils émettent
aussi aux parties une preuve de la transaction. Et, avec la diffusion et
la miniaturisation croissante des téléphones cellulaires,
chacun pourra bientôt avoir en poche son lecteur personnel.
Il ne restera plus, dans une étape finale, qu'à enlever les
billets de 20 $ et de 10 $ de la circulation et à remplacer les billets
de 2 $ et de 5 $ par des pièces, pour que tout le système
des échanges fonctionne pratiquement de compte à compte sur
informatique, les pièces demeurant en circulation pour les aumônes
et la joie des collectionneurs. Il ne faut qu'une décision pour mettre
en marche ce système de l'avenir. Pourquoi pas tout de suite?