On dit souvent du mal du sport offert en spectacle, comme s'il s'opposait
au sport de participation. Comme si celui qui arrache 100 kilos ou court
le mille en 4 minutes ne pouvait pas être aussi un spectateur. Or,
c'est une erreur - car la popularité du sport-spectacle accroît
le nombre des participants amateurs - et c'est une grave injustice pour
le sport-spectacle qui a ses mérites bien à lui.
Le mérite, par exemple, de créer un esprit de corps. Les Québécois
ont le goût de se serrer les coudes et de faire corps; on le voit
à la St-Jean, quand des centaines de milliers de personnes descendent
dans la rue. Mais la St-Jean, c'est une fois par année, alors que
l'esprit de corps est un besoin de tous les jours.
Pour continuer le bain de foule, il y a donc les Feux d'artifice, le Festival
du Jazz, le Festival "Juste pour rire". On s'agglutine à
qui mieux mieux durant tout l'été. Mais tout ça nous
laisse sur notre appétit, car pour vraiment vibrer ensemble il faut
un défi, et c'est alors que le sport devient nécessaire. Idéalement,
le sport-spectacle auquel on participe - le Tour de l'Ile en vélo
et le Marathon - mais aussi le sport-spectacle pur: les Expos, le football,
le hockey. Le hockey surtout, parce qu'on aime mieux s'unir pour gagner
que pour perdre et que, quand on gagne, on a l'Effet Maurice Richard.
L'Effet Maurice Richard, c'est quand on s'identifie à un gagnant
de chez nous, que chacun devient quelqu'un, et que, tous ensemble, on devient
quelque chose. C'est quand la solidarité et la fraternité
deviennent fierté, puis enthousiasme, et qu'on sait qu'on
peut conquérir le monde.
Et là, on commence vraiment à vivre, parce
que - comme disait un Homme très célèbre - "L'homme
ne vit pas que de pain ." Mais bien sûr que non..! L'homme vit
aussi - surtout - de fierté et d'enthousiasme. C'est pour çà
que le sport est si important.Le sport est irremplaçable. Parce que,
pour être une société, il faut gagner ensemble
- ou s'identifier ensemble à un gagnant - et qu'il vaut mieux un
peu de cassage de gueules sur une patinoire que de se mettre tous un képi
sur la tête et de partir à la conquête du Labrador. Il
faut du sport de participation, parce que ça fait des enfants forts,
mais aussi du sport-spectacle, parce que c'est le moyen le plus simple de
se sentir une grande famille.
Pour la même raison, les Romains voulaient "du pain et
des jeux". Aujourd'hui, que ce soit à Liverpool, à
Naples ou au Québec, la première nécessité sociale
après le BS, c'est le sport! D'abord manger; mais, tout de suite
après, une chance raisonnable d'accéder ensemble à
la fierté en s'identifiant à une équipe gagnante.
Et pas en regardant la télévision; en se touchant. 500 000
personnes qui regardent la coupe Stanley chez elles ne peuvent être
que frustrées, car on veut se sentir gagner ensemble; c'est çà
le vrai besoin, pas de regarder glisser un morceau de caoutchouc. C'est
si vrai que, quand on gagne, on sort fêter dans la rue. Et que si
le besoin d'une victoire ou d'un bain de foule a été déçu,
les gens, à défaut d'avoir gagné ensemble, commencent
souvent spontanément à briser quelque chose ensemble. Il faut
bien qu'adrénaline se passe...
Le sport, dans une société comme la nôtre,
est une nécessité vitale: c'est notre meilleure réponse
au besoin social d'être ensemble. Une Nouvelle Société
doit donc prendre conscience de l'importance primordiale du sport comme
spectacle, et encourager à fond l'esprit de corps en amenant les
gens à se réunir pour le sport sous toutes ses formes. Il
faut faire le plein de nos équipements et d'abord remplir le stade
olympique: 43 739 spectateurs pour le baseball.
Le remplir tous les jours et plusieurs fois chaque jour. Disons 16 heures
par jour, car le stade devrait être presque toujours en activité.
Il devrait être un temple du sport où se succèderaient,
quasi sans interruptions, les matches des sports traditionnels et diverses
compétitions simultanées sur le terrain: l'équivalent
de vivre des jeux olympiques permanents.
On y verrait sans cesse se mesurer, dans des épreuves d'athlétisme,
de piste et pelouse et autres disciplines, des équipes formées
dans les milieux de l'éducation ou du travail. Le sport deviendrait
une composante toujours présente de la vie quotidienne. Le stade
olympique serait un lieu de rencontre coutumier de la population, une étape
naturelle dans la journée du citoyen moyen, qui irait y passer son
heure de lunch ou une partie de sa soirée, soit pour voir, soit pour
participer à divers événements.
Rien n'est plus facile à utiliser comme point de rassemblement qu'une
épreuve sportive. Rien ne ferait plus plaisir au monde ordinaire.
Mais, pour que ce rêve devienne réalité, il y a quelques
conditions à remplir...
La première est qu'il faut que les portes du stade
soient ouvertes. Le sport est un besoin social vital et, comme tout ce qui
est vital, le sport doit être GRATUIT. Et ça, c'est tout à
fait possible.
Vous ne payez rien pour le match que vous voyez à la télévision.
Et votre boite aux lettres est sans doute pleine, tous les matins, de dépliants
et de divers journaux gratuits... qui font de bien meilleurs profits que
la plupart des journaux qui vous sont vendus! Donner, c'est payant... si
vous avez un commanditaire. Les droits de télévison sont une
des sources majeures de financement de la plupart des événements
sportifs, et ce sont les annonces qui font vivre nos journaux, pas les lecteurs.
Pourtant, le lecteur est indispensable, comme il est indispensable que l'on
regarde la télévision si l'on veut que la télédiffusion
gratuite de spectacles continue; parce qu'un commanditaire ne finance que
des spectacles qui sont populaires, et n'annonce que dans les journaux qui
sont lus ou au moins largement distribués. Quand c'est gratuit il
y a plus de lecteurs... et quand il y a plus de lecteurs on peut avoir les
commanditaires pour que ce soit gratuit. L'effet Hygrade.
Maintenant, il faut se souvenir que le stade aussi est un endroit où
l'on annonce. Sur les murs, sur l'écran, partout. Ces annonces ont
un prix. Un prix qui pourrait augmenter de façon prodigieuse si le
stade était rempli. Augmenter de telle sorte que ces revenus publicitaires
pourraient facilement remplacer - et plus - les revenus des entrées.
Vous voulez avoir un exemple? 15 secondes de publicité,
sur le grand écran du stade de Toronto - (où la moyenne des
spectateurs par match des Blue Jays dépasse 45 000 cette année)
- valent au minimum 750 $. Vous avez 600 fois 15 secondes en 2 1/2 heures,
c'est à dire un potentiel de 450 000 $, ou l'équivalent de
10 $ par spectateur pour la durée d'un match! Et nous n'avons pas
parlé des droits de télévision, des autres annonces,
des concessions de vente de nourriture et des débits d'alcools....
On peut très bien laisser entrer le spectateur gratuitement et faire
un profit... pourvu qu'il vienne !
Or il viendra si c'est gratuit..., et si le stade devient le lieu de la
communion populaire, de ce bain de foule dont un peuple a besoin comme du
pain. Il viendra certainement aux matches des sports traditionnels - et
ceci serait déjà suffisant pour financer l'opération
- et il viendra aussi à tous les autres événements...
si on lui apporte des gagnants. Ca, c'est l'autre condition.
Qu'on ne s'inquiète pas du manque de popularité actuel de
certaines disciplines sportives. Quand l'esprit du sport est lancé,
il y a un effet d'entraînement et ce n'est plus seulement un ou deux
sports qui font salle comble, mais - on l'a vu en Allemagne, en Corée
et ailleurs - c'est tous les sports qui sont revalorisés.
Apportons des gagnants, et on aura un énorme "Effet M.R."
Chaque événement deviendra une occasion de rassemblement pour
s'identifier aux gagnants et en tirer de la fierté. On obtiendra
ce bain de foule qui crée la solidarité.
Et si il y a 40 000 personnes au stade pour applaudir les
finales collégiales d'athlétisme, vous pouvez être sûrs
que pas mal plus de Québécois vont faire de l'athlétisme;
sûrs qu'il y aura bien plus de Québécois sur le podium
aux Olympiques de 1996; sûrs qu'on sera une grande famille... et qu'on
aura aussides enfants plus forts.
Des gagnants ça se prépare. Avoir des gagnants, c'est identifier
des talents dès l'école primaire et leur offrir un soutien
financier et technique solide. C'est surtout leur donner du respect. L'identification
du talent, ça veut dire que chaque enfant, qu'il soit d'un milieu
pauvre ou riche, doit au moins savoir que tous ces sports existent - du
kayak au lancer du javelot - ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. C'est
d'abord fournir à chaque enfant l'accès à l'équipement
et au coaching qui lui permettra de savoir s'il a du talent.
Le soutien - s'il a du talent et aussi la passion personnelle d'aller plus
loin - c'est lui apporter l'appui nécessaire, technique et financier,
pour aller au bout de tout ce qu'il peut faire, et de tout ce qu'il
veutfaire, en évitant le piège de l'entraînement
forcené, bon gré mal gré, dans lequel sont tombés
souvent certains des pays de l'Europe de l'Est: une médaille d'or
ne vaut pas une vie humaine.
L'infrastructure d'équipement et de coaching doit être proche
du systè-me d'éducation, mais elle doit être accessible
à tous. Elle est, en fait, un des éléments majeurs
d'une politique d'éducation permanente. Il faut donc bien s'assurer
que le sport existe aussi en milieu de travail.
Qui payera pour cette infrastructure? Une taxe spéciale
devrait être prélevée sur les revenus publicitaires
provenant d'événements sportifs. Quelqu'un touchera de 3 à
4 dollars de publicité pour chaque heure que chacun passera au stade
à ingurgiter 240 spots publicitaires de 15 secondes; n'est-il pas
juste qu'une partie de cette somme finance l'infrastructure qui permettra
de développer nos athlètes?
Du fric pour l'éducation au sport, mais aussi du respect. Le respect
viendra automatiquement pour tous les sports où nous produirons des
champions, mais il faut assurer le respect aux athlètes pendantqu'ils se préparent à devenir des champions.
Il faut que nos médias et le système d'éducation passent
le message clair que la contribution sociale du sportif est valable. Car
quand le Québécois ordinaire passera quelques heures par semaine
à faire du sport et à encourager au Stade les champions de
demain, c'est alors qu'on verra se développer l'esprit de corps qui
doit exister dans une Nouvelle Société.